Sortir la France de la crise ?
► « En 2009, malgré la crise, le pouvoir d’achat des Français a ainsi progressé de 2,1%. »
Pourquoi ne retenir que l’année 2009 ? Le document se garde de citer la quasi-stagnation de 2008 (+0,7% selon les chiffres de l’Insee) et la prévision noire pour 2010 : +0,1% au premier semestre, +0,3% au second.
► Dans la restauration, « la baisse de la TVA a permis de sauver plusieurs milliers d’établissements en difficultés et a contribué à la création de 5 300 emplois au deuxième semestre 2009. »
On est très loin de l’engagement pris par les restaurateurs en échange de la TVA à 5,5% : créer 40 000 emplois en deux ans.
Au sein même de la majorité, la mesure est contestée : moins d’embauches que prévu, peu de bénéfices pour les consommateurs, mais un trou important dans le budget de l’Etat. Des sénateurs de droite ont même réclamé le retour au taux initial de 19,6%.
► « Grâce aux conditions posées par l’Etat [aux banques], un resserrement général du crédit a pu être évité : malgré la crise, les encours de crédit ont augmenté de 2,7% en 2009. »
Ce glorieux « malgré la crise » est curieux : en échange du soutien financier de l’Etat, les banques s’étaient engagées à augmenter le montant de leurs prêts aux particuliers et aux entreprises, dans une fourchette comprise entre 3% et 4%.
Résultat en 2009 : une augmentation de 2,7% seulement (dans le détail, une hausse de 4,5% pour les prêts aux ménages, mais une baisse de 1,1% pour les crédits aux entreprises). Selon le gouvernement, c’est une belle performance compte tenu de la crise.
► « La France est désormais l’un des lieux au monde les plus favorables à l’innovation. […] L’installation récente du siège européen de Microsoft à Issy-les-Moulineaux illustre la pertinence de cette orientation. »
Un exemple trop beau pour être vraiment exact. Le déménagement du groupe américain a été annoncé en mars 2007, deux mois avant l’élection de Nicolas Sarkozy ! Et surtout, le siège social européen de Microsoft se trouvait déjà en France, simplement quelques kilomètres plus loin, à La Défense.
► « Encadrement des bonus des traders, une taxe sur les bonus étant instituée en France et au Royaume-Uni en 2009. »
Une des mesures symbolisant la volonté d’« imposer une régulation plus ambitieuse du capitalisme », selon le document de l’Elysée. Mais cette taxe de 50% sur les bonus des traders ne pourra pas « réguler » la finance de manière durable : cette taxe, provisoire, ne porte que sur les bonus accordés en 2009.
Vouloir une France plus forte ?
► « Instauration de peines plancher contre les récidivistes par la loi du 10 août 2007 : désormais les crimes et délits sont punis d’une peine qui ne peut être inférieure à un seuil fixé par la loi. »
Ce que ne précise pas le document, c’est que la loi n’est pas suivie par les magistrats. Selon les chiffres que nous a donnés le ministère de la Justice, au 31 décembre 2009, pour 42 000 décisions de justice qui portaient sur des délits commis en état de récidive, seulement 50% de peines plancher ont été prononcées.
Dans un rapport remis en 2007, deux députés UMP et PS font un bilan mitigé :
« Les peines plancher ne paraissent pas adaptées à la plupart des situations auxquelles sont confrontés les magistrats. Soit ils peuvent déroger à la peine qu’ils jugent excessive, soit ils ne peuvent pas et ils appliquent le plus souvent la peine plancher assortie d’un sursis avec mise à l’épreuve pour atténuer la peine. »
► « Création d’un délit d’appartenance à des bandes violentes en février 2010. »
Dès l’annonce de cette loi, des doutes sur son application ont été émis. Le dimanche 28 mars, 110 personnes ont été interpellées lors d’une manifestation anti-carcérale aux abords de la prison de la Santé, à Paris, non pas pour avoir commis des violences mais pour avoir été soupçonnées d’en préparer. Résultat : 110 interpellations, 57 gardes à vue, aucune poursuite.
► « La France connaît sa septième année consécutive d’amélioration dans la lutte contre la délinquance. »
La France connaît surtout une manipulation des chiffres de la délinquance.
Dans une tribune publiée sur Rue89, Laurent Mucchielli, sociologue, analyse les données de Brice Hortefeux pour démontrer que la délinquance ne baisse pas : les chiffres ne sont pas ceux de la baisse de la délinquance, mais ceux de l’activité policière sur la délinquance.
Le taux d’élucidation, dont le gouvernement affirme qu’il a progressé de 50%, doit ses bons scores à la focalisation des policiers sur des délits qui sont élucidés en même temps qu’ils sont constatés (racolage, consommation de cannabis…).
A noter que dans ce bilan, l’Elysée fait aveu d’inaction dans les quartiers sensibles : à aucun moment ne sont évoquées les banlieues, pas même le plan banlieue de Fadela Amara, le « plan Marshall des banlieues » pourtant annoncé à grand bruit en 2008.
