La Biennale de Rennes (jusqu’au 18 juillet) est assez difficile à cerner, tant par son thème peu cohésif (’ce qui vient’) que par la diversité de qualité des artistes invités. L’entrée dans le Couvent des Jacobins, son lieu principal, déroute : serions-nous à la présentation des travaux de fin d’année d’une école des beaux-arts de troisième rang ? se demande-t-on face à un distributeur d’oeufs frais qui s’écrasent quand on veut les obtenir moyennant une pièce de 50 centimes, devant un questionnaire à remplir pour obtenir un plan de survie à Bucarest ou sur un plancher instable fait de planches de skate sur lesquels on titube, passage obligé de l’entrée dans le lieu (sans que ce soit beaucoup plus profond, j’ai bien aimé la réécriture des évangiles par Laurent Duthion, dont je n’ai hélas pas goûté la cuisine). Heureusement, il n’y a pas que ces aimables canulars, mais mon sentiment global est néanmoins assez bien traduit par cette pièce de Pierre Bismuth, l’attente d’une jouissance, bientôt, bientôt,…mais qui ne vient pas (Coming soon).
Un bon nombre des pièces présentées ici manquent un peu de finesse, leur rapport au temps qui passe, à ‘ce qui vient’ est pesant, contourné, qu’il s’agisse de molécules accélérant ou ralentissant la perception du temps, d’annonces de catastrophes improbables ou de revisite des prévisions passées sur le XXIème siècle. La grande installation de Michel de Broin dans la cour centrale (Révolution), boucle sans fin que le visiteur serait condamné à parcourir éternellement, tient un peu trop de la prouesse coûteuse et du gadget pour vraiment convaincre. Passons vite sur les incontournables, Claude Lévêque qui, pour une fois, n’étonne guère, et Mario Merz très léniniste, et venons en à la plus belle réalisation du couvent, lequel est appelé à devenir bientôt un centre de congrès.
C’est un travail d’archéologie, d’écriture, de mémoire, d’inscription dans l’histoire qui est montré là. Comme les archives anciennes, qu’il faut déchiffrer attentivement, malaisément, pour découvrir l’histoire. Au sol, tout près des sépultures des grandes familles rennaises d’antan, sont inscrits 4000 noms de Rennais d’aujourd’hui, noms de famille arrangés alphabétiquement : serait-ce un gigantesque monument aux morts, un mémorial de déportés, de martyrs ? Les noms (sans prénoms) sont tracés dans le sol, avec des trous faits par une perceuse, travail brutal, violent, épuisant, travail d’un fou peut-être ? De Société Réaliste, dans ce contexte, on attendait une pièce plus évidemment politique, et on est pris à contrepied, la gorge nouée, par ce monument subtil aux Rennais anonymes (mais citoyens : il s’agit des listes électorales, pas d’étrangers en ce noble lieu), comme des Suisses morts, comme des victimes de la barbarie, comme des résistants à l’oubli.
Dans la même salle, le premier ready made de l’histoire du monde, une pierre en forme de visage, transportée dans la grotte de Makapansgat en Afrique du Sud par les premiers humains australopithèques il y a trois millions d’années. C’est la première trace des capacités cognitives humaines, d’une conscience de soi, d’un sens artistique, d’un goût pour l’inutile et le beau. L’original a, paraît-il, disparu. Hinrich Sachs, dans un autre acte de transportation, en montre ici une copie, et c’est très beau et très émouvant. Ailleurs dans le Couvent, une charmante installation plagiste décontractée de Catherine Contour, et surtout un superbe petit film de la franco-sénégalaise Mati Diop (remarquée comme actrice de 35 Rhums), Atlantiques, film sombre et pudique sur l’émigration clandestine, le désir d’ailleurs et la mort, qui se clôt sur l’éclat scintillant d’un phare, balise et alarme à la fois: comment devient-on un homme ?
Demain, les oeuvres présentées ailleurs dans la ville. Photos de l’auteur, excepté Bismuth et Diop.