Au moment de confier à Pierre la charge suprême de l’ensemble du troupeau, Jésus a interrogé Pierre sur son amour personnel pour lui : « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu ? ». La triple répétition de la question évoquait immanquablement le triple reniement du futur pasteur de toutes les brebis. Pour instituer le premier pape, Jésus recrutait un pécheur, qui, encore à l’avenir, manifestera sa faiblesse autant que son courage. Une polémique allait, pour un temps, l’opposer à Paul sur la question de savoir si les chrétiens issus du paganisme devaient se soumettre également à la loi de Moïse. Avant de se rallier à l’ouverture de Paul – et de l’Esprit Saint – Pierre recourut encore à des subterfuges peu honorables. Même après sa rencontre avec Jésus ressuscité et l’effusion de l’Esprit Saint à la Pentecôte, Pierre demeurait un pauvre pécheur. Cela n’a pas empêché Jésus de le confirmer dans sa mission : « Pais mes brebis » - « Toi, suis-moi ! ».
Aujourd’hui encore la sainte Eglise de Dieu est composée de pécheurs. Depuis le Pape jusqu’au plus modeste des fidèles laïcs. Sans exception. S’il fallait réserver aux purs l’appartenance à l’Eglise, s’il fallait exiger de ses prêtres et de ses évêques une vie absolument irréprochable en tous points, non seulement il n’y aurait plus de ministres ordonnés, mais il n’y aurait plus de fidèles. Sur les registres de l’Eglise, on ne pourrait lire que les noms de Jésus, de Marie et des saints et saintes ! Et encore : ces derniers sont, simplement, des pécheurs pardonnés… Et brûlant ensuite d’un amour dévorant pour le Seigneur.
Nous avons vécu une épreuve terrible dans l’Eglise de Belgique, avec la démission d’un évêque pour abus sexuels sur mineur perpétrés avant son ordination épiscopale et même quelque temps encore par après. Comme toute épreuve, elle doit porter un fruit dans l’Eglise de notre pays. Un fruit de vérité et de cohérence. Certes, je le répète, nos évêques et nos prêtres seront toujours des pécheurs. Même les plus saints. Et cela vaut aussi pour les diacres, les personnes consacrées et les laïcs. Et un homme, une femme ont toujours, sur le plan personnel, droit à la conversion. Mais, sur le plan de la mission, il y a des incompatibilités que l’on ne peut tolérer. Spécialement quand il s’agit de délits graves aux yeux de la loi de l’Eglise ou de la loi civile. C’est pourquoi je lance solennellement les appels suivants :
1. Lors de l’enquête préalable à la nomination d’un évêque, que les personnes interrogées ne taisent jamais les délits graves qu’un candidat aurait commis en quelque matière que ce soit.
2. Durant les années de formation au diaconat ou au presbytérat, que l’on soit plus attentif que jamais à l’équilibre affectif des candidats et que l’on n’admette jamais à l’ordination un candidat qui aurait commis des délits graves, punissables par la loi ecclésiastique ou civile. Un candidat à l’ordination peut avoir eu des faiblesses en tel ou tel domaine et, à condition qu’il se soit amendé, il pourra éventuellement être ordonné. Mais jamais si l’on a connaissance de délits graves.
3. Dans le cas où un candidat à l’ordination a commis de tels délits, mais sans que la victime s’en plaigne et donc sans que personne n’en ait connaissance au dehors, je supplie ce candidat de refuser l’ordination si on la lui propose. De grâce, ne vous laissez jamais ordonner diacre, prêtre ou évêque avec un passé gravement punissable ! Vous pouvez être – et vous serez de toute manière – un diacre, un prêtre ou un évêque pécheur, mais vous ne pouvez pas être un ministre ordonné punissable, même si vous vous êtes convertis depuis lors. Un abuseur converti a sa place dans l’Eglise, car il y a une miséricorde pour tous, mais pas en portant une telle mission.
4. Je demande instamment aux personnes victimes d’abus de porter plainte devant la justice civile et je supplie les personnes en charge pastorale (prêtres, diacres, personnes consacrées ou laïcs) qui auraient commis de tels délits de se présenter spontanément à la justice. Les responsables de ces délits et leurs victimes peuvent aussi recourir au point de contact et à la Commission pour le traitement des plaintes pour abus sexuel dans une relation pastorale. La Commission et le point de contact ont été érigés par les évêques, mais fonctionnent de manière tout à fait indépendante. Le numéro de téléphone du point de contact est le 078 15 30 70. L’adresse e-mail est [email protected]. L’adresse postale (de préférence par lettre recommandée) est : Justus Lipsiusstraat 71, 3000 Leuven. Le site est www.commissionabus.be. Elle pourra entendre aussi bien les abuseurs que les abusés, même quand il s’agit de faits prescrits aux yeux de la loi civile. Je demande aussi aux personnes qui ont une connaissance fondée, vérifiée, d’abus commis par des responsables pastoraux de le signaler à leurs responsables hiérarchiques, mais avec la droiture et la prudence requises, afin d’éviter toute délation calomnieuse.
J’ai conscience que les appels ici lancés sont exigeants pour tout le monde, mais c’est le prix à payer pour mériter la confiance de l’Eglise et de la société. Seule la vérité et le courage nous rendront libres et dignes de foi. Enfin, comme je l’ai dit lors de la conférence de presse du vendredi noir 23 avril, j’ose espérer que les fidèles et les citoyens de ce pays auront la sagesse de ne pas jeter le soupçon ou le discrédit sur l’ensemble des évêques ou des prêtres, ce qui serait aussi un grave abus sur le plan moral. Beaucoup de prêtres souffrent actuellement d’une certaine méfiance qu’ils sentent planer sur leur ministère. C’est injuste. C’est pourquoi je tiens ici à redire ma confiance et mon admiration à l’immense majorité des prêtres qui s’acquittent dignement et généreusement de leur belle et difficile mission.
+ André-Joseph Léonard,
Archevêque de Malines-Bruxelles
Le 27 avril 2010