Qu'est-ce qui a déclenché la crise des subprimes aux États-Unis ?
Quatre facteurs sont reliés entre eux et sont responsables d'avoir engendré la crise financière en cours (les subprimes) qui sévit aujourd'hui aux États-Unis.
Premièrement : la politique monétaire. Après l'éclatement de la bulle Internet (dot.coms en anglais) en 2001 ayant provoqué la récession de mars à novembre 2001, la Fed alors présidée par Alan Greenspan a agressivement abaissé le taux d'intérêt directeur (le Federal Funds rate) passant alors de 6,5% à 1% en 2004, soit le plus bas taux depuis 1958. Il est maintenant reconnu que cette réduction était excessive et que la Fed n'aurait pas dû abaisser son taux en deçà de 2% et qu'il aurait dû être à nouveau augmenté quelque part en 2002. En effet, de 2002 à 2004, la banque centrale des États-Unis a mène une politique monétaire qui était trop expansionniste. Étant aujourd'hui devenu l'ancien président de la Fed, Alan Greenspan, explique sa politique d'alors en affirmant qu'il avait peur que n'arrive une période de déflation, mais peu d'économistes sont d'accord avec lui. Entre 2002 et 2004, la Fed n'avait pas besoin de garder les taux d'intérêt à court terme aussi bas et pendant si longtemps, d'autant plus que l'administration Bush avait réduit les taux d'imposition et qu'elle avait augmenté ses dépenses militaires par l'invasion militaire de l'Iraq.
Deuxièmement : le boom immobilier. Les taux d'intérêt anormalement bas aux États-Unis et aussi partout ailleurs en raison de l'interconnexion entre l'argent et les marchés de capitaux, a alimenté un boom immobilier à travers le monde qui n'était pas viable à long terme, puisqu'il était basé sur la spéculation. En effet, les taux hypothécaires aux États-Unis sont demeurés faibles, même après que la Fed ait commencé à relever son taux directeur (Federal Funds rate) de 1% au milieu de 2004 jusqu'à 5,25% en juin 2006. Cela a amené les États-uniens à emprunter d'énormes sommes à l'étranger. En 2006, le déficit courant des États-Unis a même atteint 6% du PIB. La Chine, le Japon et les pays producteurs de pétrole étaient les principaux acheteurs de bons du Trésor et des obligations US.
Troisièmement : de nouvelles règles bancaires. Étant donné l'incessante augmentation de la valeur des maisons, les institutions de prêt ont assoupli leurs règles de prêts puisque les maisons données en garantie de ces prêts gagnaient toujours de la valeur. Les banques et les autres prêteurs hypothécaires ont commencé à accommoder les emprunteurs de la catégorie des subprimes ayant un crédit douteux, en élargissant le marché des prêts hypothécaires à ces acheteurs de maison qui en d'autres temps n'auraient pas pu se qualifier. Des prêts pour l'acquisition de maison ont été octroyés de manière non conventionnelle à des emprunteurs qui n'ont pas eu à justifier leurs sources de revenus. Certains prêts étaient des prêts appelés « payez-l'intérêt-seulement » [interest-only] avec de faibles versements hypothécaires de 5% ou moins. Certains autres prêts étaient des prêts à taux variables (ARMs), avec de faibles taux d'intérêt pour la première année ou pour les deux premières années, pour être par la suite augmentés à des taux beaucoup plus élevés. En 2006, environ 25% des prêts hypothécaires aux États-Unis étaient des subprimes et près de 20% étaient des prêts à taux variables.
Quatrièmement : les nouveaux produits financiers. Avec la forte augmentation des demandes pour des emprunts hypothécaires, les grandes banques ont eu recours à certains produits financiers inventifs en vue d'économiser leur capital. Elles ont commencé à regrouper ces prêts de manière plus attrayante et à les segmenter (ou à les fractionner) sous la forme de nouveaux titres exotiques et ce faisant, à transférer le risque de crédit aux acheteurs de ces titres. C'est ainsi qu'a été créé une nouvelle catégorie de titres, souvent cotée AAA (la cote la plus sûre) par les agences de notation et que des fonds mutuels, des sociétés d'assurance, des fonds de pension et d'autres investisseurs pouvaient acheter.
Ces nouveaux Fonds d'investissement spécialisés (SIVs) sont présentés sous différents noms tels que les Titres adossés à des créances obligataires (CBOs) ou les Titres adossés à des actifs (CDOs). Ils avaient les caractéristiques des Papiers commerciaux (Asset-based commercial paper). C'est le marché des papiers commerciaux qui est actuellement perturbé aux États-Unis et ailleurs et qui est au centre de la crise financière actuelle. Au plus fort de la crise au cours de l'été 2007, le marché des papiers commerciaux aux États-Unis était évalué à environ 1 170 milliards de dollars. Il est tombé aujourd'hui à environ 900 milliards de dollars et il continue toujours à s'amenuiser, alors que les banques comptabilisent des créances douteuses. (NB: Ce processus de désintermédiation peut durer plusieurs années.)
