Juin 1990, le Mur de Berlin est tombé depuis novembre dernier, Roger Waters un des leaders du Pink Floyd joue The Wall dans la capitale Allemande, en plein air. Je débarque dans la ville avec quelques amis, le temps d'un court week-end pour assister au concert, boire des bières et manger des currywurst (saucisses épicées). Nous logeons dans ce qui fût Berlin Est, souvenir d'avenues gigantesques et larges où ne passent que peu de voitures et piétons, alors que côté Ouest la vie occidentale bat son plein. De longs pans du Mur taggués sont encore debout. Les touristes grattent et arrachent des lambeaux de ce symbole de la Guerre Froide qu'ils rapportent chez eux comme des trophées puérils.
Vingt ans plus tard. Nous nous sommes levés tôt afin de prendre le premier bus direction le RER A puis le B qui nous dépose ma femme et moi à l'aéroport de Roissy CDG. Je fais mon malin et tente de dialoguer avec une machine pour obtenir ma carte d'embarquement, funeste erreur car elle ne fonctionne pas. Un très courtois employé de la Lufthansa qui assure notre vol me dirige vers le guichet. Nous passons ensuite au sas de sécurité avec la déplorable impression d'avoir gagné un séjour en prison ; dans un casier nous déposons manteaux et sacs à main, on nous demande de retirer nos ceintures (et les lacets de chaussures ?) et casquette avant de franchir le portique qui nous scrute l'intimité. Il ne reste plus qu'à se rhabiller et attendre l'avion. En fait nous attendons un car qui nous dépose au pied d'un minuscule avion de 50 places, un Canadair. Gott Mit Uns ! On dit que les compagnies aériennes font des économies mais nous auront droit quand même aux journaux du matin et à une petite collation, un café et un sandwich, alors que le vol Paris-Berlin ne dure que 90 minutes.
Arrivée à Berlin, nous sortons de l'aéroport (Tegel) en quelques minutes à peine, un taxi - ils sont tous de couleur crème, très élégants - nous dépose à notre hôtel, le Mövenpick. Un très beau bâtiment du XIX siècle, ancienne usine, réaménagé avec beaucoup de goût, très chaleureux par son esthétisme (couleurs et matières) et son personnel discret mais efficace. Grande chambre et grande salle de bain, d'ailleurs ma femme ne réussit même pas à occuper toutes les étagères de la salle d'eau avec ses produits et crèmes ! Géographiquement parlant nous sommes très bien placés, non loin de la Postdamer Platz.
Pour vous faire une idée de Berlin - très globale et j'en demande pardon à ceux qui connaissent très bien la ville - un très grand parc (Tiergarten) occupe le centre de la ville. A l'ouest du parc le quartier de Charlottenburg, à l'est Mitte et au sud-est le quartier de Kreuzberg. La ville est ainsi composée de quartiers qui ont chacun leur âme propre ; ne restant à Berlin que quelques jours, nous nous sommes limités à ces trois quartiers. Charlottenburg est assez rupin, Kreutzberg est plus populaire avec ses squats et boutiques alternatives, tandis que Mitte regroupe tous les monuments et sites connus internationalement.
Première sortie à pied vers la Postdamer Platz dans le quartier de Mitte. Depuis 1990 tout a été reconstruit dans une optique très moderne, buildings de verre, galeries marchandes, le Sony Center avec sa gigantesque coupole futuriste symbolisant le Fuji-yama, l'imposant siège social de Daimler. Nous poursuivons vers la porte de Brandebourg, un peu comme notre Carrousel aux Tuileries mais en beaucoup plus haut. Six colonnes de vingt mètres de haut où se perche le quadrige de la déesse de la Victoire. D'ici part l'avenue Unter den Linden (Traduisez, sous les tilleuls) les Champs-Élysées locaux, le plus célèbre boulevard de la ville où trône à quelques pas l'imposant hôtel Adlon, le palace mythique. L'avenue est coupée transversalement par Friedrichstrasse, l'une des plus longues rues de Berlin, commerçante où se côtoient toutes les marques internationales et un magasin Galeries Lafayette. Idéalement placé, il rappelle le magasin parisien avec sa coupole qui attire les regards vers les hauteurs mais ici l'espace est prolongé vers le sous-sol par un effet d'entonnoir, où s'est installé le Lafayette Gourmet qui déploie tous ses trésors gourmands dans un faste et un luxe qu'on retrouve bien entendu à tous les étages.
