13 mai 2010 :
Philippe Jaccottet reçoit le Prix Schiller,
La Dogana publie un enregistrement de ses poèmes
Créé en 1905, le Prix Schiller est
considéré comme le plus ancien et le plus prestigieux des prix littéraires
suisses. Son jury décide d'une attribution tous les cinq ou bien tous les sept
ans (au total, dix-huit fois en 105 ans). D'un montant de 30.000 francs
suisses, ce Prix porte le nom de l'auteur de Guillaume Tell, Friedrich
Schiller. Il concentre ses choix exclusivement sur la littérature
contemporaine des quatre régions linguistiques de la Suisse. Il fut
autrefois décerné à Ramuz, à Durrenmatt, à Max Frisch, à Denis de Rougemont et
à Maurice Chappaz. Aucune institution n'est parfaite : parmi les grands auteurs
suisses, Robert Walser, Gustave Roud, Ludwig Hohl et Jean Starobinski sont sans
doute les quatre écrivains du vingtième siècle que ce Prix n'aura pas salués.
Ce jeudi 13 mai, le Prix Schiller sera décerné à 16 h, au Stadttheater de Soleure
à Philippe Jaccottet. Au terme des discours officiels et des remerciements du
poète, François Jaccottet, membre fondateur du Quatuor Modigliani jouera une
suite pour violoncelle seul de Jean Sébastien Bach. Les éditions de La Dogana font
paraître en cette occasion une publication en trois langues (français,
italien et allemand) : "Le combat inégal", un recueil
d'hommages et de textes inédits qui comporte son édition papier et puis surtout
un CD où l'on écoutera, proférés par leur auteur qui les a enregistrés en
février 2010, un choix de poèmes de Philippe Jaccottet.
Cette publication sans précédent est extrêmement bienvenue : Jaccottet est en
public un admirable lecteur, il n'accepte pas fréquemment de se plier à ce
genre d'exercice. Il aura fallu toute la persévérance et l'affection de l'un de
ses proches, Florian Rodari pour qu'il effectue en toute liberté, avec gravité,
sans hésitation et lors d'une unique prise, dans un studio aménagé à
l'intérieur du château de Grignan, cet enregistrement de très grande qualité.
Son choix s'est porté sur des extraits de ses recueils des vingt dernières
années : "Après beaucoup d'années", "Et néanmoins" ainsi
que "Ce peu de bruits".
NDLR, le prix Schiller
sera remis jeudi 13 mai à Philippe Jaccottet dans le cadre des Journées
Littéraires de Soleure auxquelles Poezibao
assistera.
Photo : Philippe Jaccottet dans son bureau à Grignan (photographie de Despatin
& Gobeli)
Le Combat
inégal
Grand prix Schiller 2010
Proses et poèmes lus et
enregistrés par l’auteur
Le
sommaire de cette publication insère des textes d'hommage composés par Pierre
Chappuis ainsi que par deux de ses traducteurs de l'italien et de l'allemand, Fabio Pusterla et
Aeas Issenschmidt. Chappuis rappelle que Jaccottet place très haut
Hölderlin, notamment à cause"de
l'innocence de son savoir". Pusterla souligne le fait qu'en Italie ses
traductions furent nombreuses pendant les dernières années du vingtième siècle;
à ses yeux, il s'agit là d'une"fortune subite, étonnante si l'on songe
au silence qui l'avait précédée". Issenchmidt rappelle ce que peut
être la visée des écritures Jaccottet : "ne rien expliquer, mais
prononcer juste".
On découvrira deux textes inédits de Philippe Jaccottet : des pages de prose
qui ont pour titre "Le Retour du troupeau"et ses remerciements, pendant lesquels il
se souvient tout d'abord des paroles qu'avait prononcées Gustave Roud le 27
juin 1941 lors de l'attribution du Prix Rambert. alors qu'il n'était qu'"un
timide jeune homme de seize ans". Après quoi, raconte Jaccottet, ce
fut le collège, l'université, Paris et le choix d'aller vivre à Grignan, au
début des années cinquante :"une
longue histoire presque sans accrocs, sinon sans patience": ..."outre le travail - la
traduction - imposé comme la plupart d'entre nous par des nécessités
matérielles, l'autre tâche, à peine un travail, elle : rester perméable à ces
espèces de signes qui, sombres ou clairs, lorsqu'ils pénètrent assez profond en
nous, semblent exiger d'être traduits en proses ou en poèmes".
A propos de cette histoire et des Prix qu'il lui arriva de recevoir, Jaccottet
ajoute qu'il n'y a certes pas de
"quoi
reposer sur ses lauriers". Sans le plus petit besoin de commentaire,
chacun pourra reconnaître l'extrême discrétion et "l'admirable tremblement
du temps"qui habitent celui
qui salue l'assistance venue l'écouter :"En
pareilles circonstances, on pourrait se sentir devenir peu à peu une espèce de
fantôme, même couronné comme on l'a voulu si chaleureusement aujourd'hui :
disons néanmoins qu'à ce presque fantôme restent peut-être quelque part une ou
deux réserves de paroles qu'il rêverait lumineuses ; et à tout le moins, le
devoir d'exprimer une gratitude d'autant plus vive qu'elle doit se frayer un
chemin dans la venue de la nuit".
Après Gallimard, un peu comme l'on fait autrefois Mermod et aujourd'hui Fata
Morgana, les éditions de La Dogana ont publié d'importants recueils de Philippe
Jaccottet :
"Libretto"qui
parle de voyages en Italie, "Le Bol du Pélerin" qui évoque
Morandi,"Truinas"qui se souvient d'André du Bouchet, deux
anthologies de poèmes ainsi qu'"Arbres, fleurs et fruits"qui commente l'oeuvre picturale de son
épouse Anne-Marie Jaccottet.
A quoi s'ajoutent cinq volumes, des traductions de Gongora, Mandelstam, Raboni
et Rilke.
La Dogana s'aventure depuis quelques années dans le domaine du livre-disque.
Cet éditeur diffuse des enregistrements d'Hugo Wolff et de Schubert ainsi qu'un
album de Gustav Mahler qui comporte des traductions
de lieder effectuées par Frédéric Wandelère et un essai de Jean Starobinski :"Malher dans la poésie française :
Pierre Jean Jouve, Yves Bonnefoy.
Parmi les textes récemment diffusés par Philippe Jaccottet, je voudrais
signaler
"Sol y sombra"
qui figure dans"Matières et
Mémoire", un ensemble de textes et de photographies édité par l'Hôtel de Campredon de
l'Isle sur la Sorgue. Ces pages de Jaccottet furent publiées une
première fois en 1995 dans un catalogue du Musée de l'Elysée, lors d'une
rétrospective d'Henriette Grindat. Jaccottet évoque l'existence de l'épouse de
Yersin, "passant abruptement de l'enthousiasme à la fureur",
souvent vouée aux lieux méditerranéens"sans
doute parce que ce n'était pas trop de leur éclat pour oublier toutes les
espèces de ténèbres qui la poursuivaient". Comme son amie Léo Fiaux, "se
tenant jusqu'au bout aussi longtemps qu'elles l'ont pu, bien droites et
radieuses face au taureau noir".
Par Alain Paire