Inventer de nouveaux modèles de développement

Publié le 08 mai 2010 par Thomas Ka
 

L'émergence du concept de développement durable, au tournant des années 1980, coïncide avec un événement historique sans précédent : pour la première fois, l'impact de l'espèce humaine sur la planète dépasse les ressources fournies par celle-ci.

Depuis, le phénomène n’a fait que s’accentuer, à travers le réchauffement climatique, la pression sur l'eau, les matières premières, la biodiversité... D’après les experts, les prochaines décennies seront décisives. Selon ce que nous ferons ou pas, le destin de la planète penchera dans un sens où dans l’autre.

Ces bouleversements sont si complexes qu’il est parfois difficile de s’y retrouver. C’est pourquoi nous avons voulu regrouper, en un document unique, les principales informations sur le sujet : quels sont les mécanismes à l’œuvre, en quoi cela nous concerne-t-il au quotidien, que peut-on faire pour y remédier…

Au fil de notre enquête, il nous est apparu que, davantage qu’une addition de pratiques convergentes, le développement durable repose sur un changement de paradigme complet dans notre manière de valoriser les ressources disponibles et le rapport que nous entretenons avec l’environnement.

C’est ce basculement que nous avons voulu retranscrire dans les pages qui suivent. Sans en masquer les risques, mais en signalant aussi quelques pistes d’amélioration. Pour vous donner toutes les clés de ce qui constitue un véritable virage de civilisation…

I. L'Émergence d'un nouveau concept

I.A. Une prise de conscience générale

      > Du rapport Notre avenir à tous (1987) au protocole de Kyōto

      > Une pression qui s’accentue

      > Les conséquences du réchauffement

      > Prélèvements hydriques

      > Atteintes à la biodiversité

      > Matières premières non renouvelables

      > Une ère nouvelle : l'anthropocène

II.B. La Multiplication des initiatives

      > Un phénomène culturel

     > La mesure de la situation

      > Le rôle des institutions

      > Règles, normes et labels

      > Villes et quartiers durables

      > Energie, transports, habitat

      > Industrie et agriculture

II. Réinventer notre rapport au monde

II.A. Quelles solutions pour l’avenir ?

      > Un défi pour le XXIe siècle

      > Mutation énergétique

      > Technologies du vivant

      > La géo-ingénierie et ses limites

      > Comportements et organisation

II.B. Changer de paradigme

      > La question de la valeur

      > Cinq pistes pour demain

      > La stratégie du réseau

III. Liens et bibliographie

I. L'Émergence d'un nouveau concept

  • I.A. Une prise de conscience générale
  •  

    >>> Du rapport Notre avenir à tous (1987) au protocole de Kyōto

    La notion de développement durable (en anglais sustainable development) a commencé à émerger comme une préoccupation majeure suite à la publication du rapport Notre avenir à tous par l'ONU en 1987. Egalement appelé « rapport Brundtland », du nom de la présidente de la commission chargée de sa rédaction, ce document part d'un double constat : l'état de l'environnement à l'échelle du globe se dégrade, tandis que les besoins fondamentaux d'une grande partie de l'humanité ne sont toujours pas assurés.

    Cet état de fait constitue en quelque sorte la rançon d’un succès, celui de la révolution industrielle entamée dans les pays occidentaux au cours du XIXe siècle, et qui a favorisé de nombreux progrès économiques et sociaux, en matière de santé, d’alimentation ou d’éducation notamment. Depuis, la population n’a cessé d’augmenter, alors que l’impact de chacun sur les ressources qui l’entourent s’est accru dans des proportions encore plus grandes. Le nombre d’habitants sur Terre a ainsi plus que doublé entre 1950 et 1987, tandis que la production industrielle était multipliée par 7.

    Les prélèvements se sont accentués en conséquence sur l’ensemble des richesses de la planète :

    - matières premières minérales,

    - réserves en eau,

    - sols cultivables,

    - écosystèmes.

    L’intense consommation d’énergie sur laquelle repose ce modèle de développement a également abouti à l’émission de quantités croissantes de gaz à effet de serre (CO2 principalement) dont on commençait à soupçonner, à l’époque du rapport Brundtland, sa possible contribution au réchauffement climatique – une hypothèse largement confirmée depuis. Cette élévation de la température à la surface du globe va à son tour entraîner des pressions supplémentaires sur les ressources naturelles (sécheresses, etc.), contribuant à restreindre celles-ci.

    Plusieurs sommets internationaux vont être organisés à la suite de cette prise de conscience. A Rio, en 1992, une centaine de chefs d’Etat et plus de 1500 ONG adoptent une déclaration, l’Agenda 21, qui égrène 2 500 recommandations en faveur du développement durable et de la préservation de l’environnement. A Johannesburg, en 2002, les responsables de la planète ont établi un premier bilan des actions lancées, tout en se penchant plus particulièrement sur cinq domaines prioritaires : l’eau, l’énergie, la productivité agricole, la biodiversité et la santé.

    Parallèlement a été mis en place le GIEC (groupe intergouvernemental sur l’étude du climat), chargé de l’étude des mécanismes du réchauffement climatique et des moyens d’y remédier. Les rapports fournis par ce dernier ont servi de base à la négociation du protocole de Kyōto en 1997, dont les signataires (156 pays à ce jour) s’engagent à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2012.

    >>> Une pression qui s’accentue

    Le tournant des années 1980, au cours desquelles est publié le rapport Brundtland, marque une étape importante : pour la première fois dans l’histoire, l’impact de l’espèce humaine sur notre planète dépasse les richesses naturelles produites par celle-ci. C’est ce qui ressort du calcul de l’empreinte écologique, un indicateur établi par le WWF (World Wild Fund) et l’ONG américaine Global Footprint Network. Celui-ci synthétise l'ensemble des pressions exercées sur les écosystèmes à travers l'émission de gaz à effet de serre (GES), l'extension de l'habitat, l'agriculture, la pêche ou encore l'exploitation des forêts.

    L’empreinte écologique a été multipliée par 3 depuis le début des années 1960. Son dernier calcul remonte à 2006, et portait sur l'année 2003. Elle s'élevait alors à 2,23 hectares globaux par habitant (moyenne des ressources prélevées par chacun sur la planète), pour une biocapacité de 1,78 gha/hab. (moyenne des ressources disponibles). L’écart entre ressources et prélèvements dépasse désormais les 25 %.

    L’empreinte écologique fait également l’objet d’un calcul par pays. Il ressort de celui-ci, tout d’abord, l’important écart entre pays à hauts revenus et le reste du monde. La population des premiers nommés représente en effet 15 % des habitants du globe (950,9 millions sur 6,3 milliards), pour une empreinte écologique correspondant à 43 % du total (6 156,36 millions de gha / 14 052). Encore ce constat ne prend-il pas en compte le fait qu’une part importante des biens produits au sein des économies émergentes est en réalité destinée aux marchés des pays riches.

    Au vu de ces chiffres, on note également que les Etats-Unis possèdent une empreinte particulièrement élevée (9,6 gha/hab.) par rapport aux nations de revenus comparables, dont l’empreinte moyenne se situe à 6,47 gha/hab. Parmi celles-ci, l’empreinte la plus forte est celle des Emirats Arabes Unis (11,9), suivi du Canada et de la Finlande (7,6 chacun). Les pays riches possédant la plus faible empreinte écologique sont la Slovénie (3,4), l’Italie (4,2) et le Japon (4,4). La France, quant à elle, se situe à 5,8 gha/hab. Ces données tendraient donc à prouver que l’empreinte écologique n’est pas strictement corrélée avec le niveau de développement, mais dépend aussi d’autres facteurs.

    Autre constat, ces dix dernières années, l'empreinte des pays développés  a continué d'augmenter (de 18 % en moyenne), tandis que celle des pays à moyens et faibles revenus stagnait. Il est à noter cependant que les chiffres dont nous disposons aujourd'hui datent de 2003, et que depuis les nations émergentes (Brésil, Chine, Inde notamment) ont connu une croissance soutenue, qui pourrait se refléter dans le nouveau calcul de l’empreinte écologique, portant sur l’année 2005 (à paraître à l’automne 2008).

    Précisons également que les prélèvements en eau, ainsi que sur les matières premières non renouvelables, ne sont pas intégrés dans le calcul de l’empreinte écologique. Nous y reviendrons dans les pages qui suivent.

    Pays / zone régionale Population

    (millions)

    Empreinte / hab

    (hectares globaux)

    Empreinte totale

    (millions gha)

    Brésil 178,5 2,1 374,85

    Chine 1311 1,6 2097,6

    Etats-Unis 294 9,6 2822,4

    France 60,1 5,6 336,56

    Inde 1065,5 0,8 852

    Japon 127,7 4,4 561,8

    Russie 143,2 4,4 630,96

    Union européenne 454 4,8 2179,2

    Total pays développés 950,9 6,47 5931,74

    Total monde 6 301,5 2,23 14 052,34

    Calculs : Ohm d’après WWF Rapport Planète Vivante 2006

    >>> Émissions de GES et réchauffement climatique

    Le réchauffement climatique global est la principale manifestation de l’impact de l’espèce humaine sur son environnement. Les émissions de gaz à effet de serre qui seraient à son origine correspondent à 48 % du total de l'empreinte écologique calculée par le WWF et Global Footprint Network.

