Sage Francis est un artiste à part dans le monde du hip-hop. Si on parle de plus en plus d’indie rock, lui est sans conteste l’un des porte-drapeaux de l’indie hip-hop.
Et sur son nouvel album, Li(f)e, le quatrième à ce jour, il ne fait ni plus ni moins que la fusion des deux mondes.
Notamment en collaborant avec des membres de Death Cab for Cutie, Sparklehorse, Calexico et même Yann Tiersen.
Avant la sortie de l’album mardi prochain, le blog a posé quelques questions au Sage, assez peu connu en France.
Une bonne occasion pour découvrir le personnage…
photo par Anthony St James
CP : Emmène nos lecteurs dans ton monde. Comment Sage Francis est venu au hip-hop ?
Sage : J’ai découvert le hip-hop assez jeune comme c’est probablement le cas pour beaucoup de monde.
La seule différence est qu’à cette époque, le genre n’était pas aussi populaire qu’aujourd’hui.
Il n’y avait aucun rayon hip-hop chez les disquaires de ma ville.
Ca a définitivement percé dans la culture pop au moment où j’étais capable d’apprécier et de comprendre la musique.
Dès que j’ai entendu ça, je suis tombé dedans. J’adorais les beats, et les rimes… J’adorais l’attitude.
Le type de musique que je fais aujourd’hui ne ressemble pas réellement à celle qui m’inspirait quand j’étais gosse, mais c’est celle que j’aime et avec laquelle j’ai grandi.
CP : Depuis tes débuts, tes chansons apportent une analyse assez fine et sans concession de la société américaine, et des hommes en général. A travers des thèmes comme la religion, la violence, le sexe… Est-ce que tu t’es fait une mission personnelle de poser les questions qui dérangent et de mettre le doigt où ça fait mal ?
Sage : C’est une bonne question, mais je ne suis pas certain d’avoir la réponse.
Je pense qu’une bonne partie de mon art est guidé par mon désir de parler de choses dont on ne peut pas parler facilement dans une conversation ordinaire. C’est-ce que j’apprécie le plus.
Et quand tu es capable de divertir les gens et qu’en même temps tu leur donnes de quoi réfléchir et de quoi parler, alors c’est bien mieux que si tu étais un simple bruit de fond.
Non pas qu’il y ait quelque chose de mal à être un bruit de fond.
CP : Tes chansons ont aussi cette particularité de mélanger des morceaux de ta propre vie à des thèmes plus généraux. Est-ce que tu trouves dans la musique une sorte de catharsis ?
Sage : C’est cathartique par moment. C’est cathartique lorsque j’écris mes chansons, mais aussi lorsque je les chante. Je suppose que je me sens bien mieux mentalement et émotionnellement après avoir exprimé ce qui est d’habitude bloqué à l’intérieur.
CP : Ca fait maintenant un an et demi que Barrack Obama est Président. Quel est ton bilan sur cette période, toi qui a été un grand détracteur de Bush ?
Sage : Aujourd’hui, je crois qu’Obama souhaite réellement améliorer les conditions de vie pour beaucoup de gens dans notre pays mais aussi à travers le monde.
Ce qui me dérange, c’est que beaucoup de personnes pensent que le changement va se produire sur un claquement de doigts. Comme si les choses allaient s’améliorer comme par magie.
Quand ça n’arrive pas, ils hurlent immédiatement au scandale.
C’est le type de personnes qui n’arrivent pas à gérer leur propre business, leur propre carrière pour la plupart. Alors quand ils me disent qu’Obama ne fait rien pour eux, je me contente de hocher la tête et d’amener la discussion sur un autre terrain.
Des tas de gens sont cyniques et désabusés, quel que soit le Président. Je ne suis pas comme ça.
Je n’ai pas chargé Bush parce qu’il est Républicain. J’ai chargé George Bush parce que toute son administration a trompé le public au profit d’une minorité de privilégiés. Combien de temps cela va-t-il prendre de nettoyer les dommages des guerres qu’ils ont commencé ? Combien de temps cela va-t-il prendre de remettre sur pied une économie qu’ils ont détruit ?
