Voilà un rapprochement tout à fait fortuit que je n'aurais jamais pu faire si avant d'aller visiter l'exposition du Greco à Dali au Musée Jacquemart-André, je n'avais découvert en fort bonne compagnie l'exposition Lucian Freud. L'atelier au Centre Pompidou.
Même traitement du clair-obscur, même corps frêle, vieux et décharné, même épaule droite dénudée, même importance de leurs attributs respectifs (la croix, le drapé rouge et le crâne pour Saint-Jérôme ; les pinceaux, les tubes de couleur et le mur de l'atelier foisonnant de peinture), même essai de résumer en une seule image l'intensité de toute une vie consacrée à l'ascèse pour Saint-Jérôme, à l'art et à la peinture en particulier pour Lucian Freud.
Chez Ribera, l'expressivité du visage et le rendu de la chair sont époustouflants et "dans cette représentation, la méditation, l'interrogation sur la
destinée humaine prime sur le détachement ou la pénitence". Cette chair décharnée, Lucian Freud va particulièrement bien la rendre dans ces deux autoportraits où il se peint sans complaisance. Dans "Painting Working Reflection", 1993, il se peint nu, "une palette à la main, portant de vieilles chaussures sans lacets. Contrairement aux portraits de ses proches, allongés, endormis, le regard fuyant ou distrait, Freud se représente concentré, le regard acéré" (1). Ce n'est plus le cas dans ce "Self-Portrait, Reflection" de 2002 où l'on voit une fois de plus ce regard fuyant, même si la tête de l'artiste "les empâtements qui constituent le nez et le front de l'artiste, ainsi que le nuage ébouriffé de la chevelure grise de Freud entre en dialogue avec le pan de l'arrière plan" (2).
Chez Ribera, Saint-Jérôme est happé par la lumière divine, chez Freud, l'artiste à la recherche de l'éternité, se fond dans sa création.
(2) Lucian Freud, L'Objet d'Art, Hors Série, n° 48, p. 44