Tout commence par un générique de fin tonitruant, violent, massif. Puis le générique de début, rapide, elliptique. Gaspar Noé l’avait fait avec Irréversible, sa déstructuration mécanique devient une habitude. Dans un déchaînement d’images et de sons, il prend le spectateur à la gorge d’emblée, le forçant à sauter le pas vers un vide intersidéral. Une chute en avant, dans l’abîme qui ne laissera pas sans souvenirs.
Tokyo, citée multicolore et multi-ethnique, monde de la nuit à son paroxysme : un jeune américain y passe, trépasse sous les coups de feu des policiers. Shooté à pleins tubes, il tombe pour mieux se relever. Prenant appui sur les idées bouddhistes qu’on peut arriver à sortir de son corps lors de son dernier souffle, Noé suit à la trace le fantôme de son héros, prenant de la hauteur sur les évènements, revenant sur son passé et ce qui l’a conduit à écourter son passage dans le monde réel. Pendant près de deux heures, on suit donc son trip ultime, celui d’un ectoplasme surfant sur les toits de la ville japonaise, entrant dans les maisons, passant les murs pour mieux frôler ses quelques connaissances qui continuent de baiser, magouiller, pleurer, danser, boire… Enfermant son récit dans un mélange visuel détonnant (on avait pas vu ça depuis Jan Kounen, et encore), flashy et crépitant, le réalisateur d’Irréversible nous explose les rétines pour mieux y coller ses images de l’après vie. Que l’on accroche ou pas, force est de reconnaitre le brio d’une telle tentative, et plus que ça la totale réussite d’un film entre vie et mort, frère et sœur, drogues et réalité.
Et il la traîne la réalité, dans Enter The Void : le vrai personnage principal sera donc la sœur du héros défunt, désormais seule et en cloque (sans mode d’emploi), coincée entre ses strips dans un club pourri, son manager/amant japonais et le souvenir d’une famille unie. Si vous relancez dans tout ça l’enfance de la fratrie confrontée très jeune au décès brutal des parents, mixée dans des aller-retour incessants entre passé et présent, Enter The Void se révèle être une mosaïque visuelle et narrative des plus couillues, tissant une toile indescriptible et sensorielle des plus impressionnantes. On regrettera quelques longueurs sur la dernière demi heure (le film dure 2h30) où Noé exhume la vie des immeubles de Tokyo, passant d’un hôtel de passe aux rues encore endormie, d’un taxi refuge à un coït en devenir. Oui, n’hésitant pas à multiplier le sexe et la dépravation, sans oublier les excès en tout genre, Noé filme de manière orgasmique l’humain dans toute sa modernité, et finalement toute sa sensibilité. Véritable œuvre des temps nouveaux, son dernier film est un trip de bout en bout, magnifiquement mis en scène et monté, qui mérite d’avoir sa place au rang des vraies créations d’aujourd’hui.