J’imagine que ça va prendre pas mal d’années pour remettre les choses en ordre, et j’attendrai patiemment que cela arrive, à moins que je n’ai des preuves qu’Obama essaye secrètement de nous baiser.
George Bush a vraiment été à deux doigts de foutre en l’air chacun d’entre nous.
CP : Parlons musique… Tes instrumentaux sont de plus en plus éclectiques. Tu as travaillé avec Prince Billy, et sur ton nouvel album avec Jason Lytle de Grandaddy, Joey Burns, de Calexico, et même Yann Tiersen… Est-ce que c’est un impératif de ta part de toucher à tout, d’explorer de nouveaux territoires, des nouvelles manières d’habiller, de faire vivre tes mots ?
Sage : Je travaille avec tous les musiciens talentueux qui souhaitent créer de la bonne musique avec moi.
Ca m’importe peu de savoir de quel genre ils viennent. J’aime tous les styles de musique et je crois que le rap est beaucoup plus flexible, plus maléable que ne le pensent la plupart des gens.
Je préfère m’exprimer à travers des musiques que j’aime. Je suppose que c’est aussi simple que ça.
La seule contrainte est de le faire de manière classe et intelligente.
CP : Est-ce que tu joues d’un instrument ou est-ce que tu voudrais en jouer ?
Sage : Je possède plusieurs instruments et j’en joue en privé de temps en temps. Malgré tout, je ne joue pas si bien que ça…
J’ai une bonne oreille pour les mélodies, alors peut-être que j’approfondirais ma connaissance d’un instrument et que j’en jouerai de manière moins confidentielle.
Mais ne vous attendez pas à ce que ça arrive de si tôt (rires).
CP : Tes chansons ont un côté très cinématographique. Tu as une façon de raconter les histoires qui rappelle Bob Dylan, dans le sens où on peut aisément créer des images à partir de tes mots… Je sais que tu es « auto-référencé », mais est-ce que tu as des modèles, des inspirations dans ton process d’écriture ?
Sage : J’aime les bonnes narrations. Même si je ne me suis jamais considéré comme un conteur, je pense que j’ai un truc pour développer des images et pour le phrasé.
Bob Dylan est un de mes artistes préféré, mais je ne pense pas qu’il ait eu de l’influence sur ma musique. Peut-être que cela arrive inconsciemment…
Il fait partie des gens que j’écoute quand je cherche une émotion particulière. Pareil pour des chanteurs comme Neil Young, Leonard Cohen et John Lennon.
En général, j’aime écouter de la musique calme, et une bonne partie de cette musique n’a pas de paroles. Parfois, j’ai besoin de m’éloigner des mots. Je vais me coucher en écoutant de la musique atmosphérique ou des chansons aux paroles très simples.
Ca m’aide à me détendre.
CP : Pourquoi ce titre, Li(f)e ?
Sage : Une de mes chansons a une phrase qui dit « Life is just a lie with an f in it and death is definite ».
Beaucoup de gens se sont appropriés cette phrase. Des mecs ont commencé à avoir des tatouages « Li(f)e« .
Je ne sais pas qui a commencé, mais c’est devenu une sorte de mode. C’était assez étrange. Des centaines de tatouages.
Les gens se sentaient si proche de cette phrase que j’ai vraiment cherché à comprendre pourquoi, exactement, ils se sentaient concernés par ça.
Je présume qu’il y a une raison différente pour chacun, mais l’idée que je m’en fais est que nous devons tous accepter le fait que beaucoup de choses que nous avons pensé et cru de notre enfance à notre mort sont des mensonges.
Nous vivons tous sous certaines illusions. Je pense que c’est important d’en être conscient. Peu importe le fait que l’on accepte ça ou qu’on cherche à le dépasser.
Parfois, nous nous mentons à nous même parce que ça aide à rendre la vie plus douce.
