Évidemment, j’aurais dû mieux lire le communiqué de presse avant d’aller voir Emporte-moi au MAC/VAL (jusqu’au 19 septembre), me dire qu’aller voir une exposition sur les ‘turbulences du sentiment amoureux’ n’était peut-être pas la manière idéale d’oublier mes propres turbulences, j’aurais dû penser une seconde que la rétention de mes propres larmes devant La déclaration de Anne Brégeaut , lettres d’amour sans doute froissées par une destinatrice n’y attachant guère de prix, allait paraître étrange à mes compagnons de visite, même si, au même moment, juste derrière nous, Bas Jan Ader s’épanchait dans I am too sad to tell you, j’aurais dû remettre une telle visite à des jours plus ensoleillés, moins incertains.
Mais je ne l’ai pas fait et j’ai donc vu avant tout ici les tristesses amoureuses, des hommes et des femmes en pleurs dans toute l’exposition : après Bas Jan Ader, Jesper Just fait pleurer des messieurs virils et respectables dans une pub aux accents de Crying (No man is an island II), Hayley Newman pleure en public dans le métro avec ses lunettes trafiquées et Cécile Paris déclenche (certes avec un oignon) les larmes de sa protagoniste tatouée. Dans un roman de Philippe Djian (lequel ? j’ai oublié), un homme rejeté offre à son ex un flacon plein de ses larmes, soigneusement recueillies au fil des jours. Ayons tous un flacon prêt, ça peut servir.
Après, il y a des chansons (Jesper Just, mais aussi Diane Borsato), des baisers (Melanie Manchot sans respirer pendant 10 minutes dans un bus londonien, Kiss de Warhol en dérision anarchiste du code Hays, et Douglas Gordon embrassant son propre reflet dans un miroir, les lèvres enduites de scopolamine, un ’sérum de vérité’), mais très peu de sexe, à part les deux vidéos (déjà vues au Barbican) de k r buxey et de Warhol, face à face, cunnilingus et fellation extatiques pendant 40 minutes (c’est très long pour un tel exercice, m’affirme-t-on avec autorité).
Le film de Warhol, Blowjob, de 1963, est silencieux; il ne montre que le visage de ce jeune homme. Les images en noir et blanc, filmées à 24/seconde, défilent plus lentement à 16/seconde; c’est lent, le film dure 41 minutes, la forte tension des premières minutes se dissipe, on s’ennuie un peu. L’orgasme est banal, le jeune homme allume nonchalamment une cigarette, rien de plus ordinaire que le sexe. L’artiste anglaise k r buxey se met en scène elle-même dans Requiem, un film en couleur de 39 minutes réalisé en 2002.
Plutôt qu’à l’acte, le titre se réfère à la musique, le Requiem de Fauré, qui accompagne son orgasme. C’est une riposte féministe à Warhol, une affirmation différente du plaisir, la réponse de Sainte Thérèse ou Sainte Catherine à Saint Sébastien. A la fin, elle remercie son amant, invisible, à genoux devant elle, de l’avoir emmenée au septième ciel : aux antipodes de la pornographie et du plaisir égoïste et solitaire de Blowjob.
Il y a aussi quelques accessoires alléchants, un ruban de Moebius de Lygia Clark, objet relationnel pour lier les mains des amants (Hand Dialogue), et un siège biplace suspendu de Christelle Familiari, conversation piece en forme de confessional ou de sexe féminin, c’est selon..
Beaucoup trop de Pierre et Gilles, aucun Paul-Armand Gette qui aurait bien plus eu sa place ici. Les vagues de Thierry Kuntzel dépourvues de leur interactivité perdent beaucoup de leur intérêt. Et une jolie histoire : l’actrice Samantha Morton vient poser nue chez l’artiste Fiona Banner; cette dernière rédige un poème sur le corps de l’actrice, un blason du corps féminin. Peu après, lors d’une performance publique, Samantha Morton découvre ce texte au moment où elle le lit devant une audience : en public, elle parle de son corps en des termes très beaux, non sans hésiter parfois devant les mots érotiques qu’elle déchiffre (’arse moon white’). Cette lecture est unique, par essence, et non documentée, par dessein. Mais un spectateur la filme clandestinement, et c’est cette vidéo qui est ici diffusée : une apothéose de voyeurisme, de délectation du regard.
Voit-on différemment cette exposition les jours où on se sent heureux en amour ? J’essaierai, un jour… À l’accueil du musée, un petit test amour, façon Marie-Claire; nette majorité de triangles dans mon cas.
Avertissement : Toute ressemblance avec une situation réelle etc.
Ailleurs dans le musée, belle installation de Mona Hatoum (Suspended) : dans cette forêt de balancelles, on tente de reconnaître les plans de villes connues. Mona Hatoum, l’exilée, la transplantée, la fille d’épurés ethniques chassés de leur patrie, s’est toujours intéressée aux territoires, aux cartes, aux signifiants géographiques. Certes, la ville entre les villes, Jérusalem, manque à l’appel, mais ces chaînes de balançoires, ludiques et emprisonnantes, scandent notre passage dans cet espace avec force. Au premier plan, Hanoï; derrière, Rome, Dehli, Bogota, Damas,…
Photos 1, 5, 6 et 7 de l’auteur. Andy Warhol et Christelle Familiari étant représentés par l’ADAGP, les reproductions de leurs oeuvres seront ôtées du blog à la fin de l’exposition.