Nous avons dormi comme des loirs dans un silence absolu. De la fenêtre de la chambre nous apercevons le dôme du Sony Center. Nous descendons prendre le petit-déjeuner, le buffet est exceptionnel, tout, absolument tout ce qu'on peut imaginer manger à ce repas est proposé. Un cuisinier prépare en direct vos œufs ou saucisses. La salle du restaurant sous une verrière est joliment décorée et le personnel débarrasse discrètement notre table dès qu'une assiette ou un verre est vide.
Direction Alexander Platz par le métro. Nous avions acheté à Paris une carte de transport valable 72 heures mais nous ne l'utiliserons que peu, préférant le mode pédestre qui nous permet de « sentir » la ville. Le métro est simple à utiliser et les wagons spacieux, il n'y a pas de portillons automatiques mais des bornes sur les quais permettent de composter son billet. Les Allemands, disciplinés et respectueux des lois - cliché ? - suivent les consignes. Durant notre séjour nous avons vu une contrôleuse, seule, vêtue en civil, elle montre sa carte et le passager lui présente son billet. Pour rester dans cet état d'esprit, dans les rues, quand les feux sont au vert pour les automobilistes, aucun piéton ne traverse la chaussée même s'il n'y a aucune voiture en vue. Pour nous Parisiens ça relève du délire, mais nous nous y sommes pliés avec plaisir en fin de compte. Dans les rues de Berlin beaucoup de cyclistes, les pistes cyclables sur les trottoirs ne sont pas toujours évidentes (pour nous) mais il y en a partout, donc il faut faire attention où l'on marche. Les cyclistes ne sont pas des bobos frimeurs, on sent qu'ils utilisent leur vélo toute l'année et par tout temps pour aller au boulot ou faire leurs courses. La circulation automobile semble beaucoup moins importante qu'à Paris et nous n'avons vu aucun embouteillage en ville, d'ailleurs de manière générale la vie paraît plus cool ici.
Quand nous sortons du métro à Alexander Platz, impression immédiate de grands espaces, comme l'esplanade de la Défense à Paris. Des tramways, résurgence de l'Allemagne de l'Est, traversent la place dominée par la haute tour de la télévision (365m) qu'on aperçoit de partout ou presque à Berlin. La mairie de Berlin en brique rouge, la fontaine de Neptune, l'horloge universelle Urania qui donne l'heure dans les principales villes du monde, buildings en verre.
Nous reprenons le métro pour le quartier de Kreutzberg, populaire, où se mêlent populations immigrées, artistes et squatters. Immeubles vétustes où poussent les antennes paraboliques, murs et portes taggués. Vieux bâtiments de briques sombres investis par les squatters, banderoles aux fenêtres, crèches pour enfants, petites parcelles de terre cultivées, les mouvements alternatifs sont encore vivaces dans le quartier. Nous déambulons dans les rues avant de rejoindre Check Point Charlie. Le poste de contrôle entre Berlin Est et Ouest subsiste, vestige d'un temps passé. Un lambeau de Mur symbolique certifié véritable où tout le monde se fait photographier, un musée du Mur, des vendeurs de souvenirs soviétiques, chapkas, insignes militaires, casquettes d'officiers.
Dans l'après-midi nous allons voir le Bundestag au bord de la Spree qui traverse la ville. Depuis 1998 le Parlement allemand (Bundestag) est retourné dans les locaux du Reichstag et depuis tout le quartier a été réaménagé avec la construction de nombreux bâtiments, chancellerie fédérale, gare centrale etc. Des tours de verre sur les berges aménagées me font penser aux Docks de Londres. Nous continuons vers la porte de Brandebourg à nouveau. Les vélos taxis proposent leurs services, les filles se font prendre en photo au bras d'un soldat planté là en permanence pour « l'ambiance » devant cet arc de triomphe. Retour par la Postdamer Platz et le centre commercial du Sony Center.