Je suis le genre de personne qui a tendance à préférer la vérité au mensonge, mais là encore je suis sure que c’est une illusion que je me créé. C’est humain après tout.
Tant que mes mensonges ne blessent ou ne tuent personne, alors je peux vivre avec ma conscience (plus) tranquille.
CP : Tu as abandonné le noir et le rouge sur cette pochette concue par Shepard Fairey, qui est un street-artist/graphiste renommé et assez engagé. Tu peux nous en dire plus sur ce choix ?
Sage : Shepard Fairey est quelqu’un que j’ai tanné pendant 5 ans pour avoir un artwork.
Je n’ai jamais vraiment espéré l’avoir, mais j’essayai quand même.
Il a vécu dans ma ville natale, Providence, pendant 8 ans. On ne s’était jamais croisé auparavant, mais nous avions des amis communs. En fait, mon studio d’enregistrement et de répétition à Providence est dans l’entrepôt dans lequel il a créé ses sérigraphies pour la campagne « Andre the giant has a Posse».
Aussi loin que je sache, ce choix est du au fait que j’en ai vu une et que je me demandais : « Putain… mais qu’est-ce que c’est ? »
Mon logo pour Strange Famous (son propre label) et son constant remaniement est inspiré par cette campagne.
Maintenant, il vit en Californie où nous avons d’autres amis communs.
Mais ce qui a vraiment fait pencher la balance en ma faveur est une totale coïncidence.
Brian Deck, est l’homme qui a produit l’album Li(f)e. Pendant l’enregistrement, une femme qu’il n’avait pas vu depuis 15 ans est passée faire une visite au studio. Elle s’appelait Jaspyr et elle était dans le premier groupe de Brian. Quand elle est arrivée, Brian lui a demandé de faire quelques chœurs sur le refrain de ma chanson Little Houdini. Elle a accepté, et c’était super. Au soir, nous sommes tous allé diner, et elle m’a dit qu’elle bossait pour Shepard Fairey !
Elle m’a définitivement aidé pour la réalisation de cette pochette.
Une fois que j’ai pu parler à Shepard au téléphone, ça a collé immédiatement. On avait des tas de choses en commun : les endroits, les gens, les artistes qu’on connaissait…
Je lui ai donc fait écouter l’album et il a accepté de faire la pochette.
Ca prendrai du temps d’expliquer le concept, mais le portrait qu’il a réalisé est basé sur une photo que j’ai utilisé plusieurs fois dans ma carrière. Il a été capable d’apporter la touche finale à une image que j’ai retravaillé des tas de fois grâce à ce que j’avais appris de sa campagne Andre the Giant…
La boucle était bouclée.
CP : B.Dolan et toi êtes un vieux couple. Vous n’avez pas envie de faire un album ensemble?
Sage : (Rires) On est un vieux couple ? Tu veux dire un couple étrange ! On est un vieux couple étrange !
J’adorerai faire un album complet avec lui. On pensait faire un album intitulé The Step’s Brother (les demi-frères). « Epic Beard Men » est un autre nom qu’on pensait utiliser…
B.Dolan et moi avons créé www.knowmore.org (un site qui recense et note les différents marques à travers le monde en fonction de critères comme le respect des droits de l’Homme ou de l’environnement) ensemble, mais j’aimerai bien que notre album soit quelque chose de plus léger et amusant. On espère pouvoir mettre ça au point un de ces quatre. C’est mon demi frère d’une mère différente.
CP : Voilà, on arrive à la dernière question. Si tu veux dire quelque chose en particulier…
Sage : Nous allons tourner en Europe avec B.Dolan en Septembre et Octobre. On a quelques shows prévus en France et j’aimerai repartir à la maison avec de bons souvenirs, parce que je ne sais pas si je pourrai revenir à nouveau.
Alors dépêchez vous de venir nous voir tant que vous le pouvez bande de fous !
Et vous pouvez écouter l’album en intégralité sur son MySpace.
Un immense merci à Sage Francis d’avoir pris le temps de répondre à ces questions.