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Obscurité (25)

Publié le 10 mai 2010 par Feuilly

Arrivée à une centaine de mètres, elle découvrit l’entrée d’un souterrain. Elle se dit que ce serait là un bon moyen de s’introduire discrètement dans sa demeure sans se faire remarquer. Elle s’avança donc sans la moindre crainte dans ce passage qui pénétrait profondément sous la terre. Il faisait noir, la-dedans, complètement noir. C’est donc en tâtonnant avec les mains qu’elle parvint à progresser dans ce boyau étroit. Sous ses doigts, elle sentait la paroi de terre humide qui s’effritait. Le contact en était froid et poisseux et c’était absolument répugnant. Elle se dit que toutes sortes de bêtes devaient vivre là-dedans : des vers de terre, des insectes, des taupes même et à chaque instant elle redoutait de toucher un corps mou et gluant ou de sentir sur sa peau le picotement d’une patte griffue. Ceci dit, si sa main s’était refermée sur une fourrure toute chaude, il est certain qu’elle aurait poussé un cri terrible ! Quant à la partie supérieure de ce tunnel, elle était si basse que souvent elle venait cogner de la tête contre la voûte, ce qui fait que ses cheveux étaient tout maculés de terre. Une vraie horreur ! Et si elle voulait les secouer, c’était pis encore car dans ce cas ceux-ci allaient frotter contre la paroi en terre battue et se salissaient d’autant plus. Parfois, le sol se dérobait subitement sous ses pieds et elle s’enfonçait alors dans une petite cuvette d’une vingtaine de centimètres dans laquelle croupissait une eau saumâtre. Non seulement de la boue argileuse et froide pénétrait immédiatement dans ses chaussures, mais en plus elle risquait de glisser. Heureusement, un peu plus loin, le sol remontait subitement et elle se retrouvait au sec, mais c’était un gros caillou qu’elle heurtait alors, ce qui lui arrachait un cri de douleur.

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A un moment donné, le passage était devenu si étroit qu’elle crut qu’elle ne parviendrait pas à aller plus avant. Mais comment rebrousser chemin ? C’était pour ainsi dire impossible de se retourner et de faire demi-tour. Elle se sentit prise au piège, là, sous la terre, et pensa aussitôt à ces accidents de mines dont on entend toujours parler à la radio. « Coup de grisou en Silésie, cinquante mineurs sont restés bloqués. On attend les secours. » Une sueur froide lui glaça instantanément le doset les reins. Sans qu’elle s’en rendît compte, son corps réagissait pour elle, avant elle. Son cerveau en était encore à analyser la situation périlleuse où elle se trouvait qu’une panique animale s’était déjà emparée de tout son organisme. Son corps avait perçu avant elle le danger où elle se trouvait et il l’exprimait à sa manière, dans son langage à lui. Elle dut vraiment faire un effort pour retrouver son calme et tenter de réfléchir. Elle était là, sous terre, dans le noir, seule, sans possibilité d’avancer ni de reculer. De plus, à la différence des mineurs, elle ne devait attendre aucun secours puisque personne n’avait connaissance de sa présence en ce lieu.

L’idée de finir là, au milieu des vers de terre et des insectes, était insupportable. Il lui semblait être déjà morte et ces bêtes répugnantes et rampantes, oui, aussi surprenant que cela pût paraître, elle les voyait quand même, malgré son décès. Elle les voyait qui se regroupaient par centaines et qui attendaient. Et maintenant voilà qu’elles s’avançaient, lentement mais sûrement. Elle les sentait parcourir son corps, se glisser sous ses vêtements, se promener sur sa peau, partout ! Et il en venait d’autres, des milliers d’autres. On aurait dit une armée en marche, qui avançait, méthodique, et qui attendait cet instant depuis des années, depuis le jour de sa naissance, en fait. C’était une véritable invasion et cela grouillait de tous côtés. Et maintenant elle les sentait qui lui mordaient la peau, qui la grignotaient, qui tentaient d’entrer plus avant, qui essayaient encore, qui recommençaient, qui remordaient et qui finalement entraient dans sa chair, dans ses muscles. Ils la dévoraient ! Elle voulut crier, hurler, mais elle n’avait plus de voix puisqu’elle était morte. Elle comprit alors que l’horreur de la mort c’était cela, cela que personne n’avait jamais dit parce que personne ne le savait : on restait conscient un certain temps encore après l’instant fatal, immobile et sans pouvoir bouger. Et on se voyait mourir une seconde fois et être grignoté par toutes ces bêtes de l’ombre. On ne pouvait rien faire, ni rien dire. Et on était seul, désespérément seul. On comprenait qu’on disparaissait inéluctablement et on savait que lorsque ces satanées bestioles en auraient terminé avec leur repas, on serait vraiment mort et on aurait fini d’exister. Mais la nature, cruelle, avait voulu qu’on fût conscient jusqu’au bout et qu’on se vît partir sans aucun espoir de retour.

