PRAHALAD, C.K., The Fortune at the Bottom of the Pyramid, Wharton School Publishing, 2009. Les pays émergents ont mis au point les moyens de faire de leurs pauvres un marché. Qu’ont-ils à nous apprendre ?
Réinventer l’économie
Leur originalité décisive est, justement, d’avoir décidé que les pauvres étaient un marché. À partir de là, ils ont pris les contraintes de son environnement comme une donnée. Et ils ont trouvé le moyen de le rendre rentable.
Je me demande s’ils n’ont pas repris les recettes d’Henri Ford, face à un problème similaire : pour rendre leur produits accessibles à tous et les fabriquer aevc une main d’œuvre non qualifiée, ils ont poussé le Taylorisme à ses limites, et l’ont implanté dans les services.
Ils ont aussi fait de la société une partie intégrante de l’entreprise. Et les technologies de communication modernes (Internet et téléphonie mobile) l’ont aidée.
Bureaucratie contre économie de marché
C.K. Prahalad s’intéresse surtout à l’Inde et voit son développement comme la lutte entre le bien, une économie de marché pure à la Hayek, et le mal, une bureaucratie corrompue. Il en revient d’ailleurs, sans complexe, à un bien ancien débat, qui a défait les meilleurs économistes : comment implanter une économie de marché qui fonctionne ?
Sans loi et sans contrat, et sans le pouvoir de les faire respecter, il n’y a pas d’économie de marché. Mais il ne doit pas y avoir trop de lois, des « micro réglementation », sans quoi certains peuvent en tirer un avantage personnel. Argument délicat : comment expliquer que la réglementation occidentale soit extrêmement complexe mais ne suscite pas la corruption ?
Ceci va avec la nécessité de « transparence » : difficile de tricher au vu et au su de tous.
Mais la loi écrite sous-entend la capacité à lire. Donc, l’arrivée de l’écrit rend la population pauvre, massivement illettrée, encore plus facilement exploitable que par le passé.
Il remarque aussi que l’économie de marché donne une identité aux gens, ce sont des « individus », ils sont fichés par leurs fournisseurs, ils deviennent des numéros. Bizarrement, il semblerait que l’on puisse vivre dans les sociétés traditionnelles sans cette individualisation.
Il explique enfin comment un État Indien a cherché à rendre son fonctionnement efficace en dépit d’une bureaucratie corrompue. Cela en utilisant Internet pour que chacun ait accès à une information honnête, en effectuant une gestion par objectif de l’administration, et en la soumettant au contrôle de tous.
Étrangement, ce qu’il décrit ressemble beaucoup au degré zéro de la conduite du changement, au passage en force. Par exemple, les bureaucrates sont ridiculisés en public. Et le changement semble donner ce que donne tout changement raté : il explique lui-même qu’il n’est pas possible au peuple d’avoir accès aux données informatiques ; les intermédiaires véreux ont de beaux jours devant eux.
Efficacité de l’économie de marché
Démonstration de l’efficacité de l’économie de marché, qui prouve sa fascinante rapidité et sa capacité d’adaptation aux conditions les plus difficiles.
Mais, pour autant, l’économie de marché peut-elle être laissée à elle-même ? Très bien lorsqu’elle enrichit les pauvres, mais que serait une société taylorienne, dont les entreprises forment le peuple pour être consommateur (les filiales des multinationales lui expliquent que leurs produits sont bons pour sa santé) ?
D’ailleurs, qu’est-ce qui a corrompu la bureaucratie, sinon l’économie de marché, dont elle a été la première à profiter ?
Ce que raconte ce livre est peut-être l’histoire d’un changement. La société traditionnelle indienne, reposant sur l’oral, le groupe, et la coutume, absorbe la culture occidentale, une culture de règles, d’écrit et d’individualisme. Cette nouvelle société ne ressemblera pas à l’ancienne, mais elle peut être équilibrée et solidaire. L’économie de marché peut l’aider à le devenir, mais il est capital qu’un État efficace fasse rapidement contrepoids au marché, avant tout en éduquant la population.
Retrouverais-je le raisonnement des dirigeants chinois ?
Compléments :