► « Adoption en 2008, sous la présidence française de l’UE, d’un pacte européen interdisant désormais les régularisations massives de sans-papiers. »
Le pacte, adopté en 2008, n’évoque pas de « régularisations massives ». Le mot « interdiction » n’y figure pas non plus. Si le pacte précise que « le Conseil européen convient de se limiter à des régularisations au cas par cas et non générales », il rappelle qu’il « revient à chaque Etat membre de décider des conditions d’admission sur son territoire des migrants légaux et de fixer, le cas échéant, leur nombre. »
► « La crédibilité de la France dans la lutte contre l’immigration illégale a été restaurée. »
A la fin du mois de novembre 2008, un rapport du commissaire européen aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Thomas Hammarberg, alertait l’opinion sur les conséquences de la politique du chiffre du gouvernement en ce qui concerne les reconductions aux frontières.
En 2010, le même commissaire s’en est pris à la criminalisation des personnes qui viennent en aide aux sans-papiers. Enfin, les « excellents » chiffres, successivement brandis par Hortefeux et Besson, comprennent les expulsions de Bulgares et Roumains (dans l’UE) mais aussi celles d’étrangers expulsés alors qu’ils rentraient chez eux.
► « La présidence française de l’UE de 2008 a été une occasion de donner à l’Europe un rôle leader pour créer l’Union pour la Méditerranée »
Lancée à grands frais en 2008, l’UPM n’a jamais décollé. Une conférence sur l’eau prévue en avril a été avortée en raison du conflit au Proche-Orient.
A peine deux ans après son lancement, des élus s’inquiètent. Michel Vauzelle, vice-président de l’Assemblée régionale et locale euro-méditerranéenne (Arlem) et président de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (France), attend que le prochain sommet du mois de juin « débouche sur quelque chose de solide, c’est-à-dire qu’il y ait des moyens et non pas simplement des déclarations d’intentions ».
Construire une France moderne ?
► « La possibilité d’introduire un référendum d’initiative populaire est désormais ouverte. »
La révision constitutionnelle adoptée par le Congrès le 21 juillet 2008 a effectivement prévu dans l’article 11 de la Constitution la possibilité pour les citoyens de pétitionner pour convoquer un référendum, mais les conditions sont très restrictives et surtout, aucune loi organique n’a encore été adoptée pour le permettre.
Alors même que des lois organiques concernant les ministres ou France Télévisions ont, elles, été prises.
► « Permettre à chacun de réussir, en donnant plus à ceux qui ont moins. (…) Après la réforme du lycée professionnel, entrée en vigueur à la rentrée 2009, ce sera au lycée d’enseignement général et technologique d’être réformé en 2010. »
Dans la batterie de mesures qui suivent ces promesses, l’Elysée a « omis » un détail… qui ne va vraiment pas dans ce sens. Le nombre de postes supprimés dans l’Education nationale : 16 000 en 2010, 13 500 en 2009 et 11 200 en 2008.
► « L’objectif est clair : que les revenus et le milieu d’origine d’un étudiant ne soient plus jamais des limites à son ambition dans la poursuite de ses études. »
En étendant le RSA aux moins de 25 ans, le gouvernement a fait un effort louable envers les 160 000 jeunes qui en bénéficieront, mais la mesure est très timorée : pour le toucher, il faut avoir travaillé au moins deux ans et il ne concerne que 2% des 8,18 millions de 16-25 ans en France. Les Jeunes Verts dénoncent : « Rien n’est prévu pour les 1,2 million d’étudiants. Rien pour les 350 000 jeunes en IUT ou en STS… »
► Sur le service minimum : « Pendant les douze jours de la grève d’avril 2010 à la SNCF, les engagements en matière de service minimum ont été systématiquement respectés, permettant aux usagers d’être transportés sans trop de difficultés »
Ce n’est pas ce qu’ont constaté les usagers : « Le service minimum est respecté mais gens sont transportés avec difficulté », résume le président de la Fédération des usagers des transports d’Aquitaine, Christian Broucaret.
Il précise :
« Les usagers étaient prévenus des trains supprimés, mais avec le remplacement par bus, les retards étaient importants, donc les gens ont pris leur voiture. Surtout, effet pervers du service minimum, il est devenu beaucoup plus difficile de se faire dédommager. »
► « Jamais le dialogue social n’a été aussi dense et efficace que depuis mai 2007. »
Une affirmation que la rotation rapide des ministres du Travail (Eric Woerth a remplacé Xavier Darcos, qui a lui-même pris la suite de Xavier Bertrand) ne tend pas à confirmer.
Par exemple, pour la réforme des retraites, les consultations menées au pas de charge sont critiquées par les syndicats, pas persuadés d’être entendus lorsque le gouvernement annoncera ses décisions le 20 juin. Ainsi, le ministre n’envisage pas toutes les possibilités, il a déjà exclu toute hausse des prélèvements.