Non, jamais elle ne pourrait tolérer une chose pareille ! Elle se ressaisit et d’un bond, par réflexe, pour survivre, elle tenta d’aller de l’avant et de s’échapper. Elle se retrouva accroupie, puis à genoux et c’est finalement en rampant qu’elle parvint à se glisser dans le boyau et à avancer. C’était quitte ou double et il était clair que si elle ne trouvait aucune issue, jamais elle ne parviendrait ne fût-ce qu’à reculer. Mais en s’aidant des mains et des pieds, elle progressait. Pas vite, mais elle progressait. Avec des reptations de serpent et des ondulations de chenille, en s’allongeant autant que les vers de terre qu’elle voulait fuir et en s’aidant de ses ongles comme de griffes, elle finit par voir la lumière devant elle. Alors elle redoubla d’effort et parvint finalement à l’air libre.

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Ouf ! Quelle aventure ! Mais voilà qu’au lieu d’être à l’intérieur de la maison, comme elle l’avait espéré, elle se retrouvait tout simplement près de la terrasse arrière de la maison. C’était bien la peine d’avoir emprunté un passage aussi difficile et aussi périlleux ! En plus elle était maculée de boue et véritablement méconnaissable. Elle pensa à Ulysse, qui, dans l’Odyssée, rentre dans ses foyers après vingt longues années d’absence et qui se déguise en mendiant afin de ne pas être reconnu. Elle n’aurait pas besoin d’un tel stratagème, elle, personne ne parviendrait à deviner son identité dans l’état où elle était. Mais un doute la saisit soudain. La maison semblait vide. Était-elle encore habitée ? Et dans ce cas, où se trouvaient ses enfants ? Elle commençait déjà à paniquer quand il lui sembla les entendre de l’autre côté de l’habitation, du côté de la porte d’entrée. Elle se précipita donc dans cette direction et c’est en courant qu’elle arriva sur l’autre terrasse. Ce qu’elle vit alors la cloua littéralement sur place.

Non seulement il n’y avait personne, mais surtout la maison, qui était pourtant en parfait état à l’arrière, ressemblait ici à une ruine. Visiblement il y avait eu un incendie car le toit s’était complètement effondré et on apercevait, dans ce qui avait été le grenier, de grosses poutres calcinées et noircies. Une partie de la façade elle-même s’était écroulée et on voyait le papier peint des chambres qui pendait lamentablement, après avoir été délavé par les tempêtes du dernier hiver. Il restait même quelques meubles, qu’elle identifiait parfaitement. Toute l’intimité de la vie d’une famille était ainsi exposée au grand jour et cette famille, c’était la sienne. Cela lui fit mal. Là, elle eut vraiment l’impression d’être violée pour de bon. Là-haut, elle reconnaissait la coiffeuse héritée de sa grand-mère, dont le miroir maintenant fendu reflétait le ciel. De sa chambre, il ne restait que le lit. Visible de tous, il semblait un témoin obscène de sa vie érotique et elle en fut gênée. Plus loin, une garde-robe était perchée au bord de l’abîme et ce semblait vraiment un miracle qu’elle ne fût pas encore tombée. Une de ses portes ballotait au-dessus du vide et on distinguait parfaitement les vestes et les chemisiers sagement pendus sur leurs cintres.

Le rez-de-chaussée, par contre, était intact, y compris la porte d’entrée. Celle-ci devait être fermée à clef, dans une tentative dérisoire et ridicule de vouloir protéger ce qui s’affichait par ailleurs à la vue de tous. La terrasse, par contre, était jonchée de débris : des blocs, des moellons, des planches provenant des parquets des étages, des poutrelles en partie calcinées… C’était une véritable désolation. Et ses enfants, qu’elle avait cru entendre tout à l’heure, qu’étaient-ils devenus ? Étaient-ils morts dans l’incendie ? Si cela se trouvait, ils avaient péri étouffés dans les fumées ou bien ils avaient été brûlés vifs ! Elle devenait comme folle. Afin d’en savoir un peu plus, elle se dirigea vers la ruine et tenta d’atteindre la porte d’entrée. Elle escalada des gravats, se déchira les mains à des planches hérissées de clous, se tordit les chevilles dans les décombres, et arriva finalement à cette fameuse porte. Celle-ci était en effet hermétiquement close comme elle le craignait. Contre toute raison elle se mit à tambouriner avec ses poings, comme si il y avait eu quelqu’un là-dedans qui aurait pu l’entendre et venir lui ouvrir. Mais il n’y avait personne. Quand elle eut les mains endolories et qu’elle arrêta de frapper, il se fit un grand silence. C’était le silence de la mort. Soudain, un corbeau qui devait être perché sur l’un des arbres voisins, prit son envol avec un grand cri. Elle sursauta et se retourna. Au même moment, là-haut, dans ce qui restait des étages, quelque chose céda et elle n’eut pas le temps de voir la grosse poutrelle qui tombait et dont l’extrémité vint lui frapper le dos et lui lacérer les reins. Elle poussa un hurlement de douleur et se retrouva couchée par terre. Elle souffrait atrocement.

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