    L’hypothèse selon laquelle ces émissions seraient la cause principale du réchauffement est sortie renforcée de chacun des rapports successifs du GIEC, auquel a été confié l’étude de la question. La probabilité d’une telle causalité est aujourd’hui de plus de 90 %, confinant à la quasi-certitude.

    Ces conclusions s’appuient sur une recension méthodique de l’ensemble des travaux publiés à travers le monde sur la question, et la possibilité à tout scientifique d’y collaborer : il paraît donc difficile d’en contester la validité.

    Le 4ème rapport du GIEC, publié en novembre 2007, a permis d’affiner la fiabilité des prévisions. Celles-ci tablent désormais sur une hausse de la température comprise entre + 1,1 et + 4,6°C., avec une forte probabilité qu’elle se situe entre + 1,8 et 4°C. La marge d’incertitude tient en partie à des mécanismes qui n’ont pas encore été totalement décryptés (par exemple le rôle des nuages ou celui du méthane), mais surtout aux différents scénarios socio-économiques pouvant se mettre en place au cours du XXIe siècle. Autrement dit, la manière dont les sociétés humaines réagiront à cette tendance lors des prochaines décennies aura des conséquences sur la hausse des températures d’ici la fin du siècle, et surtout au-delà.

    La complexité des phénomènes climatiques, et leurs interactions avec une multitude de domaines sur lesquels ils influent, font qu’il est difficile de déterminer avec précision l’ensemble des effets que pourrait entraîner le réchauffement. Certains se font déjà sentir : en Afrique de l’Ouest, les pluies de mousson ont diminué de 30 % depuis 1970. Reste à savoir si la hausse des températures (de + 0,75° C. au cours du XXe siècle) en est la cause principale.

    Cette incertitude tient en particulier au maillage géographique des modèles, pas toujours suffisant pour pouvoir décrire avec exactitude les mécanismes locaux, notamment dans le cas d’évènements ponctuels. En revanche, on connaît de mieux en mieux les conséquences globales du réchauffement : baisse de la productivité agricole (qui pourrait être amputée de ses deux tiers !) et de la biodiversité, perturbation du fonctionnement des océans, déplacements de population, conflits… À partir de + 5°C. d’augmentation, on entre dans un autre type d’interrogation : la planète n’ayant jamais connu un tel écart sur une période si brève, il est quasiment impossible d’en évaluer les retombées. Néanmoins, certains scénarios extrêmes laissent craindre un dérèglement total du système, menaçant la pérennité même de nos civilisations, voire de la vie sur Terre.

    >>> Prélèvements hydriques

    Les prélèvements hydriques ne sont pas pris en compte dans le calcul de l'empreinte écologique, du fait qu’ils ne peuvent être comptabilisés en hectares globaux ni, par conséquent, être cumulés avec les autres types d’impact sur l’environnement. Le Rapport Planète Vivante 2006 du WWF fournit néanmoins une évaluation sur cet aspect, évidemment crucial pour les questions de développement durable.

    Une autre source d’information plus détaillée sur la question est le Rapport des Nations Unies sur la mise en valeur des ressources en eau, dont la 2ème édition a aussi été publiée en 2006.

    D’une lecture croisée de ces deux documents, il ressort notamment que :

    - la consommation d’eau a été multipliée par 6 au cours du XXe siècle, tandis que la population triplait ;

    - 54 % de l’eau douce facilement accessible à travers le monde font déjà l’objet de prélèvements ;

    - par secteur, la consommation se répartit comme suit : 70 % pour l’agriculture, 22 % pour l’industrie, 8 % pour les besoins domestiques.

    Les taux de prélèvement varient cependant considérablement d’un pays à l’autre. Pour prendre deux extrêmes, celui du Brésil est de 0,2 %, tandis que celui du Koweït culmine à 2 000 % ! La plupart des pays développés se situent quant à eux dans une fourchette médiane : 16 % pour les Etats-Unis, 20 % pour la France, 32 % pour l’Espagne… Soit une pression légère à modérée.

    Ces chiffres doivent cependant bénéficier d’un éclairage complémentaire, en les rapportant aux volumes totaux prélevés, ainsi qu’à la consommation par habitant. Dans le premier cas, l’Inde, la Chine, les Etats-Unis, le Pakistan et la Russie occupent les cinq premières places. Cela ne s’explique pas seulement par l’importance de leur population, mais aussi par des techniques agricoles fortement consommatrices de la ressource.

    Par habitant, les pays développés se placent généralement en tête, mais ce n’est pas toujours le cas. De plus, d’importants écarts peuvent être constatés d’un cas à l’autre. Les Etats-Unis occupent ainsi le premier rang avec 1840 m3/an/hab., alors qu’un Espagnol en consomme 1040 m3, un Français 547 et un Britannique 292, soit moins qu’au Maroc ou ce chiffre s’élève à 387 m3/an/hab.

    Au sein de chaque pays, de fortes différences existent aussi entre régions, du fait à la fois des ressources et de l’importance des prélèvements. En France, chaque été, de nombreux départements connaissent des restrictions d’eau plus ou moins drastiques. En 2008, suite à la sécheresse qui frappe l’Espagne depuis 3 ans, la ville de Barcelone a été contrainte d’importer de l’eau en provenance de Marseille et de la région de Valence, une solution onéreuse et bien peu rationnelle écologiquement parlant.

    On le voit, une telle situation est directement liée aux effets du réchauffement climatique. Le risque d’une pénurie grave ne menace toutefois pas nos pays, l’enjeu étant plutôt celui d’une juste répartition entre les différents besoins, avec pour horizon une augmentation prévisible du coût pour l’usager. Dans le reste du monde, on estime de 15 à 35 % la part des prélèvements excessifs. Cela peut aboutir à des résultats dramatiques, comme l’assèchement du lac Tchad ou de la mer d’Aral.

    La question reste toutefois davantage celle de l’accès à la ressource, et donc de la gestion de celle-ci. L’amélioration des équipements et des techniques d’utilisation (irrigation notamment) apparaît ainsi comme une priorité absolue, en particulier en Afrique.

    Autre source de préoccupation, celle de la qualité de l’eau. Dans un rapport de janvier 2008, l’Ifen (Institut Français de l’Environnement) a ainsi pointé la présence de pesticides dans neuf rivières sur dix à travers l’hexagone. Et le pays est toujours sous la menace d’une amende de Bruxelles pour non respect des seuils autorisés en la matière.

    >>> Atteintes à la biodiversité

    L’érosion de la biodiversité est peut-être le signe le plus inquiétant des atteintes portées par l’homme à son environnement. Les écosystèmes de la planète apportent en effet de multiples bienfaits à nos congénères. En 1997, l’économiste américain Robert Costanza a ainsi estimé à 33 milliards de dollars, au minimum, la valeur de ceux-ci – à comparer au PIB mondial qui atteignait alors 18 milliards de dollars.

    L’Evaluation des Ecosystèmes pour le Millénaire, programme de travail piloté par l’ONU et qui a publié ses conclusions en 2005, détaille la nature de ces différents services. Cela va de la sécurité alimentaire à la protection contre les catastrophes naturelles, en passant par la santé (nombreux traitements issus de recherches biologiques), l’approvisionnement énergétique (bois de chauffage), ou encore le support de secteurs économiques entiers : tourisme, cosmétique, pêche, etc.

    Plus globalement, on peut dire que la prospérité de nos sociétés est indissociablement liée à la préservation des écosystèmes. Et qu’a contrario, ceux-ci subissent les effets de l’ensemble des dégradations d’origine anthropique affectant la planète.

    Or le recul des milieux naturels ne cesse de s’accélérer. L’indice Planète Vivante, également établi par le WWF et qui mesure la population d’espèces vivantes sur Terre, a ainsi diminué de 30 % entre 1970 et 2003. Le rythme de disparition est actuellement 100 fois supérieur à la normale ; il pourrait encore être multiplié par 100 dans les années à venir.

    C'en est au point où l'UICN (Union internationale de conservation de la nature), dans un appel solennel en 2004, a évoqué la perspective d'une 6ème extinction, après celles qui ont frappé la vie à cinq reprises depuis son apparition sur notre planète, et dont la plus connue toucha les dinosaures à la fin du Crétacé.

    Certains spécialistes jugent pourtant encore possible d’éviter cette extinction, comme les biologistes Paul Ehrlich et Robert Pringle de l’Université de Californie. Mais à condition d’agir vite : « L’avenir de la biodiversité pour les dix prochains millions d’années sera déterminé par notre activité dans les cinquante à cent ans à venir » affirment-ils dans les Comptes rendus de l’Académie des sciences américaine parus le 12 août 2008.

    >>> Matières premières non renouvelables

    Les matières premières d’origine minérale (minerais, métaux précieux, hydrocarbures…) possèdent une différence essentielle avec les ressources biologiques ou l’eau : elles ne sont pas renouvelables. Mais si leur épuisement est en quelque sorte programmé d’avance, reste à savoir dans quels délais.

    La réponse n’a rien d’évident. Pour certaines d’entre elles, les réserves sont assez bien connues. Le Bureau des Recherches Géographiques et Minières (BRGM) les estiment par exemple à 17 années pour l’or, 22 pour le plomb ou encore 31 pour le cuivre – sous réserve que le rythme de production actuel se maintienne. Pour l’uranium, ce chiffre passe à 32 ans. Dans l’état des connaissances, celui-ci ne pourrait donc apporter qu’une partie de la réponse aux problématiques d’approvisionnement énergétique. Nous y reviendrons.

