L’affaire qui nous occupe n’est pas une question de mode. Cacher ou montrer ne sont plus les enjeux d’un concours de beauté. D’abord parce que le parallèle avec la mini-jupe est sans doute aujourd’hui ridicule : dans tous les placards, portée à tous les âges (plus ou moins heureusement), la mini-jupe a perdu, au profit de tant d’accessoires, sa connotation suggestive. On entend pourtant ici et là des remarques qui forcent à s’interroger. La condition de la femme a-t-elle progressé avec l’exposition des formes ? Ne sont-elles pas à égalité dans les rues celles qui sont insultées parce qu’elles offrent leur corps aux regards des hommes et celles qui dérobent leurs atours sous le drap noir de l’Islam ?
Mais de quoi la burqa sera-t-elle le symbole ? Le symbole d’un ostracisme antimusulman ? Le symbole d’une société dans laquelle il faut se montrer pour espérer réussir ? Le symbole d’une laïcité et d’un projet de société qui veut contribuer chaque jour à permettre à de nouveaux humains de conquérir leur liberté ?
Alors, burqa, pantalon, mini-jupe, string, micro-jupe … le problème se situe peut-être dans la valeur paradoxale que notre société accorde à la pudeur et à la dignité. Denys de Béchillon défend avec les juristes un droit à la dignité qui se traduit notamment dans le droit de disposer de soi contre le gouvernement extérieur des corps. Ainsi peut-il écrire que le principe de l'égale dignité des femmes protègera leur liberté de porter la burqa pour autant qu'elles le souhaitent. Mais les femmes, et nous tous, sommes-nous réellement libres dans le monde d’aujourd’hui ? Nous ne savons pas, ajoute-t-il, combien de femmes sont libres sous la burqa.
Sera-ce l’ultime combat de la cause féminine : résister aux diktats de la mode et résister aux assauts des fondamentalistes, pour affirmer un droit à se vêtir librement protégé par la Constitution. Une liberté jadis arrachée à la puissance paternelle et conjugale, désormais à protéger contre l’Etat ? Et dans une société où dire à une personne qu’elle est charmante est parfois une véritable agression, faudra-t-il aussi une loi pour permettre aux femmes de porter librement un vêtement sans être victime de commentaires désobligeants ou de gestes déplacés ?
« les femmes savent sans le savoir que, en adoptant telle ou telle tenue, tel ou tel vêtement, elles s'exposent à être perçues de telle ou telle façon. » Bourdieu
La dignité contre la burqa : paradoxes et contradictions, Denys de Béchillon, Les Echos (novembre 2009)
(D. de Béchillon est professeur de droit public)