Daniel Arasse, l’Immaculée Conception et la Vénus Hottentote

Publié le 10 mai 2010 par Marc Lenot

La voix majestueuse du grand Daniel Arasse* s’élève dans la salle, expliquant pourquoi Manet, peignant Olympia, s’est inspiré de la Vénus d’Urbino, de ce tableau-ci précisément plutôt que d’un autre nu. Les trois danseuses sur scène se dévêtent et prennent la pose olympienne. Ensuite, pendant qu’elles interprètent tour à tour la Vénus Rokeby, la Grande Odalisque et quelques autres monuments de la nudité féminine, Arasse est remplacé par des ‘paroles de putes’ ou, plus précisément, de danseuses de peep-show (métier que, si j’en crois leur biographie, certaines des danseuses ont exercé), listant les diverses manières dont les clients utilisent un rouleau de Sopalin ou narrant leur dégoût des macarons. Les poses se succèdent, froides, exagérées, mécaniques, dépourvues de toute sensualité autre que celle du souvenir de la peinture à laquelle elles renvoient. A un moment, après un passage des danseuses en coulisses, l’oeil acéré du spectateur remarque l’apparition d’un petit fil blanc entre les cuisses des trois danseuses; c’est alors qu’Arasse revient, disant la controverse (essentielle) sur la menstruation ou non de la Vierge, son exposition ou non au péché originel manifesté par cette ‘curse’ mensuelle et menstruelle, et la solution finale de cette controverse par le dogme de l’Immaculée Conception. Sur cet accompagnement érudit, les trois danseuses retirent délicatement le tampon - immaculé- de leur sexe et l’exposent comme une relique. Même si on souhaiterait parfois un peu plus de sobriété, La belle indifférence de Gaëlle Bourges (qui est aussi une des interprètes) est une pièce décalée, dérangeante, et, comme le dit la chorégraphe, ‘une machine à fabriquer du nu si opérante qu’on finit par ne plus rien y voir’.

C’était à Bobigny dans le cadre des rencontres chorégraphiques de Seine Saint-Denis, mais c’est fini. Il y avait aussi une majestueuse Vénus hottentote de 120 kilos, baroque à souhait, débordant de sa robe de mariée et dotée d’une belle voix cristalline (elle sort de scéne sur l’air de la Reine de la Nuit), délirante, grimée de blanc à la recherche d’un mari, qui était seule à porter le spectacle par ailleurs plutôt décevant du chorégraphe sud-africain Boyzie Cekwana. Passons vite sur la laideur prétentieuse de la pièce de Teodora Castellucci, banale et pathétique. 

L’autre plaisir de ces Rencontres fut le spectacle de Myriam Gourfink, Choisir le moment de la morsure. Dans un éclairage tournant à la Anthony McCall où le spectateur ébloui se trouve pris dans un cône de lumière d’où va seule émerger l’ombre des mains d’une danseuse, trois interprètes exécutent des figures d’une lenteur absolue; on croit voir parfois un Rodin (Iris messagère des Dieux), parfois un bas-relief Gujarat, parfois un tirage de Muybridge. Les mouvements se figent, les corps se meuvent millimètre par millimètre, c’est d’une beauté épurée, dépouillée, quasi abstraite. Dommage que lesdites morsures viennent abaisser la tension, on s’en serait passé. La musique, en direct, de Kasper Toeplitz, est superbe.

Ces pièces étaient toutes des créations, vous aurez sans doute l’occasion de les revoir ailleurs.

* que la journaliste du Monde qualifie de ‘journaliste’.

PS : pas de meilleures photos, désolé; pas le droit de photographier, bien sûr, et le service de presse n’a pas répondu à ma requête. Photos téléchargées ou scannées depuis les livrets de salle.