Que je chatouille ta fossette...

Sous ce titre amusant et singulier, Denis Raisin Dadre et son ensemble Doulce Mémoire proposent l'un des disques les plus réussis de ces quatre premiers mois de l'année. Avec un travail comme toujours précis et pertinent, Denis Raisin Dadre nous emmène dans le monde assez fascinant des "Danceries" de Pierre Attaingnant ("Que je chatouille ta faussette" est le titre d'une Branle gay faisant partie de ce corpus de danses). Pierre Attaingnant est entré dans l'histoire et de la musique et de l'imprimerie pour avoir sans doute été le premier à élaborer un dispositif d'impression de partitions à partir de caractères mobiles, reprenant la portée et les notes. Cette invention a contribué à largement diffuser tout une série de compositions, Pierre Attaingnant ayant édité plus de 150 recueils. Les compositions en question sont en grande majorité des pièces de musique vocale profane et religieuse mais la caractéristique principale du catalogue édité par Pierre Attaignant réside dans la part assez importante qu'elle alloue à la musique instrumentale, principalement différents types de danses.

C'est justement une sélection de ces pièces aux climats et aux tonalités très diverses que nous propose Denis Raisin Dadre. On y retrouvera des "basses dances" énergiques, où les instruments à vent paradent avec des postures assez solennelles. En guise d'introduction, La Basse dance La Magdalena & Tourdion instaure, par exemple, une atmosphère d'emblée envoutante avec son caractère martial accentué par les roulements de tambour.

Avec la Première suite de Bransles d'Escosse qui vient juste après, on ne peut s'empêcher de penser à l'état de transe associée aux musiques et danses circulaires orientales, notamment lors de l'accélération du tempo, même si la pièce en l'occurrence exécutée dispose de racines celtiques indéniables, comme son titre l'indique. Ce tournoiement incessant prend une intensité incroyable à partir du minutage 2':42".

Vient ensuite une Pavane qui séduit inéluctablement par sa douceur, comme les autres pavanes qui vont suivre.

Le disque propose également des chansons écrites soit, par Claudin de Sermisy, soit par Pierre Sandrin.

Ce superbe enregistrement, avec des interprétations d'une finesse et d'une justesse de ton exemplaires fait preuve d'une cohérence remarquable. L'étendue stylistique de ces différentes "danceries" étant assez large, partant des danses les plus raffinées d'origine aristocratique aux bransles de souche populaire, l'ensemble Doulce Mémoire fait preuve d'une capacité à intégrer la rhétorique propre à chacun de ces styles de façon indéniablement brillante. Tout cela est également, et surtout, très vivant, pétillant, sans prétention démonstrative ou savante. On prend alors un plaisir immédiat et presque sensuel à savourer ces gourmandises de Pierre Attaingnant, concoctées avec une telle finesse.

Parmi les pièces remarquables, outre celles mentionnées juste avant, on notera la superbe Allemande "Et d'où venez-vous Madame Lucette & Allemandes 2,6, 5, 4, la Pavane première et Gaillarde première (2), la Basse Dance la Brosse (annonçant de façon singulière les pièces militaires d'origine celtiques que l'on peut entendre dans Barry Lyndon et qui ont été composées près de trois cents ans plus tard !), la Pavane 8 et Pavane des Dieux puis la Gaillarde.

Pour plus de précisions, je vous renvoie au site du label Ricercar ainsi que l'excellente chronique de Jean-Christophe Pucek sur ce disque dans le blog Passée des arts, comme l'interview qu'il a réalisée de Denis Raisin Dadre le 14 avril dernier.

Indéniablement le plus disque le plus réussi parmi ceux que j'ai écoutés sur ce premier trimestre de 2010.

Pierre Attaingnant - "Que je chatouille ta fossette" - Danceries - Ensemble Doulce Mémoire - Direction Denis Raisin Dadre - label Ricercar.

 Coup de coeur du poisson rêveur.

Extrait : Track 14 : Basse dance La Brosse (1).