La crise de l'épargne et du crédit du début des années 1980 fut aussi un coup sérieux à l'économie US. Plus de 1000 institutions financières d'épargne et de crédit ont fait faillite et les pertes sont estimées à environ 150 milliards de dollars. De plus, la crise a contribué à engendrer la récession de 1990-1991. Cette fois-ci, la crise financière est au moins aussi mauvaise, sinon pire, puisque c'est l'intégrité de l'ensemble du secteur bancaire US qui et remis en question. L'ampleur des pertes de la crise actuelle n'est pas encore complètement connue, mais tout le monde s'accorde à dire qu'elles seront très importantes.
Un autre exemple des années 90 est la faillite tout juste évitée en septembre 1998 du Hedge fund « Long Term Capital Management (LTCM). » La Réserve fédérale (la Fed) a dû intervenir en panique et fournir des liquidités afin d'éviter la liquidation forcée de cet important acteur financier qui aurait alors eu un impact négatif sur le cours des obligations et qui aurait engendré une hausse des taux d'intérêt et ce, au moment même où se déroulait une crise financière en Asie. NB: Les Hedge funds sont essentiellement des entités spéculatives privées qui ont pris des risques financiers dans les taux d'intérêt, sur le marché des devises et des produits dérivés de même que dans les marchés financiers en général.
Comment l'états-unien moyen en sera-t-il affecté?
Comment l'états-unien moyen en sera-t-il affecté ? Puisque la propriété d'une maison est une grande partie la valeur nette de l'états-unien moyen, la baisse des prix de l'immobilier et les saisies suite au défaut de remboursement des emprunts hypothécaires les contraindront à réduire les dépenses de consommation au cours des prochains mois par un effet négatif sur la richesse. La perte d'emplois et de revenus dans la construction et dans l'industrie financière va également avoir un impact négatif sur les dépenses de consommation. Par-dessus tout, l'états-unien moyen perra être appelé à réduire son endettement total. Réunis ensemble, la dette hypothécaire et l'endettement des consommateurs représentent environ 125% du revenu disponible. Historiquement, ce sont des niveaux très élevés.
Comment évaluez-vous les politiques de la Fed suite à ces turbulences? Tel que je l'écrivais sur mon blog le 21 septembre dernier, je pense que la Fed actuellement présidée par Ben Bernanke a paniqué lorsqu'elle a annoncé qu'elle réduisant ses taux de façon plus importante qu'il ne l'avait été anticipé, une réduction d'un demi point de son taux directeur (Federal Funds rate) et de son taux d'escompte et ce, alors même qu'elle avait déjà coupé son taux d'escompte d'un demi point, le 17 août 2007. Le but était d'aider les grandes banques des États-Unis confrontées à de grandes difficultés d'emprunt et de faciliter le renflouement de leurs filiales et d'autres acteurs, tels que les Hedge funds, aux prises dans la crise des prêts subprimes. Ce faisant, la Réserve fédérale de Ben Bernanke suit, dans une certaine mesure, les conseils de Walter Bagehot qui prône une réduction agressive des taux en situation de crise financière. Le seul problème est que la règle de Bagehot recommande à la banque centrale de prêter généreusement en période critique d'austérité du crédit ... mais à un taux d'intérêt élevé. En prêtant à des prêteurs en difficulté à des taux préférentiels réduits, la Fed agit comme si elle était leur « gouvernement » c'est-à-dire qu'elle finance leurs opérations de prêts à risque tout en taxant ceux qui détiennent des dollars US. Il ne s'agit pas seulement de tenter de les rendre plus « liquides », mais aussi plus « solvables » et de diminuer le risque de faillite.En agissant ainsi et surtout par sa politique d'abandon du dollar sur les marchés des changes étrangers, la Réserve fédérale de Ben Bernanke sème les germes d'une inflation future. Tous ces nouveaux argents qui ont été injectés dans le système financier seront difficiles à retirer et les pressions inflationnistes devraient commencer à se pointer dans quelques années, suite au ralentissement économique prévu. D'autant plus que le cycle de Kondratieff, un long cycle moyen de 54 ans d'inflation, de désinflation et de déflation est sur le point de suivre son cours en 2010-11. Une nouvelle période d'inflation devrait débuter tout de suite après.
Il est dit que lorsque que les États-Unis toussent, le reste du monde attrape la grippe. Que se passera-t-il lorsque les États-Unis attraperont une grippe aussi forte que celle-ci?
L'économie US représente environ un quart de l'économie mondiale, de sorte qu'il est raisonnable de s'attendre à ce que le ralentissement de l'économie US aura des répercussions sur les autres économies. Aujourd'hui, l'Europe et l'Asie sont encore en plein essor. Toutefois, la baisse du dollar US et l'augmentation simultanée de la valeur de l'euro et de la plupart des autres monnaies, conjuguée à la hausse du prix du pétrole, sont appelées à avoir un impact négatif sur ces économies. En fait, il peut prendre jusqu'à deux ans avant qu'une monnaie surévaluée ait un impact sur l'économie réelle.
