Dijon a beau être une ville d'art et d'histoire, elle n'en est pas moins au rabais culturellement, tentant désespérément de trouver son identité propre. Le festival Kill your pop, événement musical majeur et unique de la ville, s'essaye cette année à l'ouverture électrique (Zombie Zombie, DIRTY Soundsystem), la poésie du parlé-chanté (Poni Hoax), la puissance mélodique (Koudlam).
Des noms ronflants qui laissent présager la plus belle des rêveries. Soyons honnêtes: non, ce fut un cauchemar aussi interminable qu'un «See your all»l sous acide. Voici donc le récit d'un cuisant échec.
Dijon-ville, 17H30. Il est déjà trop tard.
Je retrouve ma photographe un peu allumée, fringuée comme une vieille cougar prête à saisir la moutarde de dijonnais imberbes. Nous verrons plus tard que ce sera finalement un batteur sosie de Dino (oui, de Shirley & Dino) qui se retrouvera sous le charme de la princesse ténébreuse. «Rugissement de tigre enroué». Mais pour l'instant, préservons le suspens. Après quelques pintes descendues dans un troquet de gare où déjà trois alcoolos décuvent au comptoir (dont un motard cuirassé qui m'effraie, mais je crois que ces boursouflures alcoolisées en œdèmes faciaux y sont aussi pour quelque chose), il est grand temps de s'y mettre et de se rendre au premier rendez-vous, salle de la Vapeur. Après de longues minutes passées dans «le bus le moins cher de France» selon un autochtone, je suspecte un drame futur. La navette est quasiment vide et les seules braves personnes à bord sont propres, belles mais mon dieu, bercées d'un esprit sectaire des plus inquiétants. Et surtout, caricatures sur pattes du «je veux faire branché avec ma veste fluo zippée à virgule». Cependant, je me rassure et me dis que ces allégations sont bien trop pressées.L'entrepôt, si petit soit-il, sonne creux. La population qui s'y retrouve est déprimante. Des petits groupes d'enfants de 16 ans qui n'ont même pas la décence de se foutre debout, assis là, comme des gros babos fumeurs de joints pour la paix et contre le cancer (cette expression m'est copyrightée, merci d'en prendre note). Le spectacle donné n'est pas là pour relever le niveau. Egadz, l'enfant pingouin né à deux doigts par mains, joue sur un MPC et distribue du sous Dj Shadow, du sous Kitsuné (faut le faire). Du sous tout quoi. Un environnement aussi flippant, une musique aussi affligeante, longtemps que je serais parti, à Paris. Mais il y a Clovis G. et son Dirty Soundsystem. Nicolas K. et ses Poni Hoax...
«Mais c'est ça qu'est bon putain, on ne te demande pas d'être un jeune ump-iste à sourire comme un con. Tu emmerdais tout le monde, c'était superbe. Car je me retrouvais en toi.» Nicolas Ker
Le très professionnel Boris me fournit gentiment des pass loges en m'expliquant très lucidement «qu'une ville qui blinde avec Coeur de Pirate et programme les Brian Jonestown Massacre un dimanche à 18h, bah, c'est pas évident». Je suis compréhensif. Nicolas Ker est déjà très haut, faisant les cent pas dans le peu de mètres carrés disponibles. Laurent, déjà croisé à Paris, m'explique gentiment que Ker est parti dans un monologue - comme à son habitude - et que je dois attendre quelque peu avant de pouvoir l'aborder. Comme l'interdiction de réveiller un somnambule, ne jamais s'aviser de couper un Nicolas Ker. Le batteur du groupe, Vincent - celui que je présenterai comme le déconneur de la bande, le feux follet du groupe, le gentil fanfaron survolté - est encore calme. Attendons donc quelques verres de vodka et nous voilà partis dans une discussion enflammée sur la couverture d'un Paris Match racoleur et cette blonde photoshopée, maitresse de footballeur balafré.
Je suis heureux d'être là car, et oui, ce sera la seule nuit du week end où je rencontrerai des gens ouverts, intelligibles et surtout, rock'n'roll. La définition de cette attitude, je n'en sais rien et honnêtement je m'en branle. Ce que je sais par contre, c'est son contraire. Car voyez-vous, voilà quelques bribes de souvenirs cauchemardés : un concert folk en appartement, des gens fermés, sectaires, ignares, aigris par une vie pourrie, terre à terre, sans humour, choqués pour une cigarette volée ou une insulte déplacée, chez qui l'absurde n'existe pas, le premier degré science inégalée.
Après avoir vanné une équipe de radio un brin teubée, je m'assois en arrière scène avec Nicolas Ker et Clovis Goux. Nicolas m'explique à quel point mon attitude déglinguée de jeune con révolté lui rappelle sa jeunesse. Notamment lors de notre seconde rencontre, il y a quelques mois au bar Sans souci à Pigalle. «Mais c'est ça qu'est bon putain, on ne te demande pas d'être un jeune ump-iste à sourire comme un con. Tu emmerdais tout le monde, c'était superbe. Car je me retrouvais en toi.» Marrant, car cette bourgeoisie complexée et consanguine de jeunes UMP-istes est la parfaite définition du public présente à Kill your pop. Un festival qui n'a jamais aussi bien porté son nom. L'ironie aurait été plus juste avec Kill your Rock. Le débat s'échauffe quelque peu lorsque je fais part des restrictions journalistiques actuelles, des interdictions de publications, du publi-reportages. «Mec, arrête avec ça. C'est de la connerie pure. Putain si tu as envie d'écrire, tu fais comme tout le monde et tu prends un crayon, un papier. Et tu publies. Il est toujours possible de se faire entendre. Alors arrête avec ces restrictions, notre liberté d'expression est là. Tu as tous les droits.»