    En ce qui concerne le pétrole, les estimations sont beaucoup plus fluctuantes. Cela tient notamment à ce que les données fournies par les pays producteurs sont sujettes à caution. Selon certaines sources, le pic de production (moment où la production atteint son maximum avant de commencer à décliner) aurait déjà été atteint aux alentours de 2007. D’autres analystes le fixent vers 2020, voire au-delà.

    Toutefois, l’équation possède tellement d’inconnues qu’il serait sans doute plus pertinent de la présenter sous forme de scénarios où les différentes variables interagiraient entre elles. Cela est vrai non seulement dans le cas du pétrole, mais aussi pour les autres ressources non renouvelables.

    Ces inconnues sont principalement de trois ordres. En premier lieu, toutes les réserves existantes sont-elles identifiées ? La récente découverte du gisement pétrolier de Tupi, au large du Brésil (l’un des plus importants au monde avec une capacité de 5 à 8 millions de baril) prouve que c’est loin d’être le cas. Dans le même ordre d’idée, les progrès des techniques d’extraction, joints à la hausse des prix sur le marché, rendent possible (et rentable) l’exploitation de réserves qui ne l’étaient pas auparavant. L’une des causes de l’envolée des prix depuis quelques années réside précisément dans le sous-investissement en matière de prospection et d’extraction.

    Deuxième inconnue, le volume de consommation, certainement appelé connaître des variations dans les années à venir, en fonction de l’évolution des prix, de l’apparition de nouveaux comportements, etc.

    Enfin, des solutions alternatives vont nécessairement se développer sous la pression de la demande. Celles-ci comprennent :

    - le recyclage (qui concerne déjà 13 % du marché mondial pour le cuivre, et 40 % pour le plomb),

    - la découverte de technologies de substitution (fibre optique à la place du cuivre par exemple),

    - le recours à des ressources de remplacement, comme le charbon et le gaz naturel pour le pétrole (respectivement 150 et 64 années de réserves estimées).

    Le risque principal n’est donc pas tant celui de la pénurie, même s’il peut constituer un horizon à long terme. Mais plutôt, dans l’immédiat, celui des dommages causés à l’environnement, dont on a déjà vu, dans le cas des hydrocarbures, qu’ils pouvaient s’avérer cruciaux pour l’avenir de la planète. Mais le réchauffement n’est pas la seule menace qui pèse, l’exploitation des gisements, ainsi que le cycle de production au sens large, s’avérant lourds de conséquences pour la santé des écosystèmes.

    >>> Une ère nouvelle : l’anthropocène

    Les problématiques liées au développement durable ne sont pas indépendantes les unes des autres. Au contraire, tous ces phénomènes sont étroitement corrélés les uns aux autres.

    La récente hausse des produits pétroliers l’illustre bien. À l’origine, on trouve plusieurs facteurs :

    - une insuffisance des investissements productifs ces dernières années, et donc de l’offre ;

    - des tensions géopolitiques touchant les pays producteurs (Irak, Iran, Nigéria, Vénézuela…) ;

    - des mouvements spéculatifs, conséquence du repli d’autres marchés (actions, monétaire, immobilier…) ;

    - ainsi, peut-être, qu’une anticipation sur les risques de pénurie liés aux incertitudes pesant sur l’état des réserves.

    Dès lors, les prix s’envolent : ils ont été multiplié par sept en autant d’années ! Avec de lourdes retombées pour l’économie mondiale dont le pétrole constitue le premier secteur. Certaines professions sont plus particulièrement touchées : transport routier, pêche déjà fragilisée pour d’autres raisons (épuisement des réserves, investissements inadaptés, etc.)

    Pour tenter d’y faire face, on développe la culture des agrocarburants, contribuant à l'augmentation du prix des denrées alimentaires déjà mis à mal par la hausse de la consommation, la dégradation des terres cultivables ou celle des conditions climatiques – au risque d’aggraver encore le réchauffement et l’appauvrissement des sols.

    De proche en proche, c’est ainsi l’ensemble de la planète qui est touché. Cette interdépendance, autre nom de la globalisation, représente l’ultime avatar de la révolution industrielle entamée il y a deux siècles de cela.

    Il ne s’agit évidemment pas de remettre en cause cette dernière, mais plutôt de comprendre que le modèle sur lequel elle se fonde touche aujourd’hui ses limites. Développer une nouvelle approche ne va pas de soi. Il s’agit d’une tâche impressionnante, à accomplir en un délai extraordinairement bref au regard de l’histoire. Mais, étant les principaux responsables de cet état de fait, il nous appartient aussi d’y remédier.

    Car nous sommes entrés dans une ère nouvelle, que Paul Crutzen, prix Nobel de chimie en 1995, a proposé de désigner sous le nom d’anthropocène (du grec anthropos : homme), où le visage de la planète – et son destin – sont désormais largement modelés par notre propre espèce. Il suffit de contempler des images satellites de la Terre, la nuit, pour voir comment cela se traduit très concrètement : une pluie d’étoiles électriques scintillant à la surface du globe, signe de la présence de nos grandes métropoles…

  • I.B. Les initiatives se multiplient
  •  

    >>> Un phénomène culturel

    En quelques années à peine, un profond changement s’est opéré dans l’opinion à l’égard du développement durable. Une enquête Ethicity / ADEME d’avril 2008 indique ainsi que l’expression est désormais connue de de 90 % des Français, contre 54 % en 2006. Par ailleurs, 65,6 % des personnes interrogées déclarent avoir modifié leur comportement en la matière au cours des douze derniers mois.

    Même s’il faut faire la part entre les intentions affichées et les pratiques réelles, cette inflexion traduit une mutation culturelle à laquelle n’échappe aucun secteur socio-économique. On pourrait multiplier les exemples de nouveaux produits, marchés et pratiques liés au développement durable : des couches-culottes aux lessives, des techniques de jardinage aux fêtes foraines fonctionnant à l’énergie mécanique, du secteur de l’habillage à celui du tourisme… Certes, les parts de marché restent encore modestes. Mais les taux de croissance, eux, n’ont guère d’équivalent, à l’exception peut-être du téléphone mobile.

    La popularité d’un Nicolas Hulot, celle d’un Yann Arthus-Bertrand participent de la même tendance. Plus anecdotique, l’engagement en la matière des groupes de rock (Björk, Coldplay, Radiohead…) à travers concerts à basse consommation d’énergie et t-shirts en coton bio confirme que le sujet est décidément dans l’air du temps.

    Certes, les esprits chagrins feront remarquer que les publicités pour les supposés vertus écologiques des nouveaux modèles automobiles ne garantissent pas leurs résultats dans ce domaine. Mais le fait est que les constructeurs se sentent à présent obligés d’afficher un tel discours.

    Des actions d’envergure ont par ailleurs déjà marqué l’époque, outre le protocole de Kyōto déjà évoqué :

    Protocole de Montréal (1987) sur les CFC responsable du rétrécissement de la couche d’ozone, aboutissant au démantèlement complet de la filière en une quinzaine d’années.

    Convention de Stockholm (effective depuis le 17 mai 2004) restreignant l’usage du DDT dans la plupart des pays du monde après son interdiction dans la plupart des pays développés au cours des années 1970-1980.

    Gains d’efficacité énergétique considérables réalisés dans l’industrie, l’habitat ou l’automobile depuis la crise pétrolière des années 1970 – compensés en partie, il est vrai, par le développement des usages…

    Dans un tout autre registre, on peut également évoquer la reconstitution de la forêt française, continue depuis deux siècles et qui couvre aujourd’hui 30 % du territoire, avec une biodiversité unique en Europe : 136 essences différentes y cohabitent.

    Ces avancées, tout comme celles mentionnées ci-après, ne représentent certes que de timides progrès par rapport à l’ampleur de la tâche qui reste à accomplir. Mais elles témoignent du foisonnement d’initiatives convergentes, ouvrant les pistes d’un développement durable dont les contours précis restent encore à inventer.

    >>> La mesure de la situation

    La première étape, si l’on souhaite agir sur les phénomènes concernés, consiste à en évaluer la portée exacte. Nous avons déjà cité quelques indicateurs récemment conçus (empreinte écologique, etc.) ainsi que le travail d’évaluation effectué par le GIEC. En voici d’autres exemples :

    Les systèmes d’information géographiques satellitaires du type GPS (sous le contrôle des Etats-Unis), qui comprennent également des versions russe (GLONASS), chinoise (BEIDU) et bientôt européenne avec GALILEO. Les informations collectées comprennent de nombreuses données sur l’état des écosystèmes, les réserves de matières premières, la déforestation…

    Le rapport Stern, commandé par le gouvernement britannique à l’économiste Nicholas Stern pour tenter de mesurer les conséquences du réchauffement climatique sur l’économie mondiale. Selon cette étude, si rien n’est fait, le PIB planétaire pourrait être amputé de 20 % d’ici la fin du siècle. Symétriquement, le coût des investissements nécessaires pour maintenir le réchauffement dans des limites soutenables y est estimé à 1 % du PIB mondial chaque année.

    • L’analyse du cycle de vie (ACV), qui consiste à évaluer l’ensemble de l’énergie et des ressources consommées par un produit durant son existence entière, de sa conception à sa destruction finale. Les étapes successives de l’ACV sont détaillées sous les normes ISO 14040 et 14044. L’inventaire prend en compte les flux entrants et sortants, puis les impacts environnementaux générés par ces flux. L’objectif, établi au préalable, est d’obtenir une amélioration de ces impacts.