Le danger pour la Turquie est d'être aux prises avec une monnaie surévaluée alors qu'elle poursuit une stratégie de croissance économique appuyée sur les exportations. En effet, au cours des dernières années, la Nouvelle livre turque a augmenté par rapport au dollar US et même par rapport à l'euro. Cela a eu des effets bénéfiques dans la lutte contre l'inflation, mais cela pourrait aussi nuire à la croissance future. Le plus récent exemple d'une telle situation a été l'Argentine, à la fin des années 1990, qui a été forcé d'abandonner la parité fixe de sa monnaie avec le dollar US.
Est-ce que vous percevez une différence d'approche entre l'économie des pays anglo-saxons et celles des pays de l'Europe continentale qui, pour l'essentiel, s'en sortent indemnes?
Comme vous le savez, certaines banques européennes ont dû être renflouée après avoir subi de lourdes pertes dans leurs opérations des papiers commerciaux. En conséquence, la Banque d'Angleterre et la Banque centrale européenne ont injecté d'énormes sommes d'argent neuf dans leur secteur bancaire. Aux États-Unis, la Réserve fédérale a une double mission, qui est de contrôler l'inflation et aussi de favoriser la croissance économique. En Europe, la mission de la Banque centrale européenne est de contrôler l'inflation. Cela ne signifie pas qu'il n'existe pas des pressions politiques visant à renoncer à la lutte contre l'inflation, afin de stimuler la croissance, telle que l'illustre si bien la campagne de M. Sarkozy contre les politiques de M. Trichet. Dans l'ensemble, toutefois, il semblerait que les pratiques bancaires irresponsables sont moins répandues en Europe qu'aux États-Unis, de même que les impacts négatifs devraient être moins répandus en Europe qu'aux États-Unis.
Quelle est la leçon à tirer de cette crise et quels types de précautions devraient être prises?
De toute évidence, il y a eu un manque de diligence et de supervision de la part des Banques centrales et des autres organismes de réglementation, en particulier aux États-Unis. L'ancien président de la Fed (1951-1970) William McChesney Martin a déjà dit que « Le travail de la Réserve fédérale est de partir avec le bol à punch juste au moment où la fête commence à être intéressante. » Alors que la crise financière des subprimes démarrait réellement, la Fed de Greenspan semble être demeurée trop près de l'administration Bush et de ses objectifs politiques et qu'elle n'ait pas suffisamment pris conscience du danger que les nouvelles règles de gestion financière avaient été créées pour la santé du système financier et de l'économie dans son ensemble. La Fed aurait dû partir avec le bol à punch monnétaire en 2003-2004, mais elle ne l'a pas fait. Nous ne connaissons pas encore l'étendue des dommages qui ont été causés à l'économie réelle. J'espère qu'ils peuvent encore être maîtrisés et qu'ils ne se propageront pas.
Prévoyez-vous une récession aux États-Unis?
Le président de la Fed Ben Bernanke et le secrétaire du Trésor des États-Unis Henry Paulson ne voient pas de récession à l'horizon pour les États-Unis en 2008. Quant à moi, je pense que le ralentissement économique est inévitable pour 2008. J'espère que le pire scénario ne se matérialisera pas. Toutefois, je m'attends néanmoins à une légère récession aux États-Unis en 2008, qui sera suivie par une plus sévère en 2010-2011 (soit au creux du cycle de 10 ans).
Quel sera l'impact sur le dollar?
Le dollar est en baisse depuis de nombreuses années et il atteint des records de tout les temps par sa faible valeur face à l'euro. En 2000, l'euro valait moins de 83 cents alors que maintenant, il est près de 1,50 $. Je pense que la phase actuelle de la baisse du dollar cessera bientôt. Hormis quelques grands chocs géopolitiques, le dollar pourrait rebondir dans les mois à venir. Il est actuellement très survendu.
Sur le long terme, nous sommes entrés dans une période où la demande en énergie et en ressources va être forte par rapport aux capacités de production. Cela devrait favoriser les monnaies des pays dont les économies sont fondées sur les matières premières telles que le Canada, l'Australie et les pays émergents en général.
Quel en sera l'impact sur les prix du pétrole?
Les prix du pétrole sont le reflet de la baisse du dollar US. À près de 100 dollars le baril, le marché du pétrole est soit proche d'un sommet, ou soit il sera fonction d'une guerre contre l'Iran souhaitée par le tandem Bush-Cheney et qui aura pour résultat de graves perturbations dans la livraison du pétrole dans le détroit d'Ormuz. S'il devait y avoir un conflit entre les États-Unis et l'Iran, les prix du pétrole pourrait devenir encore beaucoup plus élevés avant de chuter, en raison d'une récession mondiale. S'il s'avérait qu'il n'y avait pas de grand conflit avec l'Iran et aucune perturbation dans l'approvisionnement en pétrole, le niveau élevé des prix actuels devraient logiquement redescendre.