Depuis des jours, le printemps morfle. Vraiment. L’hostilité est devenue carrément palpable: C’est quand que ça va enfin s’arrêter, ce temps pourave? On aimerait bien quitter nos impers! Et enfin pouvoir se mettre en t-shirt! Et enfin pouvoir faire des grillades! C’est le printemps le plus dégueu que j’aie jamais vu!
Que d’ingratitude, se dit le printemps en glissant mélancoliquement dans la fraîcheur de la bruine. D’abord ils geignent: Avril était beaucoup trop sec! Et pis la nappe phréatique! Et pis les grenouilles! Et pis y a plus d’saison! Alors je leur envoie la flotte et voilà qu’ils geignent de plus belle. Mais le printemps n’est pas rancunier pour une primevère. Il a fait sienne la philosophie abnégative de son ami Jésus («Pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font…»). Et puis, après tout, peut-être bien que l’humanité est vraiment prête pour un changement de météo, avec toutes les conséquences que ça implique. Allons faire le point!
Le printemps prend son élan et entre chez Anke. Anke se tient face à la glace, elle tente en vain de fermer son jeans et crie à Paolo qui est dans la salle de bain: «Je te hais! Comment tu as pu me laisser devenir comme ça sans rien dire? J’ai l’air d’une baleine blanche! Pire que Cora après la naissance de Victor!». Le printemps claque des doigts et fait jaillir Paolo de la salle de bain. Paolo plaque ses mains sur les hanches d’Anke et fait voluptueusement «Mmmh…» avant de lui souffler: «On s’en fout de ton jeans, il fait moche, on retourne au lit et on y reste tout le week-end…»
Le printemps ferme pudiquement les yeux et rejoint Chantal et Patrick dans le bus. «J’ai honte, confie Chantal à Patrick. Mais l’idée de devoir les encourager le long du parcours de cross sous cette pluie battante, c’est au-dessus de mes forces.» «Ah non, dit Patrick en fronçant sévèrement les sourcils. Tu peux pas leur faire ça! Ils se réjouissent tellement de jouer les héros dans la boue! Et puis c’est toi qui leur as seriné les bienfaits du grand air, par tous les temps!» «T’as raison, gémit Chantal, mais là, j’ai juste envie de cocooner en mangeant des chips.» «Bio, au moins?», tonne Patrick. «Bien sûr! Mais je me sens coupable et…» «Je crois que j’ai une idée», dit Patrick. Et le printemps entend distinctement sa prière muette («Pourvu qu’il continue de faire moche!»)
Alors le printemps quitte le bus et relance la minuterie flotte pour la fin de la journée, avant de débarquer une heure plus tard dans la chambre des jumeaux. Patrick est avec eux. «Et alors, qu’est-ce que tu lui as dit?», demande Louis, les yeux enfiévrés. «Qu’elle pouvait vous acheter des Nintendo DS pour que vous soyiez pas trop tristes», répond Patrick. «Et?» glapit Hugo, n’y tenant plus. «Elle a dit non. C’était pas négociable.» «J’en étais sûr», lâche Hugo, écoeuré. «Alors, enchaîne Patrick, je lui ai dit qu’elle pouvait vous acheter l’album Panini et la maxi-boîte de vignettes…» «Et?» glapit Louis, n’y tenant plus. «Tataaaa!», clame Patrick en tirant les deux trésors de son sac. Les jumeaux hurlent de joie. «Et ce qu’il y a de bien, leur glisse Patrick à voix basse, c’est que comme il va flotter tout le dimanche, vous avez les droit d’ouvrir quinze packsons chacun. J’ai dit à Maman que c’était le minimum pour vous occuper tout l’après-midi.»
Le printemps sourit. Et essore à fond deux méganuages pour se féliciter.