A travers cette histoire sordide, je voudrais revenir sur l’infinie fragilité des personnes prostituées. Le regard qui est porté sur les personnes prostituées – et on l’a vu dernièrement – est infiniment cruel, moqueur et pour tout dire indifférent à part lorsqu’il s’agit de faire quelques plaisanteries graveleuses ou de porter des jugements moraux. Les lois entourant et réglementant leurs activités ne font que les fragiliser davantage.
Par ailleurs, ce fait-divers permet de revenir sur la situation des femmes autochtones au Canada.
En 1997 en Colombie britannique une prostituée Wendy Lynn Eistetter se présente au commissariat. Elle porte de très graves blessures à la gorge et au ventre causées par une arme blanche. Elle accuse nommément un agriculteur du coin qui fut mis en accusation… puis l’affaire fut classée.
Dans cette région les disparitions et/ou meurtres de femmes, en particulier amérindiennes, sont nombreux. En 2008 les membres de Walk4justice ont lancé une grande marche pour attirer l’attention sur les disparitions et les meurtres de plus de 3000 femmes amérindiennes depuis 1969.
Ici un article sur la violence dont les femmes autochtones sont victimes au Canada : Les femmes amérindiennes ont cinq fois plus de risques de mourir de mort violente que les femmes d’une autre ethnie.
Vous avez ici un rapport de l’ONU : “Il a demandé instamment au gouvernement d’examiner la violence et la discrimination envers les femmes autochtones“.
Revenons à notre histoire. Il était déjà connu que des dizaines de prostituées disparaissaient à Vancouver. Manque de pot elles étaient prostituées, souvent toxicomanes et souvent amérindiennes. C’est dire que leur sort était déjà scellé. Les appels des familles, des associations restaient lettre morte. “Elles reviendront”, disait la police.
En 1998, plusieurs familles de prostituées signalent la disparition de leur sœur/mère/nièce etc.
Le propriétaire d’un site web recensant les disparitions des prostituées reçoit le témoignage d’un des employés de l’agriculteur. La même année Kim Rossmo, policier et spécialiste des tueurs en série, constate qu’il y a une disparition significative de femmes et penche pour l’hypothèse d’un serial killer. Il propose la création d’une commission et d’écrire un communiqué pour alerter la population ; des guerres intestines au sein de la police font que ce communiqué ne verra jamais le jour. Toujours la même année, la femme de ménage de l’agriculteur va signaler à la police qu’elle a trouvé des vêtements tâchés de sang ; la police argue que la ferme se trouve sur le territoire de la gendarmerie et ne peut rien faire.
Ce n’est qu’en 2002, parce qu’il commence à avoir vraiment beaucoup de disparitions, que près de 70 femmes ont disparu, qu’on perquisitionne chez cet agriculteur.
Devant l’abondance de preuves irréfutables, il est alors mis en examen et jugé. On décide de le juger en plusieurs procès eu égard au très grand nombre de meurtres commis.
Le premier procès concerne le meurtre de six femmes : Serena Abotsway, Mona Wilson,Andrea Joesbury, Brenda Ann Wolfe,Marnie Frey et Georgina Faith Papin.
Les enquêtes et le procès ont couté plus de 70 millions de dollars canadiens. Malheureusement, il y a eu entre temps les JO et la ville de Vancouver n’a plus un sou. On ne sait donc pas si un jour l’agriculteur sera jugé pour les autres meurtres et si on finira d’étudier les traces AN et preuves trouvées. L’agriculteur a été reconnu coupable de meurtres au second degré.
“La réalité politique, c’est que si ces femmes avaient été des Blanches de l’Ouest de Vancouver, la réaction aurait été fort différente. Et je mets quiconque au défi de me dire le contraire… sans mentir!” critique Kim Rossmo.
On constate bien que les personnes prostituées, les femmes autochtones, sont des proies de choix pour les criminels, d‘abord à cause des lois en vigueur, ensuite à cause de notre perception des prostituées.
Au delà de ce fait divers atroce, la seule question qui mérite d‘être posée est “dans un pays soit disant “civilisé” une femme qui se prostitue a-t-elle droit à la même justice qu’un citoyen lambda ?” La réponse est non.
“Une femme autochtone au Canada a-t-elle droit à la même justice qu’un non autochtone”. La réponse est non.
Comme au Canada, les associations défendant les droits des prostituées n’arrivent pas à se faire entendre. On leur explique que, si elles sont agressées/violées, assassinées, c’est du fait même de leur activité. A ce compte là autant interdire également le mariage vu le nombre de crimes au sein du couple. Il est donc difficile pour les associations de montrer que, plus on les criminalise, plus elles sont fragilisées. On n’a évidemment que peu de statistiques car soit on ne croit pas les prostituées, soit on en rigole (”une prostituée violée ?cela n’existe pas ! “), soit on se dit qu’elle l’a bien cherché.
A ce compte là n’importe quel criminel a des proies de choix sous le nez.
Ce qui s’est passé au Canada pourrait arriver ici ; la loi sur le racolage passif, la perception goguenarde et insultante des français face aux personnes prostituées, créent, de fait, des situations où les prostituées sont des victimes de choix pour les criminels.
Le fait d’être autochtone (indien donc) rajoute encore à ces discriminations. On n’a commencé à s’intéresser aux femmes disparues sur la highway of tears (voir lien en dessous) qu’à partir du moment où une blanche a été assassinée.
Différentes sites qui peuvent vous intéresser :
Justice for Missing and Murdered Indigenous Women
La liste des femmes disparues à Vancouver
Les femmes autochtones trop souvent victimes de violence raciste et sexiste