Talonné par les partis d'opposition, le gouvernement conservateur de Stephen Harper est toutefois intervenu vigoureusement en mettant en place en 2009 son Plan d'action économique. Ottawa s'est engagé à investir quelque 60 milliards de dollars canadiens pour remettre l'économie à flot. Il a déjà dépensé 28 milliards $ pour l'année fiscale en 2009-2010 et prévoit d'injecter encore 19 milliards$ dans le cadre de son plan de relance en 2010-2011. Bien que le plan prendra fin en mars 2011, cette intervention massive a fait en sorte que le Canada se retrouve aujourd'hui avec une dette dépassant les 704 milliards $ (en date du 31 mars 2009) et un déficit estimé à plus de 3% du PIB (54 milliards $).
« En termes d'efforts réels économiques dans les programmes d'infrastructure et les secteurs de l'automobile, de la forêt ou des pâtes et papier, le Canada a dépensé proportionnellement davantage que les États-Unis, à cause des pressions politiques, soutient Claude Montmarquette, professeur émérite de l'Université de Montréal et PDG de Cirano. Mais le gouvernement s'aperçoit aujourd'hui que les mesures qu'il a mises en place ne sont pas si utiles. » Dans son plus récent budget, Ottawa a ainsi retranché les sommes non utilisées prévues pour la relance.
Comparé aux autres pays industrialisés du G20, le Canada semble en meilleure position que les États-Unis, la Grande-Bretagne ou le Japon, où le déficit dépasse les 10% du PIB. Mais si l'on considère la dette brute des gouvernements fédéral et provinciaux, le Canada fait néanmoins partie des huit pays développés dont l'endettement atteindra ou dépassera 80 % du PIB en 2010. Se situant dans la moyenne des 30 pays membres de l'OCDE, sa situation économique n'est donc pas plus enviable que celle de nombreux autres pays.
Comme lors du régime libéral en 1995, le gouvernement conservateur se voit donc à nouveau contraint d'assainir les finances publiques et d'éliminer le déficit. Le budget fédéral 2010 a proposé des économies de 17,6 milliards $ sur cinq ans en limitant la croissance des dépenses au moyen de mesures ciblées, promettant le retour à l'équilibre budgétaire pour 2014-2015.
Un gel salarial de la classe politique a également été décrété - pour une maigre épargne de 1 million $ -, et les budgets des ministères pour 2010-2011 ne seront pas augmentés afin de couvrir la hausse de 1,5 % des salaires annuels des fonctionnaires. « Les ministères seront tenus de réaffecter des sommes provenant d'autres éléments de leurs budgets de fonctionnement pour financer ces augmentations », écrit-on dans le budget. Toutefois, les impôts et les transferts aux provinces demeureront stables et le fardeau fiscal des sociétés sera réduit. Les prêts consentis au secteur de l'automobile à General Motors et Chrysler devraient pour leur part être remboursés d'ici 2015 et 2017 respectivement.
Ces prévisions encourageantes sont cependant basées sur une croissance de l'économie de l'ordre de 2,6% par année. Pour certains, celles-ci sont réalistes, voire trop prudentes, l'économie canadienne d'avant crise ayant cru à un rythme de 3% par année. « Ces prévisions budgétaires ne supposent pas que l'économie va rattraper son rythme initial, bien qu'une bonne partie du rattrapage soit maintenant fait, estime Serge Coulombe, professeur en sciences économiques à l'Université d'Ottawa. Dans ce contexte, les compressions annoncées sont relativement modestes et auraient pu être plus importantes, puisque les dépenses gouvernementales ont considérablement augmenté depuis 2002. »
Mais pour d'autres, notamment le directeur parlementaire du budget, Kevin Page, les prévisions du gouvernement sont franchement irréalistes. Selon lui, la récession est aussi grave au Canada que dans les autres pays du G7 et les calculs du gouvernement ne tiennent pas compte de l'incertitude économique. D'après lui, ce n'est pas un déficit de 1,8 milliard $ auquel le pays arrivera en 2014-2015, mais plutôt de 12,3 milliards $. « Nous croyons que ce montant représente la partie structurelle du déficit et que celle-ci ne disparaîtra pas avec la croissance de l'économie », explique Mostafa Askari, adjoint au bureau du directeur parlementaire du budget. De fait, selon les analystes financiers de la banque CIBC, l'économie canadienne est actuellement dopée aux stéroïdes et l'activité économique pourrait ralentir au cours de la deuxième moitié de 2010, avec la fin du plan de relance du gouvernement canadien et les hausses des taux d'intérêt.
Durant le règne de l'ex-premier ministre Jean Chrétien, le gouvernement « libéral » s'était efforcé de combattre le déficit et avait réussi à transformer un déficit de 40 milliards $ en un surplus en seulement cinq ans. « Nous avons réussi cela sans abolir de programmes, contrairement au gouvernement conservateur Harper, qui a coupé dans des programmes destinés aux personnes les plus vulnérables de la société, soit les analphabètes, les femmes, les musées et la culture en général », lance John McCallum, ex-membre du Comité de révision des dépenses gouvernementales et actuel critique libéral en matière de finances (parti de centre). Il faut dire que l'économie américaine, partenaire majeur, était alors en pleine expansion, ce qui n'est pas le cas actuellement.
Aujourd'hui, même avec un gouvernement conservateur se disant moins interventionniste, le Canada est retourné à la case départ en accumulant une dette qu'il lui faudra encore plusieurs années pour éponger. En fait, les éléments du budget les plus positifs sont ceux ayant trait à la productivité et l'innovation canadiennes, selon certains analystes . D'ici 2012, l'impôt sur les sociétés y sera le plus faible des pays du G7 et le pays sera le premier parmi les membres du G20 à éliminer les tarifs douaniers sur la machinerie et les biens d'équipement, ce qui en fera une zone franche susceptible d'attirer davantage d'investissements.
Sylvie Dugas est journaliste, chercheuse affiliée àl’Institut Économique de Montréal.