    >>> Le rôle des institutions

    L’engagement des institutions en faveur du développement joue un rôle décisif, à la fois par la mise en place de législations adaptées, et du fait de leur impact socio-économique. La meilleure illustration en est le protocole de Kyoto, négociation complexe aux résultats déjà tangibles quoique mitigés. Parmi ces acteurs, l’Union européenne est sans conteste l’un des plus actifs, avec notamment :

    La création du réseau Natura 2000, qui protège les sites naturels et couvre désormais 15 % du territoire de l’Union, créant ainsi (entre autres intérêts) un vaste pôle d’attraction sur le plan touristique qui contribue à revitaliser l’économie des régions concernées.

    La réglementation REACH imposant aux industriels de la chimie de faire la preuve de l’innocuité de leurs produits, et dont l’influence se fait sentir très au-delà des frontières de l’Union, du fait de l’importance de son marché intérieur.

    L’ouverture d’un marché de crédits carbone ou « droits à polluer » offrant de nouvelles sources de financement pour les entreprises et les collectivités publiques qui diminuent leurs émissions de GES. La municipalité de Sao Paulo, au Brésil, a pu se financer par ce biais grâce à la mise en place de la centrale de Bandeirantes, produisant de l’électricité à partir des biogaz d’une décharge d’ordures.

    La directive sur l’eau visant à réduire le taux de concentration des nitrates dans les ressources hydriques des pays membres. La France, où ce taux dépasse déjà les seuils admis par l’Union, est concernée au premier chef. Pourtant, les teneurs observées sont celles de l’agriculture des années 1970, moins polluante qu’aujourd’hui, du fait des délais nécessaires pour que ces substances viennent infiltrer les nappes phréatiques.

    La création d’un écolabel européen permettant aux consommateurs de reconnaître les produits les plus respectueux de l’environnement, dans des domaines aussi divers que la literie, les chaussures, le matériel de bricolage, le jardinage, l’électronique, l’habillage, le papier, les produits de nettoyage, les appareils ménagers ou les hébergements touristiques…

    >>> Règles, normes et labels

    Les cadres législatifs et réglementaires constituent un élément essentiel des dispositifs en train de se mettre en place. On l’a vu, l’Union européenne est particulièrement en pointe dans ce domaine. Son action s’inscrit dans le cadre d’un programme intitulé Environnement 2010, centré sur les questions relatives au réchauffement climatique, la protection des ressources naturelles, la santé et la gestion des déchets.

    Nous avons déjà fait allusion à quelques avancées récentes en la matière (réglementation REACH, directive sur l’eau, etc.) En voici d’autres :

    - la directive-cadre relative aux déchets, visant à réduire la production de ces derniers, à en limiter la nocivité et à favoriser leur valorisation ;

    - la directive-cadre sur la gestion et la qualité de l’air ambiant, destinée à améliorer l’évaluation de celle-ci, à fixer des objectifs et à veiller à leur respect ;

    - la directive IPPC soumettant à autorisation toute activité industrielle ou agricole ayant un fort potentiel de pollution…

    Ces dispositions possèdent bien sûr une dimension contraignante, à l’égard des acteurs socio-économiques principalement. Mais elles constituent aussi pour ces derniers un levier d’action, dans la mesure où elles les incitent à se préparer aux changements technologiques et juridiques en cours.

    Par ailleurs, elles peuvent leur permettre de bénéficier de diverses mesures d’accompagnement et d’incitation, fiscales ou autres. Il s’agit cependant d’un domaine très touffu et en évolution constante, réclamant une expertise attentive.

    L’évolution des normes juridiques va dans le même sens. Ainsi du principe pollueur-payeur, qui a débouché sur la condamnation de Total dans l’affaire de la marée noire provoquée par le naufrage de l’Erika au large des côtes bretonnes et vendéennes, ou d’ExxonMobil aux Etats-Unis suite au naufrage de l’Exxon Valdez en Alaska.

    On peut également mentionner l’inscription du principe de précaution dans la constitution française, même si celui-ci ne possède pas de portée directement contraignante, et que son application dépendra donc surtout de la jurisprudence à venir.

    Enfin, différents labels fournissent aux consommateurs des repères appréciés, même s’il faut parfois en relativiser la portée (quels critères entrent en compte ?). Nombre d’entre eux ont vu le jour récemment, tels que :

    - le label AB (agriculture biologique),

    - les normes HQE et THQE (haute et très haute qualité environnementale) pour l’habitat,

    - le certificat FSC (Forest Stewardship Council) pour les bois importés,

    - le bilan énergétique pour l’automobile et les appareils électroménagers…

    >>> Villes et quartiers durables

    Des villes, des quartiers, voire des pays entiers s’engagent plus particulièrement en faveur du développement durable. L’urbanisme joue en effet un rôle crucial dans notre rapport à l’environnement : réduire les motifs de déplacement, en transformer les modes, constitue ainsi l’une des approches les plus efficaces pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Il s’agit d’un aspect d’autant plus décisif que 50 % de la population mondiale vit déjà dans des zones urbaines, et que ce devrait être le cas pour les deux tiers d’entre elle à l’horizon 2030.

    L’un des précurseurs en la matière est la ville de Curitiba, dans l’état du Paraná au Brésil. Cette mégapole, passée en 50 ans de 180 000 à 1,8 millions d’habitants, combine :

    - un réseau de bus dense et efficace, inspiré du métro, avec voies réservées s’étendant jusqu’en lointaine banlieue et stations de correspondance dédiées,

    - des aménagements entièrement bâtis autour de ce premier maillage, avec quartiers piétons et vastes espaces verts (51 m2 / habitant),

    - l’optimisation du recyclage des déchets,

    - des centres de santé et des magasins à prix coûtant pour les plus pauvres,

    - des bibliothèques prenant en charge les enfants jusqu’à 21 h…

    Résultat, un progrès du niveau de vie, une criminalité en baisse et des émissions de GES inférieures de 25 % au reste du pays. Même les commerçants du centre-ville abandonnèrent vite leurs réticences initiales lorsqu’ils s’aperçurent que ces transformations conduisaient aussi à augmenter leurs recettes.

    Au nord de l’Europe, les pays scandinaves ont adopté une démarche planificatrice analogue pour se préparer à une société sans pétrole. C’est par exemple le cas de la Suède, qui a déjà réussi à diminuer de 45 % sa consommation d’hydrocarbures depuis la crise des années 1970, et vise à s’en passer totalement à l’horizon 2020. Un comité réunissant industriels, scientifiques, agriculteurs, fabricants automobiles et fonctionnaires pilote le projet, qui s’appuie notamment sur un recours accru aux énergies renouvelables (satisfaisant aujourd’hui près de 40 % de la consommation énergétique totale du pays), en particulier la biomasse.

    À une moindre échelle, des quartiers écologiques voient peu à peu le jour dans différentes régions. Les plus célèbres sont ceux de Fribourg, en Allemagne, et de BedZED (accronyme de « Beddington Zero Energy »), dans la banlieue londonienne. Electricité photovoltaïque et maisons en bois, toits végétalisés et déplacements en vélo pour le premier ; aucune consommation d’énergies fossiles, réduction de la consommation d’eau et du volume des déchets, mixité sociale renforcée pour le second. A Fribourg, ce ne sont pas moins de 10 000 emplois qui ont été créés autour du développement durable. Quant à Beddington, comme son nom l’indique, il possède un bilan énergétique neutre (autant d’énergie produite que consommée). Un avantage économique certain, qui pourrait prendre encore plus d’importance dans les années à venir.

    La Chine n’est pas en reste avec le projet de la ville de Dongtan, une métropole écologique qui devrait ouvrir ses portes pour l’exposition universelle de 2010, et pourrait compter 500 000 habitants à l’horizon 2050. L’objectif est de bénéficier des dernières innovations en matière d’habitat et d’urbanisme écologiques, favorisant l’autonomie énergétique (éoliennes, biomasse), les économies d’énergie (toits végétalisés), le recyclage, la qualité de vie (espaces verts) et la production locale (agriculture biologique).

    La France a pris plus tardivement le virage des éco-quartiers. Aujourd’hui, de nombreux chantiers ont ouvert, dans le nord notamment. La communauté d’agglomération d’Hénin-Baumont, la ville de Lille ou encore celle de Douai vont associer énergies renouvelables, gestion des eaux de pluie, tri sélectif, espaces verts et mixité sociale. C’est un esprit analogue qui règne à la ZAC de Bonne à Grenoble, à l’EcoZac de Rungis dans le 13e arrondissement de Paris, à Chalon-sur-saône ou encore à Narbonne (quartier du Théâtre).

    >>> Énergie, transports, habitat

    L’approvisionnement énergétique est au cœur des problématiques de développement durable. Face à la menace du réchauffement climatique (et, à plus long terme, l’épuisement progressif des réserves de pétrole), le recours à des solutions de substitution paraît inéluctable.

    Les énergies renouvelables figurent parmi les alternatives possibles. Celles-ci comprennent :

    - l’énergie solaire,

    - l’hydraulique (barrages, usines marémotrices),

    - l’éolien,

    - la géothermie,

    - la biomasse (bois, plantes, agrocarburants).

