- Voilà le moment d'abattre les noix, allons à la montagne nous régaler avant que les écureuils n'arrivent et n'emportent tout.
- Bonne idée, dit la poule, je te suis ; nous allons faire la noce.
Les voilà partis ; sautillant, voletant, ils atteignent le but de leur voyage, et une fois là, ils s'en donnent à coeur joie.
A la fin ils avaient tant mangé, - peut-être aussi était-ce fierté - qu'ils ne voulurent pas s'en retourner à pied ; le coq, qui était industrieux, se mit à l'ouvrage pour faire une voiture avec des coquilles de noix. Quand il eut fini, la poule s'assis dans le carrosse et dit à son compagnon :
- C'est parfait, il nous manque un cheval ; ce sera toi, tu me traîneras.
- Moi ! répliqua le coq, en se redressant de toute sa hauteur, tu n'y songes pas ; j'aimerais mieux aller à pied au bout du monde ; n'y compte point, ma petite. Passe encore s'il ne s'agissait de conduire et de percher sur le siège, mais m'atteler moi-même, jamais !
La poule eut beau glousser, il tint bon.
Sur ces entrefaits une cane s'approcha cahin-caha, caquetant, cacardant.
- A-t-on jamais vu des drôles de ce toupet ! Dépouiller mes noyers ! on va vous montrer qui nous sommes.
Et les ailes éployées, le bec ouvert, elle fond sur le coq.
C'était un coq de combat ; il porta de si rudes coups à la cane, il lui laboura si bien les flancs, il lui planta si profondément l'ergot dans les chairs, qu'elle cria merci et consentit à faire tout ce qu'on voulait.
- Tu traîneras la voiture.
- Je la traînerai.
Elle se laissa attacher, bride au cou, mors au bec ; le coq grimpa sur le siège, et, fouette cocher, l'équipage se mit en mouvement.
- Plus vite ! plus vite que ça ! chantait le coq en faisant claquer son fouet.
Ils avaient fait une bonne moitié du chemin, quand ils firent la rencontre de deux passants, une aiguille et une épingle.
- Par pitié, dirent les deux voyageuses, emmenez-nous ; impossible de faire un pas de plus, on enfonce dans la boue ; voyons, soyez gentils : on vous revaudra ça ; nous étions venues chercher de l'ouvrage chez un tailleur, il est en grève, nous jouons de malheur. Soyez charitables.
Le coq les toisa de son haut ; puis, pensant qu'après tout, maigres comme elles étaient, elles ne prendraient
- Montez, mais ne nous marchez pas sur les pieds.
Vers le soir, ils firent halte à une hôtellerie. On ne pouvait aller plus loin.
La cane n'avait pas la marche facile ; elle vacillait, titubait, au risque de les faire verser. Il fallait se reposer. L'hôtelier fit d'abord quelques objections ; sa maison était pleine, la mine des voyageurs ne lui disait pas grand'chose. Bref, il se laissa convaincre par leurs promesses ; la poule lui fit don de l'oeuf qu'elle avait pondu en route, et la cane, qui était bonne pondeuse aussi, consenti à rester avec lui. Tope, marché fait. Nos cinq voyageurs firent ripaille avant de se coucher.
De bon matin, quand il ne faisait encore que petit jour, quand tous les gens de la maison dormaient comme des souches, le coq réveilla la poule, alla chercher l'oeuf, y fit un trou, puis ils avalèrent le jaune et le blanc, et plantèrent la coquille debout dans le foyer. Ils allèrent quérir l'aiguille, la prirent par la tête et l'enfoncèrent dans le crin du fauteuil de l'hôtelier ; ils piquèrent l'épingle dans la serviette ; et, cela fait, ils ouvrirent les ailes et s'envolèrent au loin dans la campagne. La cane, qui avait préféré coucher dehors dans la basse-cour, entendant le bruit qu'ils faisaient, se réveilla à son tour en sursaut, et trouvant près d'elle une mare, s'y jeta, filant plus vite à la nage qu'elle n'avait fait à la course.
Deux heures après l'hôtelier sortit de son sommeil, quitta son lit de plumes et se leva ; mais quand il voulut s'essuyer, l'épingle lui écorcha tout le visage et lui fit une balafre de l'oreille gauche à l'oreille droite. Il étancha son sang en jurant, et passa dans la cuisine, où il alluma sa pipe au foyer, mais à peine eut-il touché la cendre que la coquille d'oeuf lui éclata au nez.
- Je n'ai pas de chance ce matin, grommela-t-il ; et de dépit, il se laissa tomber dans le vieux fauteuil de son grand-père ; mais il sursauta du même coup comme un possédé.
- Aïe ! aïe ! aïe !
C'était l'aiguille qui lui était entrée dans la cuisse jusqu'au gras.
- Qui est-ce qui m'a joué ce tour-là ?
Sa femme accourut, on finit par trouver que c'étaient peut-être les voyageurs suspects hébergés par pitié. On fouilla partout, ils avaient déguerpi.
- Je te l'avais bien dit, gronda l'hôtelière, tu es toujours trop bon. Voilà ce qu'on gagne à donner le gîte et le couvert à des coureurs de grand chemin qui ne paient pas leur écot et vous jouent de mauvais tours par-dessus le marché.
L'hôtelier, une main sur la figure, l'autre sur la cuisse, l'air penaud et piteux, jura qu'on ne l'y reprendrait plus.
GRIMM
Posté par choupanenette à 15:37 - Cont