Ailleurs dans Rennes pour cette biennale (jusqu’au 18 juillet), qui, saluons-le, est essentiellement financée par le mécénat d’un groupe privé et non pas par les pouvoirs publics, des impressions tout aussi mitigées. Les installations par trop simplistes ne font guère d’effet, ainsi de la superficielle pièce de Goldin & Senneby au Crédit Mutuel visant à pousser à l’extrême la logique des marchés financiers; ou, bien pire, elles ont l’effet inverse de celui espéré. C’est ainsi que le projet de Thomas Hirschhorn d’installer un théâtre précaire dans un parking dans le quartier chaud de Maurepas et d’apporter ainsi le théâtre et l’art au bon peuple s’est soldé, m’a-t-on dit, deux jours après l’inauguration, par ledit bon peuple, ou en tout cas ses éléments les plus turbulents, sans doute excédés par tant de condescendance, venant mettre le feu audit théâtre et aux belles sculptures de Monsieur Hirschhorn.
Les installations de Flavien Théry (sur la physique et la lumière) et d’Emmanuelle Lainé (sur le cabinet de curioisté et l’art de la mémoire) valent le détour, mais j’ai surtout regretté de ne pas voir se dérouler le programme du chorégraphe et plasticien Alain Michard au Centre Culturel Colombier (’J'ai tout donné’) : celui-ci mène un atelier de création sur le concept de document qui va durer jusqu’à la fin de la biennale et ce programme participatif comme une école ouverte semble passionnant; mais le premier jour, il n’y avait encore que des esquisses. À suivre.
C’est à La Criée qu’on trouve la pièce la plus intéressante de cette biennale avec le monument de Société Réaliste. Damien Marchal s’intéresse au passage à l’acte, au déclenchement. La petite histoire de la voiture piégée, fort bien racontée dans ce livre de Mike Davis, commence le 12 janvier 1947 à Haïfa en Palestine quand le groupe terroriste Stern, dirigé par le futur premier ministre israélien Yitzhak Shamir, fait exploser un camion bourré d’explosifs : 5 morts et 142 blessés pour ce premier attentat terroriste à la voiture piégée. Cette histoire continue en Indochine, aux Etats-Unis, au Moyen-Orient et ailleurs, et le livre la décrit de manière très documentée. Un épisode en a inspiré Damien Marchal : quand les Américains sont l’objet de plusieurs attaques au Liban en 1982/83, ils interdisent l’accès à leurs bases à tous les véhicules. Tous sauf les camions poubelles. Les terroristes, l’apprenant, font donc entrer un camion poubelle dans la base US et le font exploser. La conséquence fut que l’armée américaine quitta peu après le Liban. Dans le hall de La Criée, une maquette de camion poubelle en bois grandeur nature est donc garnie de bonbonnes explosives. De temps à autre, un sifflement sourd se fait entendre, suivi d’une déflagration assourdissante qui vous empêche de respirer pendant quelques secondes, l’onde de choc vous comprimant le diaphragme. Damien Marchal se définit comme un artiste sonore, et le son diffusé dans l’espace a été soigneusement conçu, en collaboration avec informaticien et acousticien, pour un effet maximum. Qui déclenche cette explosion ? Vous, en téléphonant au GSM du camion, lequel est relié au détonateur : appelez le 06.33.19.51.54. Chacun de nous a ainsi le choix de passer à l’acte ou non, de rester dans l’expectative prudente ou au contraire de satisfaire sa curiosité. À vous ! (Garbage Truck Bomb : Le Bombardier du Pauvre). Il est bien sûr question ici des guerres inégales, des armes des résistants face aux occupants, de la définition de ce qu’est un terroriste et du terrorisme d’état. Le bombardier du pauvre, écrit Mike Davis, est une “arme furtive, spectaculaire, bon marché, simple d’utilisation, aveuglément meurtrière, sûre, anonyme, arme idéale pour les groupuscules marginaux.” Un autre texte, de Rachel Campbell-Johnston fait le parallèle, “étrange et un peu tordu” entre artiste et terroriste : “Les deux ont besoin d’un public pour exister et cherchent à craqueler le vernis social pour exposer au monde ce qu’ils croient être l’authentique vérité. Le terroriste réussit à accomplir ce que l’artiste souhaite le plus au monde : attirer l’attention du public sur ce qui est caché ou négligé.”
Photos de l’auteur. Thomas Hirschhorn étant représenté par l’ADAGP, la photo de son oeuvre sera ôtée du blog à la fin de l’exposition. Voyage à l’invitation de la Biennale.