Soleil radieux et ciel bleu quand nous nous réveillons. Le moral de la troupe est au beau fixe. Pour honorer une « commande » d'une amie, nous allons voir l'église Maria Regina Martyrum. Elle est située au bout du monde, au nord-ouest de la ville, entre les cités HLM et le périphérique. Tout en béton et résolument moderne, lignes épurées sans aucune décoration superflue. Je mitraille, je photographie tout, du chemin de croix au clocher en passant par la Piéta stylisée. Un cloître de religieuses attenant, ressemble à un petit immeuble. Notre devoir rempli, métro pour le Kurfürstendamm (le Ku'Damm comme ils disent ici) dans Charlottenburg, une longue avenue où se pressent toutes les grandes marques de luxe de vêtements et bijoux, Rolex, Gucci etc. Terrasses de cafés comme à Paris. Repas dans une brasserie, saucisse, purée et choucroute compotée avec un broc de bière, légère et peu alcoolisée, puis une belle part de gâteau aux pommes et raisins secs avec une louche de Chantilly.
Nous arrivons enfin devant Gedächniskirche, construite en 1895 en mémoire de l'empereur Guillaume Ier, l'église du souvenir, ruine subsistant des bombardements de la guerre en 1943, où elle perdit entre autre sa tour. Elle est conservée ainsi en mémoire des horreurs de la guerre. Derrière la place, l'entrée du zoo avec son portique chinois et ses deux éléphants en pierre.
Sur Wittenburg Platz à deux pas, le magasin KaDeWe (Kaufhaus des Westens) équivalent de Harrod's à Londres. Luxe, luxe et luxe. Ne pas manquer la visite du 6ème étage dédié à l'alimentation pour attraper une indigestion rien que par les yeux !
Nulle part il n'y a trop de monde, on respire, même le métro est agréable. Retour à l'hôtel pour un peu de repos avant de ressortir pour Tiergarten. Comparable à Hyde Park ou au Bois de Boulogne, larges pelouses, lacs, arbres, bancs. Piétons, vélos, joggeurs, tout le monde vient s'y ressourcer ou y prendre du bon temps. Il y a de nombreux parcs et jardins dans Berlin, celui-ci est le plus grand. Nous voyons des lapins détaler dans les buissons.
En fin d'après-midi, Gendarmenmarkt, l'une des plus jolies places de la ville à l'écart de Friedrichstrass avec ses deux cathédrales jumelles se faisant face, la Française et l'Allemande. Entre les deux, le Koncerthaus, une magistrale salle de concert et autour de la place des terrasses de café. Un joueur de clarinette planté sur l'esplanade, le soleil qui luit, assis sur un banc nous dégustons l'instant, calme et reposant.
Bien sûr le temps nous a semblé trop court, nous n'avons pas pu tout voir mais nous le savions avant de partir, on ne visite pas une si grande ville en trois jours. Il fallait faire des choix, rater ceci pour voir cela. Certains ricaneront parce que nous nous sommes attardés dans le magasin KaDeWe mais n'avons pas vu le château de Charlottenburg ou aucun musée mais moi ce que je préfère quand je pars à l'étranger, c'est de marcher dans les rues et voir comment les gens vivent. Berlin est une très belle ville qui semble agréable à vivre aujourd'hui malgré son lourd passé historique et dramatique, ses parcs sont des poumons d'air frais, je me risquerais facilement en vélo dans ses rues contrairement à Paris et architecturalement il y aurait beaucoup à dire, tant les styles différents se marient avec bonheur. De mon séjour de 1990 je n'ai reconnu que certains aspects d'Alexander Platz et bien sûr, les éternelles baraques où l'on vend des saucisses toute la journée. Moi aussi "Ich Bin ein Berliner !"