L’Union européenne semble être embarrassée par le dossier de la taxe carbone que la France lui a délégué. Le Président français, toujours très attaché à cette cause, préfère désormais avancer sous le bouclier européen que de faire cavalier seul. Nicolas Sarkozy vient ainsi d’adresser au Président de la Commission européenne une lettre conjointe avec le premier ministre italien en faveur d’une taxe carbone européenne.Peu de temps auparavant, dans un document de travail sur les financements innovants sur le climat, la Commission européenne exprimait des réserves sur cette idée et soulevait notamment le problème d’éventuelles incompatibilités de la taxe carbone avec les règles de l’Organisation Mondiale du Commerce.
- La taxe carbone n’est pas nécessairement incompatible avec les règles de l’OMC
Pour ne prendre en compte que cette dimension du commerce international et adopter volontairement une démarche biaisée, nous tenterons de verser quelques contre arguments au débat.
De manière générale, le commerce international est encore trop souvent perçu de manière bipolaire et oppose systématiquement libre-échange et protectionnisme, au risque de faire preuve de dogmatisme. Les instruments de défense commerciale (antidumping, antisubventions, clauses de sauvegarde) qui répondent à des pratiques déloyales et qui favorisent une bonne gouvernance du commerce international sont ainsi souvent stigmatisés comme répondant à des aspirations protectionnistes.
Toute tentative nationale d’intégrer des considérations environnementales dans les échanges commerciaux est très vite catégorisée de la même manière.
Il n’est pas certain que la crise financière internationale et la recherche de nouvelles valeurs puissent épargner complètement les échanges internationaux. Il est fort à parier au contraire que l’intégration de normes environnementales et sociales dans les approches commerciales se fasse de plus en plus pressente. Le commerce international ne peut en effet rester hermétique à la recherche d’une meilleure gouvernance mondiale. Les règles du commerce international n’ont pas vocation, plus que d’autres, à être immuables. L’Union européenne qui a dévolu un rôle important au Parlement dans le cadre de sa politique commerciale, ne pourra plus longtemps faire l’impasse de cette réflexion. La question de l’adaptation du libre-échange n’est pas un « effet de mode », mais bien au contraire le cœur du débat quant à l’avenir du commerce international.
L’Organisation Mondiale du Commerce ne s’est pas exprimée clairement sur la compatibilité de restrictions commerciales liées à l’environnement (et par là même sur une éventuelle taxe carbone) avec les règles existantes. Elle n’a pas, en tous cas, exprimé d’opposition formelle. De surcroît, il existe des accords environnementaux internationaux qui prévoient déjà de telles restrictions commerciales, comme le Protocole de Montréal sur les substances qui appauvrissent la couche d’ozone. Ces accords n’ont pour autant jamais été attaqués devant l’OMC. Il ne faut pas oublier non plus que l’Organe d’appel de l’OMC reconnaît le principe de précaution pour des raisons sanitaires ou environnementales dès lors qu’il ne s’agit pas de couvrir des risques théoriques ; voilà certainement une autre brèche qu’il conviendrait d’exploiter.
Des marges de manœuvre existent donc pour adapter la loi du commerce international aux contraintes environnementales et la jurisprudence en la matière reste à établir. Il est important que les zones grises soient éclairées et adaptées aux besoins de l’humanité.
- La taxe carbone européenne doit lancer le débat sur l’avenir du commerce international
L’idée d’une taxe carbone européenne ne doit donc pas être écartée d’un revers de main par simple crainte d’un prétendu protectionnisme. Bien au contraire, le débat sur la taxe carbone doit être utilisé pour réfléchir plus précisément à l’avenir du commerce international et aux champs d’action possibles pour promouvoir l’intérêt général.
D’un point de vue strictement du commerce international, l’initiative française de promouvoir une taxe carbone européenne doit être saluée car elle pose les vraies questions de demain. Encore faut-il ne pas s’exempter d’emblée d’une telle réflexion.
Car finalement, il ne faut pas oublier que le commerce international reste un jeu de rapports de forces basé sur une approche mercantiliste. C’est une approche donnant-donnant qui prévaut. Vouloir écarter le débat sur la taxe carbone par philanthropie commerciale au motif qu’il porterait atteinte au développement chinois ou indien n’a pas de sens.
Par ailleurs, quand la dynamique multilatérale fait défaut – comme c’est le cas avec une OMC paralysée par le cycle de Doha et incapable de se positionner comme moteur d’une dynamique de commerce international, ou avec les débats infructueux de Copenhague -, il ne faut pas forcément tuer dans l’œuf des initiatives unilatérales qui, à force de persuasion, peuvent devenir des initiatives plurilatérales en vue de promouvoir la défense de l’environnement à l’échelle internationale.
De fait, si le multilatéralisme n’est pas complètement mort, il ne faut pas se leurrer : le plurilatéralisme est promis à un meilleur avenir et il n’est pas improbable qu’il passe en amont par des pressions unilatérales.
Le coup de force de l’Union, même s’il ne devait s’agir que d’une simple « intimidation », ne serait pas neutre sur la promotion de normes environnementales dans le cadre de coopérations bilatérales.
Réfléchir à une taxe carbone européenne, c’est réfléchir à l’avenir de la politique intérieure de l’Union et à l’influence qu’elle veut exercer sur les règles commerciales de demain. Au-delà des considérations techniques liées aux coûts à faire peser sur les entreprises européennes – qui ont toute leur importance -, il est important également d’enrichir le débat sur ce volet du commerce international.