Existence d’une vie familiale entre un enfant et une famille d’accueil désirant l’adopter (CEDH, 27 avril 2010, Moretti et Benedetti c. Italie)

Publié le 07 mai 2010 par Combatsdh

Sur décision de justice, une petite fille fut placée peu après sa naissance au sein d' une famille d'accueil, à titre provisoire. Le couple d'accueil formula deux demandes d'adoption de l'enfant dont l'une resta sans réponse et l'autre fut rejetée sans motivation, une autre famille adoptive ayant été choisie entretemps pour l'enfant. Les recours déposés contre cette décision d'adoption devant les juridictions italiennes échouèrent.

La Cour européenne des droits de l'homme admet tout d'abord la recevabilité de la requête qui alléguait d'une violation de l'article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale).

Certes, la Cour exclut que les requérants puissent prétendre agir également au nom de l'enfant adopté (§ 33 : " les deux premiers requérants n'exercent aucune autorité parentale sur A., ne sont pas ses tuteurs et n'ont aucun lien biologique avec elle ") mais elle reconnaît l'existence d'" une vie familiale " au sens de la Convention entre les premiers et le second. Il est rappelé qu'il s'agit là " d'abord [d'] une question de fait, qui dépend de l'existence de liens personnels étroits " (§ 44) et que ces " liens familiaux de facto " se révèlent à la lueur " d'un certain nombre d'éléments, comme le temps vécu ensemble, la qualité des relations ainsi que le rôle assumé par l'adulte envers l'enfant " (§ 48).

Or, en l'espèce, les juges européens considèrent que ce temps passé ensemble (dix-neuf mois pendant " les premières étapes importantes de [l]a jeune vie " de l'enfant - § 49) et l'insertion de la petite fille dans la famille d'accueil ont créé " un lien interpersonnel étroit et que les requérants se comportaient à tous égards comme ses parents de sorte que des "liens familiaux" existaient "de facto" entre eux " (§ 50).

Cette analyse serait très classique si elle concernait une famille d'adoption, qui a vocation à terme à intégrer définitivement l'enfant en son sein. Mais, fait remarquable, il s'agissait ici d'une famille d'accueil, dont la relation avec l'enfant était par définition provisoire . A cet égard, les juges ne négligent pas le caractère " temporaire " de l'accueil mais estiment que le dépôt d'une demande d'adoption " constitue [...] un indice supplémentaire - même s'il n'est pas déterminant - de la force du lien instauré entre les requérants et l'enfant [et que l'on] ne saurait donc exclure que malgré l'absence de tout rapport juridique de parenté, le lien entre les requérants et A. relève de la vie familiale " (§ 51 - V. contra Opinion dissidente de la juge Karakaş qui estime que l' " on ne peut [ici] parler d'une relation entre un adoptant et un adopté, qui est en principe de même nature que les relations familiales protégées par l'article 8 (Pini et autres c. Roumanie, nos 78028/01 et 78030/01, § 140, CEDH 2004‑V ; [...]). Dans le cas d'espèce, les requérants représentaient une famille d'accueil qui avait la garde de l'enfant à titre transitoire ". V. à l'inverse l'opinion concordante du juge Cabral Barreto pour qui le dépôt d'une demande d'adoption " est déterminant et décisif ").

Sur le fond, en application cette fois de sa jurisprudence traditionnelle, la Cour considère que " le processus décisionnel " (§ 68) d'adoption a contrevenu aux exigences de l'article 8, la décision judiciaire de refus d'adoption n'ayant pas été motivée en première instance (§ 69), situation qui n'a pas pu être redressée en appel car " le passage du temps a eu pour effet de rendre définitif le décret du tribunal ". Or, " dans les affaires touchant la vie familiale le passage du temps peut avoir des conséquences irrémédiables sur les relations entre l'enfant et le parent qui ne vit pas avec lui. En effet, la rupture de contact avec un enfant très jeune peut conduire à une altération croissante de sa relation avec son parent " (§ 70).

L'Italie est donc condamnée pour violation du droit au respect effectif de la vie familiale (§ 71).

Moretti et Benedetti c. Italie (Cour EDH, 2e Sect. 27 avril 2010, Req. n° 16318/07)

Actualités droits-libertés du 6 mai 2010 par Nicolas Hervieu