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Max | Au bord de la falaise

Publié le 07 mai 2010 par Aragon

balançoire.jpgQuand Tafa devint seigneur de Tahiti il  épousa une princesse qui s'appelait la Grise. De longs cheveux noirs descendaient le long de son corps et tombaient sur ses pieds.

Ils se connurent. Ils s'aimèrent. Quand Tafa parti elle mourut.

Tafa revint de voyage. Sur la grève Tafa apprit que la Grise était morte. Il décida de se rendre aussitôt chez les morts pour la rejoindre. Il se trancha la gorge. Il se rendit à Tataa, à environ vingt milles de Uporu, lieu où les âmes se donnent rendez-vous avant de partir pour le paradis.

À Paea il apprit que sa femme était déjà au mont Rotui. Il se précipita au mont Rotui, grimpa au sommet mais là aussi il constata que sa femme était déjà partie. Il ne perdit pas courage, il reprit sa pirogue, parvint à Raiatera, gravit le mont Temehani et arriva à l'endroit où divergent les deux sentiers. Tafa s'adressa à Tuta qui gardait l'accès des sentiers. La Grise avait-elle franchi ce lieu ?

À son grand soulagement Tuta lui répondit que non. Selon l'avis de Tuta elle devait se cacher dans les buissons et reprendre des forces avant de s'envoler en se lançant du haut de la falaise.

Alors Tafa se cacha lui-même. Il reprit lui-même souffle et attendit. À peine avait-il apaisé son souffle qu'il entendit un bruit de feuillage remué. Il comprit que c'était un dieu qui lui parlait. Alors il se mit en position accroupie, les yeux grands ouverts, prêt à bondir. Bientôt il vit devant lui la haute et merveilleuse stature de sa femme. Elle se précipitait vers le rocher. Mais avant qu'elle pût s'envoler de la Pierre de Vie Tafa fit un bond prodigieux dans l'air et la prit par les cheveux. Elle avait des cheveux immenses et en y plongeant les poings il parvint à la retenir. La Grise se débattit mais son mari la tenait fermement, la tirant sur la Pierre de Vie. Pendant ce temps-là Tuta était accouru et expliquait à la Grise que le temps n'était pas venu pour elle de quitter ce monde, qu'elle se retournât plutôt. Alors la Grise se retourna et découvrit quel était l'homme qui la retenait par les cheveux.

- C'est toi, Tafa ! dit-elle.

Puis elle posa sa tête près du cou de son mari et ferma les yeux. Elle ronronnait. Ils se réfugièrent dans les buissons. Ils revécurent. Comme ils vivaient aux confins de ce monde, ils se trouvaient loin de toute vie sociale et familiale. Ils étaient pleins de joie l'un et l'autre. Ils s'aimaient. Ils se tenaient par la main et ils erraient au bord de la falaise à la limite du vide.

Photo 068.jpg
Texte de Pascal Quignard "Abîmes - Dernier royaume III", p. 135, Grasset 2002

(*) illustration jagerden : http://jagerden.com/

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