    En 2005, ces ressources correspondaient à 5 % de la consommation mondiale. Encore cela incluait-il le bois de chauffage (25 % du total), dont on sait qu’il accentue la déforestation dans les pays pauvres. Quant aux agrocarburants, on a vu qu’ils entraient en concurrence avec les cultures alimentaires.

    Le nucléaire pose un problème à part. Non seulement du fait des risques liés à la sécurité, loin d’être négligeables, et de la question du traitement des déchets, toujours pas résolue. Mais aussi parce qu’il s’agit d’une ressource non renouvelable, et que moins d’une trentaine de pays maîtrisent la technologie requise. Reste qu’en l’absence de diminution significative des niveaux de consommation (pays développés notamment) et d’alternative crédible, le nucléaire pourrait conserver son importance, dans la mesure notamment où il paraît un moindre mal comparé aux hydrocarbures.

    Les transports constituent un autre secteur clé, à la fois du fait de leurs émissions de GES et de leur poids économique (emploi et fonction stratégique). De nouvelles technologies comme la voiture hybride (combinaison de moteur thermique et électrique) sont opérationnelles depuis plusieurs années, en attendant la voiture électrique à l’horizon 2010. Le succès de la Toyota Prius (plus d’un million d’exemplaires vendus à travers le monde) témoigne de leur compétitivité. Néanmoins, certains experts mettent en cause l’impact écologique de telles options, qui dépend notamment de l’origine de l’électricité consommée. Or, dans le monde, celle-ci est principalement produite à partir d’hydrocarbures.

    D’où l’importance d’agir simultanément sur :

    - la gestion de la mobilité à travers l’urbanisme, l’essor de pratiques du type co-voiturage, vélo en ville, etc. ;

    - le développement de modes de transport moins polluants tels que le train.

    La hausse du prix des carburants et la prise de conscience de la population devraient permettre d’accélérer cette évolution. L’accroissement des coûts du transport pourrait aussi aboutir à une relocalisation de l’économie, afin de réduire les distances parcourues par les produits. A contrario, le secteur aérien connaît déjà un début de crise qui risque de s’accentuer dans l’attente de réponses technologiques adaptées.

    L’habitat vit également sa « révolution durable ». Face au boom des prix de l’énergie, des maisons moins gourmandes, voire autonomes énergétiquement, semblent un investissement judicieux. Idem pour l’eau, du fait de l’épuisement des nappes phréatiques et de la sécheresse qui s’accentue dans de nombreuses régions (succès grandissant des systèmes de récupération d’eau de pluie). Pour répondre aux préoccupations écologiques, les matériaux plus respectueux de l’environnement connaissent depuis peu un engouement notable. Enfin, de nouveaux comportements commencent à faire leur apparition, tels que la gestion collective des habitations (Allemagne et Suisse notamment).

    >>> Industrie et agriculture

    En matière d’industrie, l’un des grands enjeux de l’avenir est celui du recyclage : entre 2,5 et 4 milliards de tonnes de déchets sont récupérées chaque année à travers le monde, selon les estimations. En France, 25 % des ordures ménagères sont déjà réutilisés (verre et papier notamment), avec une hausse de 13,6 % des volumes collectés en 2007. D’autres usages vont se développer à l’avenir, concernant notamment la production d’énergie.

    La démarche possède, il est vrai, de multiples intérêts économiques : coûts de production moindres (de moitié pour le verre, par exemple), valorisation de matériaux qui devraient dans le cas contraire être stockés ou réduits par incinération. Cette approche bénéficie aussi à l’environnement, en permettant de réduire d’autant les volumes répandus dans la nature (70 % du total des déchets dans les pays pauvres). Du côté des pays développés, l’effort doit porter en particulier sur les déchets électroniques, insuffisamment exploités.

    Les pratiques agro-alimentaires connaissent une mutation tout aussi significative. L’essor de l’agriculture bio, qui possède une croissance soutenue mais ne représentait que 4 % du marché européen en 2006, n’est que la partie visible d’une évolution plus large. De nouvelles approches commencent à se mettre en place, plus respectueuses des réalités locales (état des sols, type de végétation, etc.). Dans la vallée de Keita, au Niger, les efforts conjugués d’agronomes italiens et des populations locales ont permis de reconstituer l’écosystème et de redynamiser l’agriculture en mariant une irrigation économe mais plus efficace, des investissements à bon escient et la patience nécessaire à cette tâche de longue haleine.

    Les démarches de ce type ne sont pas réservées aux pays les plus pauvres. Nos contrées, dont les sols donnent de nombreux signes d’appauvrissement, gagneraient à s’en inspirer. Des innovations peuvent aussi être apportées du côté de la distribution. Les AMAP (associations pour le maintien d’une agriculture paysanne), nées au Japon, essaiment aujourd’hui dans de nombreux pays et permettent de créer un lien plus direct entre agriculteurs respectueux de l’environnement et particuliers attentifs à leur santé… et aux saveurs des produits qu’ils consomment.

    II. Réinventer notre rapport au monde

  • II.A. Quelles solutions pour l’avenir ?
  •  

    >>> Un défi pour le XXIe siècle

    L’actualité est là chaque jour pour nous le rappeler : les questions liées au développement durable influencent désormais directement notre quotidien. Augmentation du prix du  pétrole et des produits alimentaires, phénomènes climatiques extrêmes, alertes à la pollution (PCB dans le Rhône, centrale de Tricastin), dérèglement des écosystèmes…

    Rien ne sert, pourtant, de céder au catastrophisme. Des progrès considérables ont été accomplis ces dernières années en termes de législation, de procédés industriels et agricoles, d’efficacité énergétique, de protection de la nature, de comportements, etc. Surtout, les experts s’accordent sur un point : les prochaines décennies vont marquer un tournant, notamment en ce qui concerne le réchauffement et la biodiversité.

    Autrement dit, le changement est inéluctable, mais il nous appartient encore de décider quelle direction il prendra. La mutation qui nous attend ne possède sans doute guère d’équivalent dans l’histoire. Elle suppose une remise à plat complète de nos modèles, et l’invention de nouveaux schémas de développement prenant pleinement en compte la réalité des conditions actuelles, à savoir des ressources limitées dont il s’agit dès lors d’optimiser la valorisation.

    L’alternative ne se situe pas entre faire des profits ou s’occuper de l’environnement, mais s’occuper de l’environnement ou cesser de faire des profits. Cependant, nul ne peut prétendre savoir à l’avance quel visage prendra la transformation à venir. D’une part parce que beaucoup de ces solutions restent à imaginer, d’autre part parce que leur nature dépendra d’arbitrage à mener dans les prochaines années par les divers acteurs impliqués.

    Tous, en effet, ne subissent pas les mêmes contraintes, ni ne bénéficient d’atouts identiques face à la situation actuelle. On peut prendre pour illustration la notion de « facteur 4 », reprise par le Grenelle de l’Environnement, qui signifie que les pays développés vont devoir diviser par quatre leurs émissions de GES afin de maintenir la hausse des températures à + 2° C d’ici 2100. Ce chiffre n’aura pas du tout les mêmes implications selon qu’il s’applique par exemple aux transports ou au bâtiment. Les conséquences seront donc très différentes en fonction des structures de fonctionnement propres à chacun.

    Symétriquement, toutes les initiatives en faveur de l’environnement ne se valent pas : replanter un arbre pour compenser ses émissions de GES ne produira pas les mêmes effets selon la situation géographique de celui-ci (en ville, dans une zone antérieurement boisée ou non…) ou l’utilisation qui en sera faite ultérieurement.

    Une telle démarche représente en outre l’opportunité d’avantages significatifs en termes de compétitivité ou de bien-être, à condition d’anticiper à bon escient sur les évolutions en cours, et d’en profiter pour réaliser les adaptations nécessaires lorsque les conditions sont encore (relativement) favorables. De plus, ces nouveaux modes d’organisation, ces pratiques innovantes pourront apporter un bénéfice en termes d’image auprès d’une opinion de plus en plus sensible à la question. Sans oublier que les thématiques liées au développement durable ont entraîné l’apparition de marchés à part entière, dans lesquels de telles approches s’inscrivent pleinement.

    La technologie aura sa part dans ces bouleversements, comme nous le verrons à travers quelques-uns des principaux domaines de recherche actuels, ces fameuses « greentechs » qui mettent aujourd’hui la Silicon Valley en ébullition. Les sciences se situent d’ailleurs à la base d’une démarche de développement durable, les progrès des différentes disciplines ayant fourni les données sur lesquelles s’appuie celle-ci. Mais elles ne peuvent pas tout. Les modes de fonctionnement, de production, de vie, sont tout aussi importants, sinon plus. C’est par leur biais que se définit l’utilisation des outils à notre disposition.

    >>> Mutation énergétique

    L’énergie représente un enjeu crucial, aussi bien du point de vue de l’économie que de l’environnement (gaz à effet de serre). En effet, le recours prédominant aux hydrocarbures n’est plus envisageable, d’abord pour ne pas aggraver encore davantage le réchauffement climatique, ensuite, à plus long terme, du fait de l’épuisement progressif des ressources.

    Les énergies renouvelables recèlent une partie de la réponse. Leur potentiel théorique est très largement supérieur à nos besoins. Mais dans l’état actuel des connaissances, nous n’arrivons à en exploiter qu’une infime partie. Les recherches en cours visent donc à augmenter leur rendement, tout en développant les capacités de stockage et l’efficacité des réseaux de distribution.

