La chambre et l’oiseau
Cinquième partie :
Puis, bien-sûr, le temps passa. Sa mère ne revenait pas le chercher. Elle passait de temps en temps, furtive et souriante, parfumée et évanescente, à Noël, à Pâques. Envoyait des petits paquets, des cartes postales qu’il stockait mécaniquement dans le titroir, sans y penser. Léo commença à sortir de plus en plus souvent, de plus en plus longtemps. Il verrouillait sa porte. L’odeur de son lit changeait. La chambre devenait tour à tour bunker et repoussoir.
Sur le coin du lavabo il y avait désormais un rasoir et une eau de toilette.
“Laisse-moi au moins ramasser le linge” réclamait Lili derrière la porte.
Léo passait du temps à scruter son visage dans le miroir. Ses yeux lui paraissaient énormes. Son cou était trop maigre. Pourtant on le trouvait beau, Stéphanie le lui avait fait comprendre. Il jouait de la guitare, lisait des écrivains russes, avalait de l’alcool à fortes doses. Léo fumait et riait beaucoup et fort. Ses grands-parents recommençaient à s’attarder le soir dans la cuisine en parlant à voix basses et concentrées. Léo n’était pas vraiment rebelle ni même désagréable ; simplement il leur échappait. Avec son sourire doux et rêveur, avec ses gestes lents et souples, il se dérobait. Il acceptait les remarques et les reproches avec calme, opinait du chef aux conseils, puis il disparaissait à nouveau.
Léo avait des amis. Débordants de vie, d’énergie, d’idées, d’affirmations. Ils parlaient de tout, riaient, débattaient. Léo se sentait des leurs ; c’était agréable, nouveau et simple. Dans sa chambre, il pensait souvent à eux. Il songeait à ce qu’avait dit Joël, à l’assurance de Jérôme. Les yeux sur le papier peint, il pensait à eux.
Il ouvrit la fenêtre et regarda au loin les feux des voitures qui brillaient sur le boulevard mouillé. Il avait beaucoup grandi ces dernières années, Lili l’appelait pour qu’il attrape les objets dans le placard du haut de la cuisine. Il se sentit à l’étroit dans cette pièce. Il parcourut des yeux les quatre murs pour lesquels il pouvait enfin avoir un peu de tendresse puisqu’il allait les quitter. Il s’arrêta encore une fois sur le tableau de la dame et de son oiseau. Elle lui disait adieu, c’était évident. Mais depuis toutes ces années, l’oiseau restait dans ses mains, l’adieu n’en finissait jamais. Ils étaient tout deux enfermés dans le cadre comme dans une cage. Ça ne lui arriverait pas.
FIN
La chambre et l’oiseau by Mme Pastel est mis à disposition selon les termes de lalicence Creative Commons Paternité-Pas d’Utilisation Commerciale-Pas de Modification 2.0 France
Musique : Only Shallow de My Bloody Valentine. Photographie de Nick Suydam.