Mercredi dernier, j’étais à l’Espace Saint-Michel. Petit cinéma au cœur du quartier latin que je ne fréquente pas assez à mon goût. Pour être honnête, je ne fréquente plus beaucoup les salles de cinéma. J’ai mes raisons et certaines seront évoquées plus loin. Mon dernier passage remontait à la projection, dans ce cercle d’initiés, du film remarquable de Dany Kouyaté, Sya Yatabaré ou le rêve de Python, film où le remarquable et regretté Sotigui Kouyaté illuminait de sa présence son personnage ambigu et intrigant, conseiller de l'empire du Ghana...
Nothing but the truth est un film sud-africain de John Kani, coproduit avec Olivier Delahaye. Le personnage central est un vieux bibliothécaire de Port Elizabeth qui vit dans un township. Il a une adorable fille qui vit sous son influence et il attend le rapatriement de la dépouille de son frère mort à Londres. Alors qu’il se rend à l’aéroport, il se remémore ce frère avec lequel il a entretenu des relations complexes, partagées entre amour et rancœur, un héros de l’ANC... C’est son petit frère, malgré. Alors que les fils tenus qui ont unis cette fratrie se révèlent progressivement, avec entres autres, l’arrivée de son exubérante nièce accompagnant la « dépouille » de son père, John Kani nous fait ressentir les tensions de cette époque où la commission « Réconciliation et vérité » organise les auditions publiques des criminels de l’Apartheid. L’intérêt du film est justement dans la juxtaposition de la grande histoire et celle de ce bibliothécaire qui a perdu son fils lors d’une répression de la police.
Là, on pose le doigt sur le sens de cette commission et du bien-fondé de son action. Car si les criminels confessent leurs actes aussi abjects soient-ils, ils sont amnistiés. La réconciliation semble se faire au détriment des victimes qui ne voient pas la justice s’appliquer à leurs bourreaux. Seul Mandela pouvait imposer une telle démarche, ayant vécu dans sa chair durant 27 ans au fond d'une geôle, l’injustice blanche. Mais à quel prix pour de nombre de ses concitoyens ? Telle est la question subliminale que pose John Kani. Se pose également celle de la difficile redistribution des cartes entre les militants exilés et ceux qui ont subi sur place le système.
Cette soirée à l’Espace St-Michel s’est terminée par un débat autour du film avec son producteur, Olivier Delahaye, son distributeur et Penda Traoré d’AfriquaParis. Des questions intéressantes ont tourné autour de l’historique du projet, la communication sur le film (Télérama aurait massacré le film à la tronçonneuse) et sa faible distribution (le qualificatif est en-deçà de toute traduction), le film n’étant projeté à Paris qu’à l’Espace St-Michel, et dans deux villes de province Oyonnax et Nantua (les rhônalpins sont des privilégiés). Ne connaissant pas les mécanismes de la distribution des films en France, j’ai interrogé les interlocuteurs sur les raisons de cette faible programmation, tenant compte du contexte très favorable avec la Coupe du monde dans de football en Afrique du Sud cette année, pour promouvoir un film en plein dans l'actualité. L’envers du décor qui nous a été dressé par le distributeur m’a paru très révélateur des réalités et des contraintes mercantiles qui empêchent une certaine diversité dans les salles de projection en France. Entre les pressions qui sont exercées sur les exploitants de salle pour la diffusion et le maintien en salle de certains films, le diktat des superproductions américaines, la surproduction de films (sortie variant entre 15 et 20 productions par semaine), le coût de l’acheminement des films, le rapport aux médias... Je ne saurai être exhaustif par rapport à ce qui a été cité durant l’échange avec ce distributeur.
Les choses ne sont donc pas simples, même dans un système démocratique. Nous regardons ce que les financiers et les autorités nous autorisent à voir. Alors, si vous voulez entendre le propos de John Kani sur ce Nuremberg en version africaine qu’a été la commission « Vérité et réconciliation », le chrono est lancé...
Bonne projection à l’Espace St-Michel.