Sarah Kaminsky retrace la vie trépidante de son père, entrainé dans la fabrication de faux papiers pour raison humanitaire. Elle nous livre sa confession sous forme d’une conversation à laquelle je me suis sentie en position d'invitée. C'’est très agréable parce que cela introduit la juste distance nécessaire pour digérer des faits aussi terribles.
L’idée de démarrer directement le récit, chapitre 1, puis d’attendre le chapitre 2 pour introduire un questionnement m’a parue astucieuse. Le tutoiement est d’ailleurs à double détente, surgissant du souvenir quand Adolfo Kaminsky relate d’anciennes conversations, puis s’inscrivant dans le présent dès qu’il soumet des commentaires à sa fille, quand ce n’est pas nous lecteurs qui nous sentons interpellés.
La première partie du livre, consacrée à la seconde guerre mondiale m’a particulièrement passionnée. Parce que c’est une page de l’histoire encore proche de notre pays. Mes grands-parents et mes parents l’ont vécue et je n’ai pas pu m’empêcher de songer qu’ils auraient pu eux aussi avoir besoin d’une carte d’identité pour sauver leur peau, tout simplement.
Particulièrement poignant ce passage où le jeune Adolfo tente de convaincre une famille de fuir et s’entend répondre (page 18) que les camps de la mort n’existent pas et que ce sont des mensonges de la propagande anglo-américaine. On fait aussitôt le lien avec le formidable livre de Bruno Tessarech, les Sentinelles, expliquant précisément comment le silence a pu plomber les consciences. Également en lisant (page 65) que des réseaux juifs collaboraient avec les nazis.
Nous approuvons évidemment sans réserve l’action de l’homme dont la compétence, le courage et la détermination forcent le respect. On se demande si on aurait su faire preuve d’autant d’abnégation et d’intégrité. On frémit en réalisant que tous ceux qui avaient besoin de faux-papiers savaient à qui s’adresser (et que donc la police savait aussi). Les précautions du faussaire sont dignes, et pour cause, de ce que décrirait un roman d’espionnage.
On salue aussi la simplicité de ce héros qui explique le point de départ de son art : de « banales » connaissances en chimie laitière. Il est vrai que, enfant, j’ai toujours vu maman dissoudre les taches d’encre qui maculaient mes vêtements au retour de l’école en les faisant tremper dans du lait. Il faut tout de même du talent pour réinvestir cette notion dans la fabrication de faux papiers …
La suite des évènements m’a semblé plus complexe à saisir mais je ne saurais juger la pertinence de tel ou tel combat parce qu’on se situe alors dans un contexte idéologique. On mesure d’ailleurs combien l’engagement a du être difficile à tenir pour l’homme qui ne se sent pas concerné par l’espionnage militaire en temps de paix et qui n’a aucunement une « vocation » à rester faussaire (page 105). On partage les sentiments qu’il a du éprouver à la Libération, en constatant que le racisme n’allait pas disparaitre.
En tout cas ce témoignage nous fait nous sentir bien petits, à l’abri dans notre confort moderne, même si le débat se trouve relancé par la délicate question des « sans papiers », qui n’est d’ailleurs pas abordée directement dans le livre.
S’il fallait retenir une seule citation ce serait celle-ci (page 116) : Deux choses ont régi la plupart des actes de résistance de ma vie.
Adolfo Kaminsky, une vie de faussaire de Sarah Kaminsky chez Calmann-Lévy