Le cinéma indépendant américain est un générateur de petites perles.
Assez souvent enfouis ou confinés à des festivals, les films issus de cette branche sont réalisés par des types ayant une liberté plus que rafraichissante, et interprétés par des acteurs confirmés à l’enthousiasme soudain ravivé.
Et c’est là ce qui fait toute sa force, tout son potentiel.
Prenez votre serviteur par exemple. Vous ne le mettrez jamais devant un film romantique ou devant une histoire sentimentale…
Et pourtant, grâce à la magie de ce cinéma, c’est bien ce qui s’est passé.
Car la Secrétaire, de Steven Shainberg (qui réalisa quelques temps plus tard un biopic sur Diane Arbus), n’est contrairement à ce que pourrait laisser entendre son titre ou son affiche, pas un film érotique du dimanche soir, mais une authentique histoire d’amour… Elégamment décalée, et bien plus pertinente que ses consoeurs passées au polish.
Lee Holloway (jouée par Maggie Gyllenhaal) est une jeune fille sujette à des pulsions auto-mutilatrices. Après une thérapie, elle décide de se trouver un job, afin d’échapper à l’influence néfaste de ses parents, et de son foyer.
Un job qu’elle va trouver en tant que secrétaire dans le cabinet d’E. Edward Grey (le génial et trop rare James Spader, qui poursuit après Crash son exploration de la sexualité trouble dans registre différent).
De premier abord sympathique, Grey se révèle être un personnage colérique, autoritaire et sadique, qui va finir par mettre en lumière la vraie nature de Lee grace à une… fessée.
Et là, j’en vois déjà avec le sourire aux lèvres, et d’autres prêts à fuir en courant. Erreur.
Le film de Shainberg est bien plus malin que ça.
Dès l’introduction, stylisée, le ton est donné. L’image est classe, non agressive. Une Maggie Gyllenhaal entravée, s’acquite de diverses tâches, visiblement sûre d’elle et épanouie. Quelques mois plus tôt, elle n’était qu’une fille timide et maladroite, sapée de manière informe.
Alors que son sujet était une porte ouverte aux pires dérapages, jamais durant son heure quarante, le film ne sombrera ni dans le puritanisme/moralisme agaçant ni dans le graveleux.
Deux des pires tares du cinéma actuel quand il s’agit de parler de sexualité.
Alors oui, il y a bien quelques scènes un peu olé-olé, mais amenées de telles manière qu’elles ne souffrent aucune vulgarité, ni voyeurisme malsain.
Au-delà de proposer une vision des rapports dans le monde du travail, La secrétaire est avant tout une réflexion sur l’amour en général, et sur nos capacités à l’assumer ou à le communiquer.
Elle montre aussi une image différente du SM, généralement cantonné à des représentations graveleuses et misogyne ainsi qu’à la dégradation physique et morale (une des scènes du film tourne d’ailleurs cette tendance au ridicule).
Car plus que de soumission ou de dégradation, c’est de libération et d’affirmation dont on parle ici.
Lee comme Edward sont deux personnages à côté de la plaque, essayant l’un comme l’autre de surmonter la vie. Chacun à leur manière.
Lee en ressentant la douleur, Grey en contrôlant et dominant tout ce qui l’entoure (bien qu’il apparaisse finalement comme le plus fragile).
Tous les deux finalement murés dans leur solitude, leur incapacité à communiquer de manière simple, voire de communiquer tout court, finissent par trouver une sorte d’équilibre dans cet amour bizarre.
Certains s’offrent des fleurs ou des chocolats pour séduire, eux des punitions.
Pour Lee, il s’agit aussi d’un moyen de se libérer d’un carcan social trop rigide et de chemins pré-établis.
Que ce soit la scène du mariage en ouverture, ou la relation avec son « petit-ami » (Jeremy « Daniel Faraday » Davies), tout nous montre cette sorte de routine, cette norme dans laquelle chacun feint de se complaire, et qu’il est parfois dur de supporter.
Loin des histoires romantiques traditionnelles, La Secrétaire est un film qui se veut à la fois sensuel et intelligent.
A ne pas mettre devant tous les yeux, à ne pas regarder en famille, mais hautement recommandé à tous ceux qui souhaiteront sortir des sentiers battus et découvrir une amourette légèrement trash, mais vraiment originale.