Dès que l'on eut découvert l'Amérique, on reconnut qu'elle était comme une barrière placée par la nature entre l'Orient et l'Occident. Christophe Colomb croyait, en partant d'Espagne et cinglant droit à l'ouest, à travers l'océan Atlantique, arriver en Chine ou au Japon. Quel ne fut pas son étonnement en trouvant sur son chemin tout un monde, et derrière ce monde le plus large des océans !
Quand on eut pris pied en l'Amérique, on songea à l'éviter. De bonne heure des expéditions s'organisèrent pour passer entre sa partie septentrionale et le pôle. Nous ne savons pas au juste ce que c'est que le pôle Nord. Est-ce une mer ? Est-ce une terre ? L'avenir nous le dira dans un siècle ou deux, non sans nous faire payer son secret de quelques naufrages.
L'un de ceux qui l'interrogèrent le plus hardiment fut un Hollandais, Guillaume Barentz ; il tenta le premier de faire le tour de l'Amérique par le nord. Parti de Hollande dans l'été de 1596, il atteignit sans trop de difficultés la mer qui s'étend entre le Spitzberg et la Nouvelle-ZembleNouvelle-Zemble. Barentz avant tout autre vit les ice-bergs, les montagnes de glace dressant à cents pieds de hauteur leurs masses blanches, bizarres, fragiles, et dont la rencontre eût écrasé son faible navire.
La nature épargna la vie de Barentz et de son équipage mais non sans lui faire expier cruellement son audace. En septembre, les ice-bergs commencent à se multiplier, ils se heurtent, et dans leurs chocs réciproques, tantôt ils se brisent en mille fragments, dont quelques-uns ont la forme de longues lances, et dont la pointe aiguë déchire la coque d'un vaisseau, tandis que d'autres se laissent choir de toute leur hauteur dans la mer, et mettent en pièces tout ce qui se trouve au-dessous d'eux. Tantôt au contraire un courant les rapproche et les soude ; malheur au navire qui se trouve entre eux ; il disparaît soudainement dans cette étreinte.
Barentz échappa à tous ces dangers pour un affronter un plus terrible ; un hivernage dans la Nouvelle-Zemble. Un poète hollandais, Henri Tollens, n'a pas jugé indigne de son talent cette aventure héroïque, et son poème a pris place parmi les monuments de l'histoire nationale.
Les courants et les ice-bergs poussèrent le frêle vaisseau sur une côte affreuse, dont le seul spectacle était capable de jeter le désespoir dans des âmes moins éprouvées. Qu'on se figure un ciel d'une immobilité implacable, où les mêmes constellations tournent indéfiniment autour du pôle, où la nuit dure bien des fois vingt-quatre heures ; un sol d'une uniformité blanche, aride, morne, de la neige, de la glace, puis plus loin, toujours plus loin, de la neige, de la glace. Il fallait y attendre sans trop savoir à quoi cette attente aboutirait. Barentz nous raconte en ces termes les débuts de son hivernage :