    L’augmentation des rendements concerne notamment l’énergie photovoltaïque, qui atteint aujourd’hui des taux de 10 % environ. Divers procédés sont testés afin d’améliorer ce chiffre, comme l’impression directe des cellules sur de nouveaux supports, de la tôle au film plastique, grâce notamment aux propriétés des nanoparticules. L’utilisation des matériaux en couches ultrafines (jusqu’à 1% des volumes employés habituellement) permet en outre de réduire le coût d’investissement, cinq fois supérieur actuellement aux énergies fossiles ou nucléaire.

    Les capacités de stockage ont autant d’importance, sinon plus. Emmagasiner de l’énergie pour pouvoir en disposer à volonté représente en effet une gageure, sauf dans le cas des hydrocarbures ou des matières fissiles, où ce processus est en quelque sorte déjà réalisé. Le problème se pose avec encore plus d’acuité dans le cas des énergies renouvelables, qui subissent d’importantes sautes de puissance. Or les batteries actuelles, qui fonctionnent au plomb, soulèvent un double obstacle de coût et de poids de l’installation, limitant l’autonomie de cette dernière. L’allègement des batteries, à un prix qui reste abordable, constitue donc le principal défi dans ce domaine. Les propriétés électrochimiques de divers matériaux (manganèse, cadmium, nickel, etc.) pourraient être mises à contribution. Une alternative possible réside dans le recours à l’air comprimé, en particulier pour l’éolien.

    Le développement de réseaux de distribution plus efficaces contribuerait aussi à mieux employer l’énergie produite. Ces « réseaux intelligents » fonctionneraient selon un mode décentralisé, permettant aux utilisateurs d’accéder instantanément aux ressources dont ils ont besoin, et d’y distribuer à leur tour l’électricité que génèrent leurs propres équipements. De telles solutions requièrent toutefois une grosse infrastructure informatique, avec des outils de gestion très sophistiqués.

    Les agrocarburants de deuxième génération représentent une autre piste intéressante. Contrairement à la première génération, ils permettent d’utiliser la totalité de la plante, tout en bénéficiant de plus forts rendements à l’hectare. En font notamment partie les micro-algues, trente fois plus productives que les huiles végétales classiques, qui possèdent en outre d’autres vertus, comme l’absorption du CO2 des centrales. Des cultures de champignons (trichoderma reesi) sont également mises à l’essai dans ce but.

    D’autres sources pourraient aussi être mises à contribution (vagues et courants marins…), avec évidemment des différences selon les potentialités des différents pays : cf. le cas de l’Islande avec la géothermie. Néanmoins, même développées au maximum, les énergies renouvelables ne pourront satisfaire que 25 à 30 % de nos besoins énergétiques selon l’AIE (Agence Internationale de l’Energie), 50 % d’après Greenpeace, qui mise sur de forts gains de productivité énergétique (bâtiment, agriculture, transport…) et un infléchissement significatif de la consommation.

    C’est pourquoi certains considèrent comme inéluctable un recours accru à l’énergie nucléaire. Nous l’avons vu, celle-ci possède plusieurs inconvénients majeurs : l’étendue des dégâts potentiels en cas d’accident (dont les risques d’occurrence restent toutefois faibles), la question du stockage des déchets, et des réserves d’uranium limitées. Aussi les recherches visent-elles notamment à mieux valoriser le minerai, tout en améliorant la sécurité :

    - centrales de 3ème génération du type EPR (à eau pressurisée), qui permettent de réduire de plus de 20 % la consommation de combustibles, et d’un tiers le volume des déchets ;

    - réacteurs de 4e génération brûlant leurs déchets tout en produisant de l’hydrogène pour les transports et  la consommation domestique ;

    - centrales à fusion contrôlée du type ITER, théoriquement capables de produire beaucoup plus d’énergie à partir de la même quantité de minerai, mais dont l’horizon de fonctionnement est encore lointain (2050-2100).

    Les transports constituent un gros consommateur d’hydrocarbures, et sont à ce titre concernés au premier chef par la réduction des GES. La voiture « tout électrique » à des prix compétitifs est pour bientôt (2010/2011), mais avec une autonomie encore faible. Une autre piste explorée actuellement est celle du véhicule à hydrogène. Cependant, celui-ci ne sera probablement pas opérationnel avant une dizaine d’années, et reste coûteux à produire. Les voitures solaires constituent également un axe de recherche, mais n’ont toujours pas dépassé le stade du prototype. Enfin, le constructeur automobile indien Tata envisage de commercialiser dans les prochaines années un moteur fonctionnant à l’air comprimé. Celui-ci pourrait aussi trouver des applications dans les groupes électrogènes, les appareils de manutention ou encore les machines agricoles.

    >>> Technologies du vivant

    Au sens littéral, les biotechnologies regroupent l’ensemble des techniques visant à transformer le vivant ou à en faire usage pour satisfaire les besoins humains. La sélection d’espèces animales et de variétés végétales pratiquée par l’agriculture depuis ses origines en fait donc partie. Dans une acception moderne, le terme désigne plus particulièrement l’application de sciences et de techniques de pointe (biochimie, microbiologie, génétique, informatique…) à des organismes vivants.

    On distingue couramment ces différentes spécialités par des couleurs, en fonction de leur domaine de spécialisation :

    Biotechnologies rouges : médecine et santé

    Techniques de diagnostic et formulation de médicaments issus d’organismes vivants ou de leurs composants cellulaires, médicaments de synthèse mais faisant appel dans leur conception aux biotechnologies.

    Biotechnologies vertes : agriculture et alimentation

    Manipulation et transfert de gènes, typage de l’ADN, clonage de gènes végétaux et animaux, fabrication de biomatériaux.

    Biotechnologies blanches : applications industrielles

    Produits chimiques (procédés d’assainissement du sol ou de traitement des déchets, cosmétiques, produits alimentaires, détergents, etc.) et sources d’énergie tirés de la biomasse (agrocarburants).

      Biotechnologies bleues : ressources marines

    Applications pharmaceutiques, alimentaires et cosmétiques réalisées à partir de ces ressources.

    Biotechnologies jaunes : protection de l’environnement

    Dépollution, phytoremédiation, bio-indicateurs…

    En termes de chiffre d’affaires, les biotechnologies rouges (médicales) arrivent largement en tête (80 % du total), suivies de l’agro-alimentaire (6 %) et des applications industrielles et environnementales (5 %). Par ailleurs, il s’agit d’un secteur en forte expansion, puisque les entreprises cotées en bourse y atteignent une croissance de 14 %.

    Les champs de recherche sont nombreux et prometteurs, comme par exemple le traitement des cancers ou des maladies génétiques. Un autre domaine plein d’avenir est celui des applications industrielles, également appelé chimie verte. Son principal objectif est de remplacer les différents dérivés d’hydrocarbures, notamment les matériaux plastique. Elle concourt également à réduire la quantité de substances chimiques répandues dans l’environnement. Certains produits issus de ces recherches sont déjà commercialisés, comme les bio-lubrifiants qui représentent actuellement 3 % du total des lubrifiants.

    Néanmoins, les biotechnologies ne sont pas sans soulever un certain nombre de questions, provoquant de vifs débats au sein de la société. Le développement des agrocarburants au détriment des cultures alimentaires en fait partie. Les techniques de manipulation génétique soulèvent également des inquiétudes liées au fait que l’on s’attaque là au cœur du vivant, avec des répercussions encore mal connues du fait du manque de recul.

    Pour faire face sereinement à ces polémiques, l’une des solutions consiste à séparer les aspects techniques et économiques. La problématique des organismes génétiquement modifiés (OGM) utilisés en matière agricole est intéressante à cet égard. Certaines variétés permettant d’augmenter l’utilisation de pesticides sont aujourd’hui vendues sur la foi de progrès futurs en matière de résistance à la sécheresse. Or elles aboutissent dans l’immédiat à appauvrir davantage les sols, et donc à accroître notre impact sur l’environnement. Le bénéfice, tant pour les écosystèmes que pour les sociétés humaines, en paraît donc douteux.

    Il ne s’agit pas pour autant de condamner les OGM dans leur ensemble, mais plutôt d’évaluer leurs avantages et inconvénients au cas par cas, de la façon la plus exhaustive possible. Cette approche peut d’ailleurs s’appliquer à l’ensemble des biotechnologies. Le principe de précaution consiste dès lors non à entraver la recherche, mais à l’encadrer en fonction des préceptes du développement durable. Une telle approche est du reste privilégiée par la chimie verte à travers une moindre production de déchets, des procédures visant à optimiser l’usage des ressources, l’utilisation des substances les moins nuisibles possibles, et la mise au point de produits biodégradables.

    >>> La géo-ingénierie et ses limites

    Face à la menace du réchauffement climatique, certains projets ambitionnent de se lancer dans des interventions à grande échelle qui permettraient de compenser les effets des émissions de GES. Ces diverses techniques sont rangées sous l’appellation de géo-ingénierie. En font partie, par exemple, l’injection de soufre dans l’atmosphère pour enrayer le réchauffement climatique, ou ceux envisageant d’enfouir sous terre les émissions de gaz carbonique.

    Les limites de cette approche tiennent cependant à l’insuffisance de nos connaissances en la matière. Maîtriser notre impact sur l’environnement suppose en effet d’interagir avec des phénomènes complexes, dont nous sommes encore loin de saisir tous les mécanismes, comme l’illustre un exemple récent.

