L’obsession de l’eau chez Virginia Woolf.
“Mais, si l’on s’asseyait au milieu des joncs pour regarder l’étang -les étangs exercent une curieuse fascination, on ne sait laquelle- , les lettres noires et rouges, le papier blanc semblaient un simple pellicule sous laquelle roulait une vie aquatique profonde, tel un esprit qui songe et médite. Bien des gens avaient dû y venir au fil de leur vie, au fil des âges, laisser tomber une pensée dans l’eau, lui poser une question, comme on le faisait soi-même en ce soir d’été. peut-être était-ce le secret de cette fascination : il retenait dans ses eaux toutes sortes de rêves, de plaintes, de confidences, non pas imprimées ou dites à voix haute mais à l’état liquide, flottant les uns sur les autres, presque désincarnés. Un poisson les traversait, se faisait couper en deux par la lame d’une roseau ; la lune les annihilait de sa grande assiette blanche. Le charme venait de ce que, les gens partis, leurs pensées étaient restées et, sans leurs coprs, entraient vagabonder le temps qui leur plaisait, libres liantes et amicales dans l’étang commun.”
La fascination de l’étang, Virginia Woolf, 1926.
Peinture d’Isaak Ilitsch Lewitan, 1895.