Norah Jones revient à l’affiche de « My Blueberry Nights », le dernier film de Wong Kar Waï présenté en ouverture du Festival de Cannes, où elle tient le rôle principal. La BO du film inclus une nouvelle chanson « THE STORY », écrite par Norah Jones spécialement pour le film et inspirée de son expérience de tournage. C’est le vrai thème du film puisque « THE STORY » l’ouvre et le clôt, en plus d’être dans la bande annonce. Une bande originale déjà saluée par la critique avec en exergue trois titres de Ry Cooder.
Notes de Wong Kar Wai sur la bande-son
“My Blueberry Nights”, mon premier film en anglais, est l’histoire d’une jeune femme qui fait un énorme détour pour traverser la rue qui la mènera à l’amour véritable. Afin de bien comprendre comment elle allait se rendre d’un océan à l’autre, j’ai moi-même effectué le voyage, non pas une mais trois fois, en empruntant trois itinéraires différents, de New York à Santa Monica.
Chaque voyage a duré à peu près dix jours, et avec quelques membres de mon équipe, nous avons conduit une quinzaine d’heures par jour. L’expérience a été intense et restera gravée dans nos mémoires. Je me demande parfois si “My Blueberry Nights” ne m’a pas servi d’alibi pour effectuer le road-trip de ma vie.
Mile après mile, les images que je voyais défiler à travers la vitre et la musique que diffusait l’autoradio ont commencé à concorder de manière inespérée pour me donner un premier aperçu du paysage du cœur d’Elizabeth.
Ces voyages ont non seulement façonné l’histoire de “My Blueberry Nights” mais également sa bande-son.
“The Greatest” :
Avant de partir, j’ai acheté une pile de CD au Tower Records de Broadway à New York. Celui qui est ressorti du lot est “The Greatest”, de Cat Power. J’ai toujours trouvé que la voix de Chan Marshall était extrêmement évocatrice et “The Greatest” venait de sortir sous les bravos de la critique. Le CD a énormément tourné dans l’autoradio et lorsque nous sommes arrivés au Pacifique, je savais que “The Greatest”, la chanson-titre, devait être dans le film. Chan nous a rendu visite sur le plateau durant l’été 2006. Nous nous sommes bien entendus et avons aussitôt plaisanté à propos de la façon dont elle aurait pu interpréter l’ex-petite amie de Jeremy, un rôle qui n’existait même pas. Elle est revenue au cours de l’hiver 2006, cette fois devant la caméra, pour jouer ce rôle. Le rêve était devenu réalité.
“Harvest Moon” :
Durant nos voyages, on a pris des centaines de photos. Je les ai compilées dans un diaporama pour Norah avec la reprise de “Harvest Moon” par Cassandra Wilson comme musique de fond. J’espérais que le diaporama puisse l’aider à rentrer dans son personnage en évoquant des émotions, des pensées et des souvenirs d’un voyage qu’elle n’avait pas effectué. Je mets souvent de la musique sur le plateau pour créer l’atmosphère. Le jour où nous avons tourné la scène où Elizabeth pleure dans le café Kylutch, l’ambiance était particulièrement tendue. Pleurer à la demande est difficile pour n’importe qui et a fortiori pour une actrice dont la carrière avait débuté moins d’une semaine plus tôt. C’est pourquoi j’ai demandé à Norah de choisir la musique elle-même. Dès que les caméras se sont mises à tourner, on a entendu les crickets de l’intro et la voix douce de Cassandra Wilson. Je ne suis pas certain de savoir ce que cette chanson signifie pour Norah, mais prise après prise, les larmes ont commencé à faire leur apparition.
Ry Cooder :
Une bonne collaboration avec un compositeur est quelque chose de précieux car la musique ne peut être décrite en aucune langue. Ry Cooder et moi avons communiqué grâce à des images. Je lui envoyais un premier montage et il me le renvoyait avec de la musique. Puis je remontais les images et la musique avant de les lui renvoyer à nouveau. Cette manière de procéder a été la conséquence imprévue de nos plannings respectifs, particulièrement chargés, et aussi la manière la plus directe d’échanger des idées avec Ry. La magie de sa musique provient en partie de son équipe unique. Joachim, son fils, fait battre le cœur de la batterie, tandis que le père exprime ses états d’âme avec sa guitare. Le troisième membre honoraire de la famille est Martin, l’ingénieur du son de Ry, également compositeur de “Bus Ride”.
Ry connaît le voyage d’Elizabeth mieux que moi. Ayant maintes fois parcouru ces paysages au cours de ses années de tournée, il a fait profiter au film de ses yeux et oreilles de vétéran.
“Pajaros” :
La musique joue un rôle lors de toutes les étapes de la production. Pendant le montage, j’ai utilisé la musique de Gustavo en tant que bande-son temporaire du chapitre qui se passe au Nevada. J’ai essayé de le convaincre d’écrire une partie du score, mais malheureusement nos emplois du temps ne concordaient pas. Malgré son agenda compliqué, il a réussi à écrire l’adorable “Pajaros”.
L’histoire :
Nous avons tourné à Las Vegas. Norah a débarqué de l’avion avec un petit sac de voyage et une grosse caisse de guitare. Elle pensait qu’elle aurait souvent l’occasion, pendant les pauses, de jouer et de composer. Plusieurs semaines de tournage non-stop se sont écoulées et j’ai réalisé que même si nos chambres de motels étaient proches l’une de l’autre, je n’avais pas entendu sa guitare une seule fois. Néanmoins, à la fin du tournage, Norah m’a donné un CD de “The Story”. C’est son expérience du tournage résumé en une chanson. Nous avions beau être sceptiques quant à l’utilisation de cette chanson dans le film, je n’ai pas pu m’empêcher de combiner les impressions de Norah à l’histoire d’Elizabeth.
“Yumeji’s Theme (Harmonica version)” :
En 1990, Shigeru Umebayashi a composé “Yumeji’s Theme” pour le film “Yumeji” de Seijun Suzuki. Dix ans plus tard, le thème s’est retrouvé dans mon film, “In The Mood For Love”, dont la bande-son a été un énorme succès. Dix ans après sa première parution, “Yumeji’s Theme” connaissait enfin un succès mérité.
En 2001, j’ai été invité à donner une master class à Cannes. Là, j’ai projeté pour la première fois un court-métrage qui devait être le premier chapitre de “In The Mood For Love”. Il s’agissait de l’histoire d’un commerçant et d’une mystérieuse cliente obsédée par un gâteau. J’ai persuadé Umebayashi de créer une version contemporaine de “Yumeji’s Theme” et il a livré cette magnifique version à l’harmonica.
En 2006, j’ai développé ce court en un long-métrage. Les personnages étaient les mêmes, sauf que l’histoire ne se passait plus à Hong Kong, mais en Amérique. Ce film s’appelle “My Blueberry Nights”. Lorsque Elizabeth pleure dans ce café de New York, on entend “Yumeji’s Theme (Harmonica version)”, et la boucle est bouclée.