► « La suppression de la publicité sur les chaînes de la télévision publique a ainsi permis de sortir le service public de la contrainte d’audience, en lui offrant la possibilité d’une programmation ambitieuse et visant exclusivement la qualité. »
D’abord, la publicité n’a disparu des écrans des chaînes publiques qu’après 20 heures. Ensuite, c’est par le budget de la nation que le manque à gagner à été compensé. Enfin, la suppression totale de la publicité, pourtant déjà inscrite dans la loi, est aujourd’hui remise en cause jusqu’au sein même de la majorité.
► La taxe carbone sera mise en œuvre quand il y aura « un engagement européen ».
Or, cet engagement nécessitera l’unanimité des pays membres et est donc très hypothétique. L’abandon de la taxe sous cette mandature là, principal engagement du Grenelle de l’environnement, continue d’être nié.
► « La rénovation thermique des logements est lancée »
Certes l’éco-prêt à taux zéro est un « succès » mais cette aide fiscale n’est assortie d’aucune contrainte de performance thermique des logements anciens. De plus, le document de l’Elysée avance des chiffres d’économies que réaliseront les ménages (« 4 000 euros par logement en habitat collectif et 15 000 euros en maison individuelle, sur vingt ans »), qui sont jugés farfelus par les spécialistes : sans connaître le prix de l’énergie dans vingt ans, un tel calcul est impossible.
► « Notre pays s’est doté, avec le Haut conseil des biotechnologies, de moyens nationaux d’évaluation environnementale des OGM »
L’absence d’indépendance de ce « haut conseil » a été pointée dès sa création. Il a récemment jugé « acceptable » la culture du maïs transgénique Bt11, au grand dam des associations de défense de l’environnement. Sa légitimité est aujourd’hui très faible.
► « Jamais la France n’a engagé des moyens aussi importants en faveur des transports durables »
Une phrase à l’emporte-pièce qui ne colle pas ni avec la priorité donnée au réseau routier dans le plan de relance, ni avec l’autorisation de faire rouler des camions de plus de 44 tonnes, ni encore avec le report de la taxe poids lourds à 2012 ; ce qui fait de la France, selon le mot de Sandrine Bélier, députée européenne Europe Ecologie « l’aspirateur à camions de l’Europe. »
Bâtir une France plus juste ?
► « Permettre à ceux qui le souhaitent de travailler plus et de gagner plus : grâce à la loi Tepa d’août 2007, les heures supplémentaires sont désormais exonérées de charges et d’impôts. En 2008, déjà près d’un salarié sur quatre (5,5 millions) a bénéficié de ce dispositif, soit une redistribution de pouvoir d’achat de l’ordre de 150 € par mois. »
Comme Rue89 l’avait déjà démontré en 2008, les chiffres sont trompeurs : nombre d’heures supplémentaires n’étaient pas déclarées avant la promulgation de la loi Tepa, donc leur augmentation alléguée n’est pas significative. Surtout, par rapport à leur coût (environ 8 milliards par an), leurs effets bénéfiques se font attendre quant à la richesse créée : le PIB est en recul et le pouvoir d’achat des ménages est en berne.
► « Mieux accompagner la recherche d’un emploi grâce à un service public de l’emploi performant. La fusion entre l’organisme d’accompagnement des demandeurs (ANPE) et celui qui indemnise le chômage (Assedic) offre désormais un guichet unique : Pôle emploi. Malgré un contexte très difficile en 2009, cette fusion a été menée en un an. »
Grèves à répétition des personnels de Pôle emploi, aveux d’échec des directeurs d’agence, bugs informatiques, primes qui ne sont pas versées, hausse du chômage impossible à gérer… Eco89 liste depuis un an tous les petits et grands dysfonctionnements de la nouvelle administration, qui empêchent un fonctionnement normal.
► « Quant au bouclier fiscal plafonnant les impôts à payer à 50% des revenus de l’année, il concerne aussi de nombreux contribuables modestes : plus d’un bénéficiaire sur deux n’est pas soumis à l’ISF. »
Le vocabulaire permet aussi d’arranger la vérité. L’Elysée considère ici que tous ceux qui ne sont pas soumis à l’ISF (avec un F comme fortune) sont des « contribuables modestes ».
► « La réforme de l’hôpital vise, grâce à une meilleure organisation, à améliorer la qualité des soins offerts aux Français sur l’ensemble du territoire. »
La réforme des hôpitaux est davantage une réforme organisationnelle visant à sauvegarder les finances des hôpitaux qu’à améliorer la qualité des soins. Et elle a fait l’unanimité contre elle : le gouvernement a réussi à mettre dans la rue tant les directeurs d’hôpitaux que les grands professeurs de médecine.
► « Le déficit du régime de retraite, cette année, est celui que le Conseil d’orientation pour les retraites n’attendait initialement que pour l’année 2030. »
C’est simplement faux. Pour faire passer sa future réforme des retraites, l’Elysée est volontairement alarmiste. En réalité, les projections effectuées en 1995 pour 2010 correspondent exactement à la situation actuelle.
Zineb Dryef, François Krug, Julien Martin et Sophie Verney-Caillat
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