Le D.I.R.T.Y. Soundsystem envoient un set qui légitime leur rang de meilleur duo Dj parisien. De la culture de l'esthétisme sonore à la délicatesse d'une électro pointue. Ma photographe me signale que la salle est vide, les jeunes cons fument dehors et le peu de gens qui dansent s'imaginent en bal musette. «Bon on va jouer pour les murs», me glisse Clovis. Et encore, la fraîcheur de la taule serait sûrement plus accueillante que cette salle. Poni Hoax reste également fidèle à lui-même, du Ian Curtis sous acide, toujours aussi génial à déguster. Vincent balance des vannes d'un accent du sud moqueur. Les gens ne comprennent pas. Moi, je rie. La soirée s'achève chez un dijonnais déchiré à balle mais d'une pertinence hors norme, gros geek loup solitaire plaqué la gueule sur wikipedia, grand pratiquant de la culture «dont tout le monde s'en fout» comme j'aime l'appeler. Il me fait découvrir le premier western pour nains de 1936, la plus belle création d'un Stephane Eicher voulant être un jour un ours polaire, les plus beaux buts de Johan Cruyff et son maillot à deux bandes («Mais tu as vu la classe, il n'y a que deux bandes sur son maillot. Pas trois, car il refusait de porter du adidas. C'est énorme») aux plus obscurs singles de disco italienne des années 85. Passionnant. Il est 11 heures. Un hôtel crapuleux m'attend. «Le moins cher, assurément, de toute la ville». La journée sera courte.
Levé 18 heures, la chasse d'eau est en rade.
Technique que je préconise à tous les kosovars, prendre une poubelle, la remplir d'eau et la vider dans les chiottes pour un effet immédiat d'appel d'eau et d'évacuation des déchets. Là non plus, je me dois d'être à l'heure. L'équipe festivalière au nom CGT-iste «Sabotage» organise un apéro pré-concert dans «le bar hype de Dijon», le Quentin. Encore une fois, la déception est de mise. L'ambiance est glaciale. Mes blagues ne font pas rire. Je suis le seul mec qui ose aborder une table géante d'espagnoles en chaleur. Et ça, c'est un signe fort qui m'est lancé. Personne n'ose se parler alors que tout le monde se connait. Les gens se chient sur la gueule, les critiques fusent dans un esprit de gaminerie à vomir ses tripes. Heureusement que mon effilée bouteille de gin me remplit le gosier pour (tenter) d'avaler cette ambiance de curés violeurs de valeurs. On ressent la ville détachée de l'événement. Quelques affiches ici et là mais aucune émulation, aucune réelle fièvre de déglingue juvénile un peu con. Je viens d'apprendre que uniquement 75 places seront vendues ce soir. Pas de pré-ventes. Premiers arrivés, premiers servis.Cette seconde soirée est organisée sur une bien maigre péniche. L'idée est plutôt bonne, ambiance Batofar de l'époque, légèrement lugubre mais vu la succincte surface disponible, l'atmosphère devient plus conviviale. Vous comprenez à Dijon, remplir une salle de 300 personnes, c'est infaisable, 75 ça passe ; et sur un bassin bourguignon de près de 150 000 personnes tout de même, ça fout les jetons. Bref, ma générosité historique ne laissera pas de matelots sur le carreau. La distribution peut donc commencer : 3 pass, 3 noms sur liste, des bracelets rouges, c'est parti, qui m'aime me suive. Le premier set en warm up de Koudlam est une monstruosité électrique sans précèdent, d'un amateurisme de Dj blanc à faire chialer nos héros des D.I.R.T.Y. hier soir. Une sorte de jukebox humain bourrinade maison, sans effet de transition, pas même capable de loops ringardes ou d'effet boule à facette. Ca schlingue le fake-clubbeur qui découvre Virtual Dj sur une platine Hercules fraichement montée. Je sors, immédiatement. Je croise Boris, lui fais part de mon envie urgente de rencontrer Koudlam. Ce sera après son concert. Ma mémoire flanche quelque peu.
