Malgré les bruits rampants, les bruits de gorge ou de narine, les bruits du petit matériel sur le formica de la table, malgré la houle annonciatrice de vacarmes et de tintamarres dans la joie des billevesées et autres tudesqueries, malgré le choeur des miaulements et piaillements quand le piège de la conjugaison étreint les âmes de sa mâchoire, alors que la craie elle-même grince des dents sur le tableau vert, malgré tout cela et tout le reste, la classe a du bon.
Un après-midi, un môme vous remet l'enveloppe qu'il a clandestinement fabriquée. Vous l'ouvrez. Vous lisez 22 prénoms soigneusement écrits avec leur majuscule. Vous regardez le coeur dessiné à côté et cette phrase, sans faute : "On t'aime", accompagnée de trois points d'exclamation. Vous êtes content. Vous êtes ému. Vous imaginez la circulation à votre insu de ladite enveloppe afin que chacun y appose sa griffe. Vous vous dites que ces vingt-deux enfants-là ont raison contre toute la clique des pédagogues constipés. Car vous savez depuis toutes ces années qu'on n'apprend bien que dans l'amour. Et vous vous promettez de ne plus répondre à ces faiseurs de vents que par un sourire. Un sourire entre ironie et mélancolie. Puisque vous savez qu'ils n'auront de cesse de saigner à blanc l'enfance.
Le dernier jour de classe, même si la fatigue a rongé vos rotules à demi, à votre tour vous direz à ces enfants-là : " Moi aussi, je vous aime !"