    L’objectif était de fertiliser les océans en y répandant de la limaille de fer, censée favoriser la croissance du plancton afin de lutter contre la désertification des milieux marins, tout en absorbant une partie du CO2 présent dans l’atmosphère. L’hypothèse paraissait si séduisante qu’elle a permis à ses promoteurs de lever d’importants fonds financiers. Mais des investigations plus poussées ont mis à jour des inconvénients imprévus, au point qu’un groupe de scientifiques a appelé à son arrêt immédiat. En effet, il existe des seuils aux quantités de CO2 que les océans peuvent absorber sans dommage. Au-delà, leur acidité augmente, entraînant une décalcification fatale à leurs occupants. De plus, une partie de l’oxygène nécessaire à ces derniers se voit détournée par la réaction chimique correspondante. Enfin, le processus entraîne une intense production de dioxyde d’azote, voire de méthane, contribuant dès lors à la concentration de gaz à effet de serre dans l’atmosphère.

    À une moindre échelle, le cas de la ville de Barcelone est également significatif. Celle-ci a dû importer de l’eau à prix d’or pour faire face à la pénurie qui frappe la région dans ce domaine. Afin d’y remédier, la municipalité envisage donc de faire entrer en service une usine de dessalement d’eau de mer fin 2009. Or ce procédé se révèle dommageable pour l’environnement, à la fois par sa consommation énergétique et par les autres formes de pollution qu’il génère. Il se trouve pourtant en pleine expansion, afin de répondre à l’augmentation de la consommation d’eau dans le monde : 10 % par an, dont 58 % faisant appel à des procédés de dessalement.

    Ces deux projets participent d’une même philosophie, qui consiste à répondre à l’urgence plutôt que de se pencher sur les causes et solutions structurelles des phénomènes. En effet, on accroît dans chaque cas l’impact global pour résoudre un problème particulier. Dans la situation de Barcelone, une approche plus durable reviendrait par exemple à privilégier la récupération de l’eau de pluie, des modes d’irrigation plus économes, etc.

    Ce type de démarche présente en outre l’intérêt de sensibiliser le public à la question, et de favoriser ainsi la diffusion de telles pratiques. A contrario, des solutions purement techniques risquent de déclencher un « effet d’aubaine » : les bénéfices (économiques, écologiques…) sont compensés à terme par une nouvelle hausse de la consommation.

    >>> Comportements et organisation

    L’essor des problématiques liées au développement durable, au cours des années 1980, se fonde sur un certain nombre d’hypothèses, largement confirmées depuis :

    - le réchauffement climatique (que plus personne ne conteste désormais),

    - son origine anthropique (qui réunit désormais la quasi-totalité des suffrages des scientifiques compétents, malgré quelques voix discordantes),

    - la pression excessive sur l’environnement (identifiée avec de plus en plus de précision),

    - la question de l’agriculture et de l’alimentation dans le monde, ainsi, plus largement, que celle des ressources et de leur épuisement.

    Le réchauffement en lui-même ne peut être empêché, c’est en quelque sorte l’invariant de l’équation. En revanche, il est des domaines où il est plus ou moins possible d’agir. L’agriculture, par exemple, ne dépend pas que de données naturelles, mais aussi techniques, juridiques, commerciales, etc. Il en va de même, plus généralement, de l’ensemble de l’économie, de nos formes d’organisation ou de nos comportements. Les phénomènes climatiques ne sont pas en option ; là où l’option existe, éventuellement, c’est dans la manière de les prendre en compte.

    Les prendre en compte, c’est d’abord, au sens propre, les mesurer. On a vu toute l’importance (et la difficulté) de cet exercice, y compris sur le plan économique. La hausse du prix des matières premières (+ 75 % entre 2000 et 2007 selon l’Insee) en est une parfaite illustration, même si dans ce cas précis, le problème tient plus au sous-investissement qu’à une réelle pénurie, qui pourrait survenir, par ailleurs, à plus long terme.

    Bien évaluer les conditions locales, climatiques mais aussi écologiques, en termes de ressources comme d’impact de la présence humaine, constitue une première étape indispensable afin de mener des actions efficaces. Cette analyse du contexte local peut s’effectuer tant au niveau géographique qu’à celui des entités socio-économiques (entreprise, collectivité, foyer, etc.)

    L’autre domaine sur lequel nous avons prise est celui des avancées technologiques. Toutefois, les délais nécessaires, d’abord au niveau de la recherche, puis du passage à l’application, et enfin à la diffusion, forment un obstacle à leur efficacité immédiate. Parmi les technologies dont nous avons parlé, la plupart ne seront pas prêtes avant 10 ans au minimum (microalgues, moteur à hydrogène), et d’autres ne se concrétiseront peut-être pas avant un siècle, si elles voient jamais le jour (réacteur à fusion).

    Il paraît donc plus payant, à brève échéance, de travailler à infléchir nos comportements – ce qui n’enlève rien à la nécessité, par ailleurs, de solutions technologiques. Parier sur une transformation des pratiques se révèle un pari légitime sur la durée, car dans ce domaine aussi, les mutations peuvent être longues à se mettre en place.

    Du reste, ne pas émettre de GES vaut toujours mieux que compenser ou minimiser ces émissions. Ainsi la plus grande révolution, en matière de transports, consiste à optimiser les déplacements (réduction des trajets, changements de modes de locomotion…) et à réduire ainsi leur impact sur l’environnement. On pense bien sûr à l’urbanisme, mais aussi à une implication plus générale à laquelle devraient être sensibles tous les acteurs sur un territoire donné.

    L’ensemble des acteurs devrait pour cela adopter une approche d’ancrage territorial fort. Prenons l’exemple d’une entreprise qui recrute ses employés à proximité de ses locaux. Elle revitalise le bassin de l’emploi environnant tout en réduisant son impact au niveau des déplacements. La suite logique est de mettre en place des systèmes de déplacement de groupe (co-voiturage, etc.) et de travail à distance par des réseaux optimisés. De même, une distribution des produits, notamment alimentaires, à proximité crée des circuits de développement économiques moins destructeurs sur le plan écologique. Si les cultures sont elles-mêmes proches du lieu de vente, et biologiques, le circuit commence à devenir vertueux !

    On le voit avec un tel exemple, seules une organisation rigoureuse permet de mettre en place les outils nécessaires pour aider les bonnes intentions éventuelles à se matérialiser. La technologie peut dès lors être employée comme un auxiliaire au service d’un autre mode d’organisation, et à ce titre atteindre les objectifs d’une société véritablement durable, en réduisant au maximum ses retombées sur l’environnement. Observons enfin à ce sujet que l’opinion paraît particulièrement prête et motivée, et que c’est plutôt l’offre de services et d’accompagnement adaptés qui fait défaut actuellement…

  • II.B. Changer de paradigme
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    >>> La question de la valeur

    Un paradigme est un concept d’ordre général servant de base à nos systèmes socio-économiques, nos modes de vie et notre relation avec le vivant. Celui sur lequel s’appuie notre modèle de développement actuel a été élaboré aux XVIIIe et XIXe siècles, au début de la révolution industrielle. Il repose sur l’hypothèse de ressources illimitées dont la technique permet de se rendre progressivement maître. Cette hypothèse n’était pas dénuée de fondements : jusqu’à une date relativement récente – disons le début du XXe siècle –, les ressources disponibles demeuraient effectivement sans commune mesure avec nos capacités d’exploitation.

    Mais les résultats obtenus par ce modèle ont dépassé, et de loin, les espérances de ses fondateurs. De sorte que la situation s’est renversée : l’espèce humaine qui, durant la plus longue partie de son histoire, a vécu sous la menace de la nature, est parvenue à maîtriser celle-ci, mais au prix de la menacer à son tour.

    Parallèlement, l’essor de nos sociétés a entraîné leur interdépendance élargie aux dimensions du globe. Ce qui était en germe dans le projet initial s’est peu à peu concrétisé de façon manifeste. La spécialisation des économies entraîne quasi-mécaniquement la hausse des émissions de GES (et bien d’autres dégâts sur l’environnement), puisqu’elle appelle nécessairement à multiplier les déplacements entre les différents pôles d’activité. Plus profondément, la distinction ontologique que nous établissons entre l’homme et la nature semble directement en rapport avec le fait que notre impact sur l’environnement soit considéré comme ressortant au rang des « externalités », et à ce titre non comptabilisé.

    Au contraire, c’est donc en internalisant les conséquences de ces atteintes que nous pourrons prendre réellement le chemin d’un développement durable. Difficile de dire quelle forme précise doit prendre ce processus, car il résultera de transactions entre les différents protagonistes. La réglementation jouera son rôle, comme on le voit déjà avec REACH et ses effets incitatifs sur le développement d’une chimie verte en Europe. Mais l’initiative privée, au niveau des entreprises comme des particuliers, est tout aussi importante. Elle passe par une multitude de pas en avant, souvent modestes, menés au quotidien. C’est ainsi que se créent une culture, des habitudes.

    On peut en revanche déterminer le nouveau paradigme sur lequel s’appuieront ces actions, car il est dicté par la situation même. Il consiste à partir de l’idée d’une interdépendance généralisée dans un monde globalisé, dont les ressources sont de ce fait limitées. Dès lors, la principale question est celle de la valorisation de ces ressources, qu’il faut optimiser bien davantage que ne le permettent les schémas actuels.