Soudain, c'est le drame. Un organisateur quinquagénaire, la bedaine frétillante, suintant de tout son corps le kebab sauce blanche aux couleurs de son pull coll V de golfeur sans talent vient me faire chier: «Euh, tu te calmes maintenant. Sinon, je t'exclue du festival illico.» La menace est terrible, je tremble. Les deux rombières au rabais derrière lui gloussent, le sentiment de puissance malsaine, comme un mac protégeant son bétail botoxé. En signe de compréhension, mes mains glissent sur mon visage à plusieurs reprises avec du «je me calme, je me calme» en guise d'effet Scoubidou, mode Gart Halgard. Les deux organisatrices à la billetterie n'en mènent pas large. Je reconnais d'ailleurs celle par qui mon accréditation a été validée par mail et ma principale correspondante du festival. C'est la panique au festival. Un individu fait le con, pique des bières et parle aux gens. Alerte rouge, il se pourrait également qu'il s'amuse et ne ferme pas sa gueule comme la chiasse fausse bourgeoise qui s'attelle à s'emmerder. L'ambiance électrique se dissipe quand un jeune homme m'interpelle. «Putain tu vois la rue là juste devant la péniche, n'y vas jamais. Ça craint à mort. Toi tu viens de Paris, alors pour te donner un exemple, ici, c'est la Seine Saint Denis». Je n'analyserai pas cette phrase. Vous l'avez déjà fait. Bon Koudlam m'a posé un lapin. Rien de grave. Tout me dégoûte ici. Je me casse.
Le but d'un concert en appartement ? Kill your pop n'en a aucune idée.
Encore une preuve du «faire comme». André Herman Düne et Vampire Weekend le font à Paris. Hm. En voilà une bonne idée. Nous, petit festival sans moyen, prenons des groupes folk miteux et pas chers pour les foutre dans un appart': tellement underground. Le but d'un tel événement est logiquement d'ouvrir entièrement l'appartement, que l'on puisse se balader, de la cuisine au salon, des chiottes au balcon. Que devant un groupe venu souvent volontairement, les gens se rencontrent, discutent, boivent un coup, et ouvrent un minimum leurs esprits critiques. Alors qu'en ce début d'après-midi, c'est une kermesse qui ouvre ses portes dans cette cour intérieure sublime. Open jus de pomme-cacahuètes, les nouveaux parents (Mon dieu que je hais cette espèce, mais c'est un autre débat) sont ravis. L'ambiance est tendue. Boris me salue froidement. Un malaise de collégien s'installe, ma présence dérange.Je suis perplexe de ce pathétisme hypocrite à l'extrême. Les gens rentrent sur la pointe des pieds. Pas un bruit, pas un mot de plus que l'autre. Putain, on se croirait dans une foutue cathédrale, le silence est assourdissant. Personne n'ose s'installer dans le canapé. C'est à mourir de rire. Bah moi j'y plonge. Et me voilà affalé dans les coussins, prêt à pioncer. Les autres sont assis par terre. Ne se regardent pas. Ne se parlent pas. Ne rient pas. A quoi bon être ici ? Autant se foutre dans un maudit théâtre aux murs rembourrés ou dans une salle de concert, simplement. Eliote and the ritournelles nous offre une belle escroquerie. De la folk faussement imaginative, tentant désespérément de trouver des palliatifs à leur manque flagrant de talent. La jeune trentenaire en salopette oublie ses partitions. Au lieu de s'assumer, elle tourne le dos au public, bafouille avant de changer de morceau. Encore une fois, pourquoi ne pas en jouer. Les coincés du fion sont mal à l'aise. La chanteuse ose même par la suite préciser que c'était une reprise de Billie Holliday. Ignoble. Sommeil, impossible de bouger le moindre cil. Sinon, c'est la mise à l'amende. Pour conclure le feu d'artifice, le vieux gars chauve réac' au fond du salon balance en fin de concert, droit dans ma direction : «Et merci de bien laisser le canapé aux enfants et femmes enceintes présentes, ce sera gentil...». A l'unisson, comme une joviale conférence de fachos FN-iste, «Oh oui c'est vrai, quelle honte». Mais votre putain de canapé bande de trous du cul, personne voulait s'y foutre. Cassos immédiat, c'est la goutte qui me fait exploser. Furie meurtrière. Il est grand temps de rentrer et tout abandonner. Notre TGV demain à 14H00 est désormais notre seule préoccupation.
Le rapprochement entre cette atmosphère dijonnaise et le festival Kill your pop peut vous paraître absurde. Il n'en est rien. La ville entière ne respire que par le faux. Aucune identité culturelle, aucune valeur propre. On ne ressent ici que l'aigreur d'une vie vécue par intra-veineuse, à seulement une heure et demi au dessus de la capitale. Et malgré une programmation à beaux noms, il semble évident que la réussite d'un festival ne dépend pas que la qualité du flyer. S(il est vécu dans une ambiance délétère et si peu accueillante, rien ne peut sauver ce naufrage collectif. Car c'est bel et bien un échec total qu'essuie Kill your pop; des artistes aux journalistes, la culture ne peut survivre si des mentalités aussi sectaires persistent à s'enfermer dans leur propre ignorance. Je souhaite bien du courage aux dijonnais. Il est encore temps de partir. En terme de comparaison, Angoulême et son ex Garden nef party, St Brieuc et son Art rock, Rennes et ses Transmusicales, Caen et son Beauregard : tous vivent la culture musicale à travers l'émulation collective et locale. Ici, le vide. C'est avec plaisir que je quitte cette terre.
"Photos": Lucille "Cougar" Sergent
http://killyourpop.blogspot.com/