D’ordinaire le printemps voit fleurir les plates bandes avec d’autant plus de vigueur que l’hiver a été rude et long. C’est vrai en jardinage, plus discutable en politique. Il faut admettre que l’on s’active dans les massifs de droite : ça désherbe, ça taille, ça replante à tout va, on relève les manches et croise les doigts. Vous pouvez détester le jardinier, moquer ses gros sabots, trouver qu’il n’a plus la main verte ; on ne peut pas lui reprocher de se tourner les pouces.
Quoi de neuf de l’autre côté du jardin ? Les semaines, les mois passent : rien dans la brouette. Huit ans depuis le feu bactérien de 2002, et le Parti de la rose n’a toujours pas produit sa nouvelle variété. Bien affûtés pour dénigrer le jardinier d’en face, les horticulteurs « progressistes » piétinent -c’est un comble- entre le zist et le zest du rosier tige sans épines et du rosier buisson à l’ancienne. Vous verrez qu’ils n’annonceront pas la couleur avant la veille du Grand Comice-2012. Cette course de lenteur a son parfum de suffisance : on se flatte sans doute que la clientèle au grand cœur achètera les yeux fermés ; mais surtout son parfum d’inquiétude : on craint que les vertus spécifiques de la fleur nouvelle résistent mal à l’examen : « Et rose (aurait) vécu ce que vivent les roses / L’espace d’un matin »…
Le collectif des jardiniers PS (puisqu’ils peinent même à choisir leur chef) tient sur tout sujet des propos évasifs, généralement frappés au sceau rhétorique du « certes…mais » : certes la sécurité est une chose nécessaire, mais c’est pas beau de punir ; certes il est bon de récompenser le mérite, mais le profit pue ; certes la burqa bafoue le droit des femmes, mais le respect des cultures n’a pas de prix. Le non choix est le terreau sur lequel les socialistes rêvent de faire pousser la fleur idéale, qu’on baptiserait « corolle des matins purs », ou « calice des soirs radieux », merveille que le peuple achèterait avec ardeur, repiquerait chacun dans son lopin avec la dévotion confondante du délinquant régénéré, de l’islamiste laïcisé et du trader attendri au premier coup de narines dans les divins pétales.
Tant de retardement et de circonspection avant de dire ce qu’on est, sur quel pied l’on veut danser et qui mènera le bal, est signe non pas de réflexion mais d’incertitude ; non pas de caractère, mais de couardise. Le sempiternel reproche fait à Sarkozy par les hiérarques du PS de vouloir passer en force, de ne pas prendre le temps d’une vaste concertation, de verrouiller les calendriers, peut se lire non comme un désir de réflexion approfondie mais comme la peur de prendre parti : et si le fameux précepte « donner du temps au temps » n’était, à la longue, qu’un art de l’esquive ?
Cette histoire de fleur compliquée m’en rappelle une autre, aussi fameuse quoique plus poétique. On la trouve au chapitre VIII du Petit prince. A l’aviateur échoué dans le désert l’enfant raconte son amour déçu pour une rose :« Elle n’en finissait pas de se préparer à être belle, à l’abri de sa chambre verte. Elle choisissait avec soin ses couleurs. Elle s’habillait lentement, elle ajustait un à un ses pétales. Elle ne voulait pas sortir toute fripée comme les coquelicots. Elle ne voulait apparaître que dans le plein rayonnement de sa beauté. Eh! oui. Elle était très coquette ! Sa toilette mystérieuse avait donc duré des jours et des jours. Et puis voici qu’un matin, justement à l’heure du lever du soleil, elle s’était montrée. « Ah ! Je me réveille à peine… Je vous demande pardon… Je suis encore toute décoiffée… » « Que vous êtes belle ! » « N’est-ce pas, répondit doucement la fleur. Et je suis née en même temps que le soleil.. » Le petit prince devina qu’elle n’était pas trop modeste, mais elle était si émouvante !… Il fut vite tourmenté par sa vanité un peu ombrageuse. Un jour, par exemple, parlant de ses quatre épines, elle avait dit au petit prince : « Ils peuvent venir, les tigres, avec leurs griffes !… Je ne crains rien des tigres, mais j’ai horreur des courants d’air. Vous n’auriez pas un paravent… Le soir vous me mettrez sous globe. Il fait très froid chez vous. C’est mal installé. Là d’où je viens… » Mais elle s’était interrompue. Elle était venue sous forme de graine. Elle n’avait rien pu connaître des autres mondes. Humiliée de s’être laissé surprendre à préparer un mensonge aussi naïf, elle avait toussé deux ou trois fois, pour mettre le petit prince dans son tort : « Ce paravent ?… » « J’allais le chercher mais vous me parliez ! »
Oui, la rose parle, parle, mais pour ne rien dire. Pourtant, la planète du petit prince, astéroïde B 612, n’est pas la seule dangereuse. Sur la T 2010, on ne compte pas non plus les baobabs tentaculaires, les volcans mal ramonés, les tigres, les courants d’air. Où trouver chez nous les secours, les épines protectrices, les globes, les paravents ? Il serait tant que la rose, au lieu d’imprécations contre les maux et de récriminations contre les médecins, se décide, enfin ! à formuler clairement ses diagnostics et prescrire sans ambages ses remèdes.
Arion
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