Lecture : Dana SHISHMANIAN.

Par Ananda

Dana SHISHMANIAN : " EXERCICES DE RESURRECTION ", Editions Hélices - Collection "Poètes Ensemble !", 2008.

Ce mince recueil de 40 pages regroupe des poèmes en vers libres assez longs et de facture très contemporaine.

Dès l'abord, ces textes nous empoignent, nous mordent littéralement aux tripes par la puissance de leur souffle lyrique, leur caractère flamboyant, souvent visionnaire, voire quelquefois même échevelé.

L'univers de Dana Shishmanian est un univers fortement marqué de sensorialité. C'est autour de l'ouïe, des sons, des instruments de musique et de leur produit que s'organise sa perception du monde, sa quête d'effacement du corps.

Mais cette poésie - qui grince, qui n'est certainement pas exempte de violence, de cette violence si typique des sensibilités "écorchées-vives"- véhicule également un regard et un état d'esprit tout particuliers en raison de ses résonnances mystiques , métaphysiques. C'est avec une sorte de ravissement que nous la voyons (que nous l'écoutons) s'enfler jusques aux dimensions cosmiques de l'espace-temps et du vide quantique créateur.

Sans rompre pour autant avec la prégnance de ses références chrétiennes, Dana Shishmanian sait se hisser au niveau d'une religiosité très moderne, étayée visiblement par de solides connaissances d'ordre scientifique. Voilà qui est fort enthousiasmant aux yeux des sensibilités tournées non seulement vers la poésie, mais aussi vers une recherche philosophique et spirituelle réactualisée, celles qui pensent que spiritualité et art poétique ont un lien.

La poésie de D.Shishmanian est, fondamentalement, une poésie qui vibre, qui se cherche un chemin vers une autre réalité, vers l'immatérialité de l'infini et de l'Origine.

C'est avec une intensité peu commune qu'elle nous traverse de ses flambées d'intuition qui apparaissent quelque peu sidérantes.

Ne nous fions pas trop à l'audace surréaliste, ni aux jeux avec les mots qu'elle ne dédaigne pas : cette écriture alchimique se veut feu purificateur.

Ce qu'elle poursuit ?

Le dégagement des contraintes de la corporéité, de la matière.

Devenir nappe d'espace ou de son, sortir, s'évader de ses limites pour palpiter avec l'essence du monde, avec l' "humilité / de musique atonale".

Ecrire un poème...oui, mais avec un souci de totale gratuité.

Ce dont cette poète nous parle, c'est de la prison, de l'illusion que représente notre propre enveloppe perdue dans l'éphémère et vouée à la finitude et à la souffrance. Elle, veut dépasser cela.

C'est en ce sens que je persiste à qualifier ce livre de "beau recueil de poèmes mystiques".

La qualité, la hauteur spirituelle de cet ouvrage ne font pas de doute. Visiblement, le "feu sacré", l'inspiration étaient au rendez-vous !

On en vient à se demander quelle mystérieuse source intérieure a dicté ces mots et ces suites de mots à l'écrivaine...

Manifestement, Dana Shishmanian mérite d'être davantage publiée. Elle est, en ce qui me concerne, une sorte de soeur en poésie, avec laquelle je me sens en singulière convergeance de vue. Tout comme Umar Timol, elle partage mes préoccupations les plus centrales.

Voici, à titre d' illustration de mon propos, quelques citations d'elle, que je trouve parlantes , et que je vous laisse tout le loisir de savourer :

"et mon contour plein de sons flotte / sur la vague qu'il contient";

"Quand tout se tait ? tu perçois quoi ? / ce vent de vide bruitage de tôles"

"rétrécir dans l'apnée du pleur";

"demain est une autre mort";

"...le rêve comme souvenir/ de ce qui ne s'est jamais passé";

" le "rêver à" que nous sommes";

"dieu de mes doutes";

"le plus dur c'est de comprendre / qu'amour et néant ne font qu'un chaos froid";

"la forêt profonde des sons / à venir"

P.Laranco.