Comme annoncé, un tour d’horizon de la danse contemporaine arabe, avec certainement des manques (commentaires bienvenus) tellement la matière est riche. Beaucoup de liens aussi dans ce billet, qui compllètent ce rapide panorama et permettent d’aller chercher sur internet pas mal d’autres choses, sachant que le terme “danse contemporaine” (رقص معاصر) correspond aussi à des expressions comme “danse moderne”, expressive dancing (رقص تعبيري), théâtre du mouvement (مسرح حركي), danse silencieuse (رقص صامت) ou encore danse théâtrale (رقص مسرحي)…
Il est à noter que de nombreux danseurs et danseuses, à l’image du Libanais Walid Aoun ou de la Syrienne Mey Sefan par exemple (voir plus bas), ont reçu d’abord une formation classique avant de découvrir à l’étranger des formes de danse plus modernes. Le “printemps de la danse arabe contemporaine”, c’est donc, bien souvent, l’implantation de ces formes nouvelles de danse dans le monde arabe à partir des années 1990, et leur appropriation, aujourd’hui, par toute une nouvelle génération.
Associée à la musique, à l’image, à la vidéo, la danse contemporaine construit, à une vitesse surprenante, ses réseaux (troupes, écoles, festivals, etc.) dans un espace culturel où l’on ne se s’attendait pas à la voir faire une telle percée. Visiblement, une partie de la jeunesse arabe se retrouve dans ce langage des corps qui, par comparaison avec les productions européennes, se caractérise par un fort engagement politique : une constante de l’art arabe moderne.
Le Caire est peut-être le lieu de naissance de la danse arabe contemporaine, avec la création en 1993 de l’Egyptian Modern Dance Theatre Company ( فرقة الرقص المسرحي الحديث المصرية) confiée à Walid Aouni (portrait dans Al-Ahram Weekly). Membre de la compagnie Maurice Béjart entre 1983 et 1990, ce danseur et chorégraphe libanais continue de monter, depuis cette date, des spectacles inspirés de thématiques politiques (son projet actuel, la vie de la résistante algérienne Djamila Bouhired : article en arabe dans Al-Quds al-’arabi; ou encore la guerre du Liban : article en arabe dans Al-Mustaqbal).Premier chorégraphe “institutionnel” arabe, Walid Aouni a dû bien évidemment lutter pour faire accepter cet art du corps (souvent féminin) qu’est la danse dans cette Egypte où certains sont capables de réclamer l’interdiction des très licencieuses Mille et Une Nuits (!). On trouve un écho de ce combat dans Dunia un film de la Libanaise Jocelyne Saab (également réalisatrice de What’s going on? actuellement présenté à Cannes, où apparaît la danseuse Khouloud Yassine : voir ci-dessous), mais également dans un spectacle présenté il y a quelques années, en hommage au “père” du féminisme égyptien, l’écrivain Qâsim Amîn (Women of Qassem Amin : illustration plus haut).
Un peu à l’image des ballets Caracalla au Liban, le travail de Walid Aouni paraît aujourd’hui un peu “démodé” à côté de ce que produisent la jeune génération égyptienne (article dans La revue d’Egypte, intéressant même si déjà ancien) au sein de laquelle on note en particulier les noms de Adham Hafez, un artiste aux talents multiples fondateur de la compagnie HaRaKa, et de Karima Mansour, la fondatrice de la compagnie Ma’at. Créé en 2008, 2B Continued, un festival organisé par la fondation Studio Emad Eddin est désormais l’événement annuel qui permet de suivre l’actualité de la chorégraphie égyptienne.Au Liban, Omar Rajeh (عمر راجح), le créateur de Bipod, un festival – désormais régional – de danse contemporaine est également à l’origine de Takwîn, un lieu où il forme, avec l’aide de chorégraphes européens, les jeunes artistes du Proche-Orient (article, en arabe, dans Al-Akhbar). Mais d”autres noms viennent rapidement à l’esprit quand on évoque la danse contemporaine à Beyrouth : celui de Khouloud Yassine (خلود ياسين), qui a récemment monté avec son frère, un percussionniste, Entre temps, un spectacle très remarqué ; ou bien Nancy Naous (نانسي ناعوس), créatrice en 2006 de la compagnie 4120.point.corps (4120 étant la distance, en kilomètres, entre Paris et Beyrouth) ; ou encore Guy Nader (غي نادر), danseur libanais installé, lui, à Barcelone où il a monté notamment Btwin Barcelona Beirut.
Dans la Syrie voisine, l’essor de la danse moderne remonte à la fin des années 1990 avec la troupe Leish (Pourquoi ? ليش) créée par Noura Mrad (entretien en arabe). Depuis la disparition tragique, en 2008, du jeune prodige Lawand Hajo (لاوند هاجو), Mey Sefan (intéressant portrait, en arabe, dans Al-Akhbar) reste la principale animatrice de la danse contemporaine dans son pays. Sur le mode de Takwîn au Liban, elle y a créé en 2009 Tanwîn (Tanween), une plate-forme qui sert de relais au réseau Mesahat et qui a permis, pour la seconde édition du Bipod damascène, de présenter le travail de deux troupes syriennes (Sima, la troupe créée en 2003 par Alaa Kremid (علاء كريمي), et Eyas Mokdad (إياس المقداد), formé, comme la plupart des danseurs locaux, à l’Institut national des arts théâtraux de Damas).
Bien d’autres noms devraient figurer dans ce tableau d’ensemble car c’est dans tous les pays du Moyen-Orient que surgissent de nouveaux talents, y compris dans les lieux les plus inattendus. Ainsi, dans l’Irak de la guerre et de la destruction, a surgi Muhannad Rasheed (مهند رشيد), qui a présenté à Bagdad, en 2004, un spectacle au titre significatif : The Dream (vidéo en suivant ce lien).
Aujourd’hui établi à Amsterdam, Muhannad Rasheed se produit parfois avec Ahmed Khemis (أحمد خميس), un danseur algérien très influencé par le hip-hop (mais il s’est formé en Tunisie où, depuis 1995, les Rencontres chorégraphiques de Carthage – avec Walid Aouni au programme cette année d’ailleurs -, constituent un des temps forts de la saison culturelle). Toutes les formes du street dance sont également présentes dans le travail de la troupe Vent de sable. Fondée en 2004 par le chorégraphe Rayddinne Bouhadja et les danseurs, Raouf Bakkouche, Abdelhak Zeggar, Samir Cheriro, Walid Borni et Hamza Billel représente peut-être le meilleur de ce que l’on pourrait appeler “l’école algérienne” de la danse contemporaine (article sur le bon site Algérie 360).
Au Maroc aussi, la danse contemporaine connaît depuis quelques années un essor étonnant, grâce à des personnalités comme la chorégraphe Bouchra Ouizgen (entretien dans Babelmed). Etroitement associée à la création, en 2006, de On marche !, le festival international de danse contemporaine de Marrakech, Bouchra Ouizgen est notamment la créatrice de Madame Plaza (du nom d’un ancien cabaret de Marrakech), spectacle “hors-norme” qui rend hommage, en leur donnant la scène, à ces femmes libres qui interprétaient – jadis ou presque – le Aïta, une forme musicale propre au Maroc.Pour ceux qui seront allés jusqu’au bout de ce très long billet (surtout si vous ouvrez tous les liens !), quelques minutes de Madame Plaza.