    De manière significative, les outils permettant l’application d’une telle approche sont précisément ceux qui ont impulsé la globalisation. On pense bien sûr à Internet, qui constitue une plate-forme dématérialisée idéale pour diverses pratiques en plein essor du type AMAP, ACV, auto-partage. Notons d’ailleurs qu’autour du Web s’est cristallisé, avec le logiciel libre, un nouveau modèle de création de valeur fondé sur le partage des connaissances et la capitalisation des savoirs en système ouvert. Cf. aussi, dans un autre registre, l’influence de REACH sur le marché mondial de la chimie, ou la manière dont la municipalité de Sao Paulo a utilisé les crédits carbone pour financer son développement.

    Au-delà de ces exemples, se dessine la figure d’une planète tissée d’un maillage complexe d’interdépendances à plusieurs niveaux, entre l’homme et son environnement, mais aussi entre les grandes zones géographiques, les groupes de pays par revenu, etc. L’intérêt des nouveaux outils est de pouvoir connecter ces ensembles entre eux, tandis que les alertes liées à l’environnement nous imposent de relocaliser l’économie, ce que permettent aussi, avec plus d’efficacité, ces technologies.

    >>> Cinq pistes pour demain

    Mieux valoriser des ressources limitées dans un contexte d’interdépendance généralisée : tel est le nouveau paradigme d’un développement réellement durable. Il a différentes manières de se décliner sur le terrain, qu’on peut ramener à cinq motifs dominants :

    • L’écologie industrielle

    Le principe de l’écologie industrielle (aussi appelée économie circulaire) est d’associer des entités économiques de telle façon que les richesses créées soient valorisées au maximum par l’ensemble des partenaires. Une telle approche se pratique déjà, par exemple à Kalundborg au Danemark où sept entreprises font fonctionner leurs usines en commun afin de recycler les émissions polluantes et les déchets produits par chacune d’entre elles. Le modèle peut aussi se transposer au niveau d’une ville, comme à Genève où l’eau du lac Léman est utilisée pour réchauffer et refroidir un quartier entier, sans conséquences dommageables sur le biotope du lac.

    Plus généralement, cette approche consiste à transposer, au niveau du tissu économique et social, l’équilibre atteint par les écosystèmes naturels, dont chaque composante tire sa subsistance de celles qui l’entourent tout en leur fournissant en contrepartie ses propres apports. Dans une telle perspective, les systèmes naturels eux-mêmes deviennent alors un élément en soi d’un mécanisme plus global.

    • L’économie fonctionnelle

    Deuxième concept, l’« économie fonctionnelle » consiste à substituer l’usage des biens à leur acquisition. Citons le cas de Xerox, qui loue ses photocopieurs (d’ailleurs composés à 90 % d’éléments recyclés) aux entreprises plutôt que de les leur vendre. Les services d’auto-partage, privilégiant une utilisation optimale des véhicules par plusieurs passagers, vont dans le même sens. Un tel système est en cours de mise en place par la ville de Paris.

    L’économie fonctionnelle constitue une véritable révolution des mœurs en matière économique, puisqu’elle encourage à abandonner de capitaliser sur certaines formes d’immobilisation. On peut toutefois corriger cet inconvénient par de nouvelles formes de placement plus durables, l’habitat écologique, les produits financiers équitables, etc.

    • Le co-développement

    La notion de co-développement peut également être présentée par le biais d’une analogie avec les milieux naturels. Comme ces derniers, le tissu économique se compose d’une multitude d’acteurs de taille différente, occupant des niches spécifiques, le système dans sa globalité étant tissé de leurs interrelations diverses. Autrement dit, la concurrence est loin de constituer le seul motif de fonctionnement de ces systèmes, qu’ils soient biologiques ou sociaux.

    Toute activité économique s’appuie sur un ensemble de partenaires, de sous-traitants, et, in fine, de consommateurs. La prospérité des uns doit pouvoir rejaillir sur les autres afin de renforcer la viabilité de l’ensemble. Une illustration intéressante de ce type de démarche est le mécanisme du micro-crédit inventé par l’économiste bangladais Muhammad Yunus. Celui-ci consiste à prêter de faibles sommes, à des taux réduits, à des personnes vivant dans la plus grande pauvreté, afin de leur permettre de démarrer une activité économique. Cette approche se révèle un franc succès, avec des taux de remboursement de 95 %, et permet d’initier le développement de régions jusque là prisonnières de préoccupations quotidiennes.

    • La simplicité volontaire

    La simplicité volontaire est sans doute l’un des préceptes les plus délicats à mettre en œuvre en matière de développement durable. Elle suppose de limiter de façon consentie notre consommation. On en connaît d’infinies déclinaisons, d’un usage modéré de l’automobile à la préférence pour les fruits et légumes de saison, produits localement.

    La principale difficulté soulevée par ce concept tient au risque d’entraîner une diminution d’activité préjudiciable aux différents acteurs économiques, toucher au premier chef les plus vulnérables. Elle doit donc être complétée par une allocation proactive des ressources, jointe à une gestion durable de celles-ci, tant au niveau local qu’à l’échelon international.

    • L’approche comparative

    On ne le dira jamais assez : toute politique en la matière gagnera à s’appuyer sur une information pertinente, afin de contribuer efficacement, non seulement à la préservation ou à la restauration des équilibres sociaux et environnementaux, mais plus encore à l’insertion dans les processus d’évolution dynamiques qui relient ceux-ci entre eux.

    La démarche comparative participe du même ressort, en développant des stratégies d’amélioration progressive en fonction du contexte donné. C’est la politique des « petits pas » dont les résultats cumulés sur la durée peuvent se révéler impressionnants ! Une telle approche peut se pratiquer à tous les niveaux (entreprise, quartier, ménage, individu…) en comparant à situation égale, en identifiant les postes de dépense, en fixant des objectifs de réduction, etc.

    >>> La stratégie du réseau

    Le point commun à toutes ces approches est d’insister sur l’aspect relationnel et dynamique du processus. Ce ne sont pas tant les entités socio-économiques qui importent, que les liens qu’elles peuvent tisser entre elles et avec leur environnement naturel ou économique, ainsi que ceux qui se créent au sein de ces structures. L’ensemble de ces liens donne naissance à des dispositifs conjuguant les objectifs spécifiques à un acteur donné (rentabilité pour une entreprise privée, efficacité du service pour les collectivités publiques…) avec les impératifs du développement durable, qu’ils soient généraux (facteur 4) ou particuliers à la situation locale.

    Ces dispositifs s’inscrivent dans une perspective dynamique, c’est-à-dire que leur extension coïncide avec l’abord de nouvelles problématiques et la recherche de solutions à celles-ci. On peut dire que le simple fait d’identifier un nouvel enjeu revient à élargir le dispositif. Mais celui-ci ne commence réellement à se mettre en place que lorsque l’échange d’informations entre les intervenants fait sciemment l’objet d’une capitalisation, donnant lieu à des actions concertées elles-mêmes soumises à un retour d’expérience.

    Les dispositifs de ce type ne possèdent pas de modèle prédéfini, car l’une de leurs caractéristiques principales est justement de s’adapter aux conditions rencontrées sur le terrain et à l’évolution de celles-ci. On peut cependant leur trouver un certain nombre de points communs, et tout d’abord le fait qu’ils vont puiser une ligne directrice dans les concepts mentionnés précédemment : écologie industrielle, économie fonctionnelle, co-développement, etc. Parmi leurs autres attributs, on peut citer notamment :

    - la motivation des acteurs impliqués, reflétant leur conscience des enjeux tant au niveau global que du contexte où ils s’inscrivent,

    - la nécessité d’élaborer des structures ouvertes, afin qu’elles puissent répondre aux fluctuations d’un environnement lui-même de plus en plus changeant,

    - l’intérêt d’articuler les problématiques locale et globale à travers des solutions transversales, que ce soit en termes géographiques, sectoriels ou autres.

    L’idée centrale d’un tel mécanisme est de diffuser progressivement une « culture du développement durable » tout en participant activement à la mise en œuvre de réponses opérationnelles. Celles-ci, une fois validées par la pratique, viendront enrichir à leur tour les connaissances capitalisées sur le sujet. Le réseau ainsi formé, en s’élargissant, contribuera dès lors à répandre les savoir-faire accumulés, tout en récoltant de nouvelles données face aux différents cas de figure rencontrés.

    On pense au motif du jardin en mouvement cher au paysagiste Gilles Clément, où le jardinier, au lieu de contraindre la nature à se plier à ses intentions, sait tirer le meilleur parti des caractéristiques de cette dernière pour l’aider à s’épanouir librement. C’est donc à l’instauration de véritables « écosystèmes socio-économiques » qu’il s’agit de participer, en favorisant le rapprochement d’acteurs complémentaires et suffisamment divers pour assurer la variété de compétences nécessaire.

    Un tel schéma fournirait ainsi à ses participants les débouchés requis par leur développement, tout en leur permettant d’évoluer par étapes vers un modèle durable, conçu dès l’origine pour répondre à leurs besoins spécifiques. Le processus tout entier pourrait alors devenir un véritable moteur de croissance et de création de richesse, en participant à la structuration de nouveaux marchés tout en contribuant à réduire les coûts de fonctionnement des entités qui y participent. Recherche d’avantages concurrentiels, respect de l’environnement et équité sociale cesseraient dès lors d’apparaître comme des éléments conflictuels, pour s’intégrer dans une même démarche visant l’amélioration des conditions de chacun.