Il y a quelques années encore, les projections tests étaient l’apanage de l’industrie hollywoodienne. Depuis des décennies, afin de s’assurer l’approbation du public, les studios américains testent leurs films sur des spectateurs lambda, leur offrant une projection d’un de leurs films encore en phase de postproduction. Le but ? Prendre le pouls du public, voir avant d’apposer le mot « fin » au film si celui-ci fonctionne, s’il est compris et bien sûr apprécié. C’est le passage obligé pour un film de studio, et souvent un cauchemar pour un metteur en scène ne disposant pas du « final cut », craignant que si son film ne passe pas haut la main le test de la projection, le studio lui demande (pas forcément gentiment) de retourner en salle de montage (voire retourner sur le plateau) et de modifier son film afin qu’il devienne plus attractif pour le plus grand nombre.
Les anecdotes de films se voyant altérer suite aux projection-tests sont légions, l’une des plus célèbres restant le Liaison Fatale d’Adrian Lyne pour lequel le réalisateur dut tourner de nouvelles scènes pour changer le destin funeste du personnage de Glenn Close, le public trouvant qu’elle méritait de se faire tuer d’un geste vengeur plutôt que de se suicider. C’est donc Hollywood… ou plutôt c’était.En France, où le cinéma est perçu comme un art avant d’être une industrie, la projection test a mis longtemps à s’ancrer dans le paysage. Mais aujourd’hui, elle est bien là. Sûrement moins systématique et moins vitale qu’elle ne peut l’être à Hollywood, mais force est de constater qu’aujourd’hui, les projections tests se multiplient. J’ai déjà dû assister à une demi-douzaine d’entre elles au fil des ans, si je me souviens bien.
Bien sûr ce ne sont pas les films indépendants qui sont soumis à l’avis du public, mais bien les films de nos studios à nous. Pathé, Gaumont, UGC testent leurs films quelques mois avant de les envoyer en salle. Lors des projections, les films ne sont pas encore terminés. Le mixage (son) et l’étalonnage (lumière) sont parfois en cours de finalisation. Les effets spéciaux, s’il y en a, sont souvent assez basiques. Quant à la musique, elle est parfois absente. Bien sûr on prend bien soin de nous préciser cela avant le début d’une projection afin que l’on n’en tienne pas compte lorsqu’il s’agira de donner notre avis sur le film.
Et ce qu’on nous demande va généralement bien au-delà des simples « Avez-vous aimé ? » et « Recommanderiez-vous ce film à vos proches ?». Il s’agit d’un questionnaire, s’étalant sur 3 à 5 pages en fonction des films, allant des questions d’usage comme celles citées plus haut à d’autre nécessitant plus d’élaboration de la part du spectateur, comme nommer nos personnages préférés et pourquoi, préciser quelles scènes ne nous ont pas plu et pourquoi, révéler si la fin nous satisfait telle qu’elle est (et bien sûr… pourquoi)…
Je me souviens avoir vu ainsi, par le passé, Le parfum de la dame en noir de Bruno Podalydès ou Un secret de Claude Miller en projection-test. Parfois on se rend compte que l’avis des spectateurs ne devrait vraisemblablement pas influer sur la forme ou le destin du film, comme ce fut sûrement le cas de ces deux films là.En revanche il y a quelques mois, j’ai assisté à l’une de ces projections pour un film que je ne nommerai pas par respect pour une clause de confidentialité que j’ai signé à l’époque… un film qui a semble-t-il bien souffert de cette projection test puisqu’il était programmé à l’origine pour l’hiver dernier… mais qu’il n’est finalement toujours pas sorti. Aux dernières nouvelles (le calendrier des sorties du Film Français), il devrait finalement sortir cet automne. Production française conséquente, le film en question frôlait le catastrophique. Il était clair et net que le film, même si la version vue n’était pas finalisée, était insortable, un ratage artistique flagrant. Si tout le monde a pensé comme moi à l'issue de cette projection, nulle surprise à ce qu’il ait disparu du calendrier des sorties pendant de longs mois, suggérant que le réalisateur a plus que fignolé son ouvrage…
Après ce souvenir de projection test douloureux, j’allais craintif à une autre de celles-ci, la semaine dernière. D’autant que j’imaginais, vu le délai, qu’il s’agirait probablement d’un film prévu pour cet été, et avouons-le, la période estivale n’est pas le temps fort du cinéma hexagonal. Finalement ce fut une heureuse surprise de découvrir, pas avant que le film ne commence, qu’il s’agissait du nouveau film de Pierre Salvadori, réalisateur entre autre des savoureuses comédies Les apprentis ou Hors de Prix. Dans la version qui nous a été projeté, le film s’intitulait « De vrais mensonges », alors qu’il a été tourné sous le titre « Soins complets ». Il n’est pas sûr du tout que le film conserve le titre sous lequel je l’ai vu, l’une des questions posée après le film tenant justement sur le titre et son possible changement. Du reste, j’espère grandement que le film changera de titre tant il lui sied moyennement.
Si je me permets d’écrire ouvertement sur ce film, c’est tout d’abord car cette fois-ci on ne nous a pas fait signer de clause de confidentialité, j’aurais donc tort de m’en priver. D’autant que, seconde excellente raison de parler du film, celui-ci est tout à fait plaisant. Cette nouvelle comédie de Pierre Salvadori est interprétée par Audrey Tautou, Nathalie Baye et Sami Bouajila. Elle conte les atermoiements amoureux d’un interprète reconverti en homme à tout faire d’un salon de coiffure dans le sud de la France, amoureux de sa patronne, qui elle essaie de gérer la vie sentimentale de sa mère.
De vrais mensonges, Soins complets, quel que soit son futur titre, Salvadori devrait tenir avec son nouveau long-métrage un beau succès public, grâce à un ton léger, des quiproquos savoureux, et des personnages bien croqués (mention spéciale à une nouvelle venue qui campe une employée toute timide du salon). Sa comédie romantique a tout pour ravir, malgré des longueurs sur la fin… Le film manquait de chaleur visuellement, mais la projection n’ayant pas eu lieu en 35mm, et dans une version non finalisée, nul doute que lorsqu’il sortira (pas avant cet automne apparemment), le long-métrage aura plus de caractère.
Je ne crois pas être retourné voir un film vu en projection test lors de sa sortie en salles, histoire de voir si la version finale diffère notablement de celle que j’avais vu quelques mois plus tôt, fraîchement sortie de la table de montage… Si le film de Pierre Salvadori ne fera peut-être pas exception (il y a trop de films à voir !), je ferai peut-être une exception pour le film dont j’ai conservé l’anonymat, car celui-ci, nul doute que ce sera un long-métrage très différent de celui qu’il m’a été donné de voir l’année dernière. En espérant que son réalisateur l’ait grandement amélioré.