Lors de la 3ème édition des Etats généraux de l’Europe qui a eu lieu le 17 avril 2010 à
Strasbourg, Sauvons l’Europe et l’Union des fédéralistes européens coorganisaient un atelier sur
:
Lisbonne, et après : vers une Union renforcée et plus compréhensible ?
Avec Renaud Dehousse, Professeur Jean Monnet à l'Institut d'Etudes Politiques de Paris
André Landesman, Membre du Conseil d'Administration de Sauvons l'Europe
Jean-Baptiste Mathieu, Membre du bureau national et du comité fédéral de l'UEF Europe
Marta Semplici, Jeunes Européens Fédéralistes
Monica Frassoni, Co-présidente du parti des Verts européens, n’a pu être présente en raison des perturbations aériennes.
Le débat était modéré par Gaëtane Ricard-Nihoul, Secrétaire générale de Notre Europe.
Voici ce que nous en avons retenu:
Gaëtane Ricard-Nihoul introduit la discussion en rappelant que de la déclaration de Laeken en 2001 à l'adoption du traité de Lisbonne en 2010, 9 ans se sont écoulés qui ont fait intervenir trois référendums négatifs en France, aux Pays-Bas et en Irlande. À l'issue de ce processus, la question posée est celle du bilan critique du traité de Lisbonne, de ce qu'il permet de faire ou pas et des voies qui se dessinent pour son dépassement.
Renaud Dehousse s'interroge sur la vision que l'on aura du traité de Lisbonne dans 50 ans, car telle était en effet la durée que le président Giscard d'Estaing envisageait pour le traité constitutionnel européen. Le traité de Lisbonne se veut plus modeste. Il enregistre des innovations importantes mais pas de révolution : l'accroissement du nombre de domaines décidés à la majorité qualifiée, l'augmentation des droits du Parlement européen. En définitive, il ne s'agit pourtant que d'une étape de la construction européenne car il ne tranche pas sur les questions fondamentales : la politique économique, le modèle supranational.
Quels sont dès lors les moyens pour aller delà de Lisbonne ? L’institution du Président du conseil des chefs d'Etat et de gouvernement se traduit en pratique par un directoire des Etats, dont il y a peu à attendre. Il n'existe que peu de chances de voir naître à court terme un nouveau processus institutionnel. Il en va de même des coopérations renforcées, qui ont été conçues pour ne pas être employées. Il est donc nécessaire de faire progresser l'Europe en marge du traité, comme cela été le cas pour l'union économique et monétaire et dans le même esprit que la CECA. Il faut à nouveau se concentrer sur quelques pays volontaires et dans des domaines très spécialisés.
André Landesman considére le traité de Lisbonne comme une boîte à outils. Le traité augmente les pouvoirs du Parlement, ce qui freine automatiquement la tendance intergouvernementale. La suppression de la différence entre les dépenses obligatoires et facultatives va notamment dans ce sens. Pour lui, le problème n'est pas seulement institutionnel mais relève fondamentalement de la diffusion des valeurs et de leur définition. Les valeurs sont précisément définies dans l'article 2 du traité de Lisbonne.. La montée de la droite populiste en Europe, qui représente désormais plus d'un million de personnes, la met en mesure d'utiliser le référendum d'initiative populaire pour faire entrer dans le débat public européen des questions xénophobes, antisémites ou islamophobes. Il s'inquiète également de la manière dont sont traités les droits des roms, problème européen s'il en est. Il propose que le parlement européen surveille la progression des partis populistes en Europe, et en cas de risque de violation grave de nos valeurs par le gouvernement d’un état membre, alerte le Conseil conformément à l’article 7 du traité.
Marta Semplici annonce clairement que le traité de Lisbonne ne constitue pas la fin de l'intégration européenne : il reste beaucoup à faire. Le pouvoir du Parlement est encore limité sur de nombreuses questions et il doit être amené au même niveau de pouvoir que le Conseil. Elle propose que les députés soient élus sur des listes européennes, ce qui implique l'existence de partis européens. Enfin, elle appelle à la mise en place de politiques concrètes, en ce qui concerne la politique étrangère commune, l'éducation, le service civil européen, la politique énergétique et les enjeux climatiques. Elle estime que le prochain texte devrait être très simple.
Jean-Baptiste Mathieu replace la question sous l'angle du fédéralisme : le rapport de l'Union avec les citoyens. En effet, l'Union européenne n'est pas un acteur politique fort. Barroso a beau jeu de souligner le paradoxe que l'augmentation des pouvoirs du Parlement est concomitante avec une baisse de la participation aux élections européennes. En réalité, c'est l'inaction de Manuel Barroso lui-même depuis cinq ans qui conduit à cette apathie politique et à la prise de pouvoir des Etats au sein de l'Union. Nous nous trouvons ainsi confrontés à une coalition du statu quo, alors que Lisbonne n'est qu'une étape vers autre chose. La crise, notamment, appelle un gouvernement économique que le traité de Lisbonne ne fournit pas. Il apporte cependant l'initiative citoyenne, que Jean-Baptiste Mathieu ne craint pas contrairement à André Landesman, car il peut être un appui pour les fédéralistes. Le passage vers l'Europe politique ne vient pas en effet de lui-même, il est nécessaire que les fédéralistes impriment ce mouvement.
Avant de donner la parole à la salle, Gaëtane Ricard-Nihoul rappelle que Lisbonne constitue tout de même un progrès. Ce traité amène la charte des droits, des objectifs et des valeurs de l'Union, le service des affaires extérieures, l'extension des domaines soumis à la majorité. L'Union peut désormais intervenir hors de son champ de compétence si l'unanimité est réunie. Les limites de Lisbonne tiennent sans doute à la gouvernance, mais faut-il nécessairement un seul numéro de téléphone, un seul chef, une seule voix ? La pluralité des organes représentés n'interdit jamais d'aboutir à une position commune.
Plusieurs intervenants s’expriment depuis la salle :
- Le Parlement est en train de gagner sa crédibilité. En particulier ses positions affirmées dans les débats sur la directive service et sur les produits chimiques l’ont fait progresser politiquement, mais la baisse continue de la participation aux élections européennes menace sa légitimité. Il est donc nécessaire de préparer ces élections. Alain Lancelot propose que les grands partis se présentent sous le même nom et avec le même programme partout en Europe, en constituant des listes transnationales à deux bulletins pour les députés nationaux et transnationaux.
- Le traité de Lisbonne conjugue les déceptions comme la suppression des symboles de l'Union avec des progrès comme le service des affaires extérieures.
- Le système de consensus et celui qui est imposé par les plus forts. Le grand marché, en particulier ne profite qu'aux plus forts, il faut donc réfléchir à de nouveaux systèmes de transferts au sein de l'Union.
-Parce que le traité de Lisbonne est incomplet, il laisse des marges de manoeuvre et de progression. Il faut aller vers un texte plus simple. La difficulté de l'Europe est qu'elle est inconnue ; dès lors pourquoi les jeunes iraient-ils voter ? Le rôle de la société civile est de populariser l’Europe au quotidien. Et les plus diplômés des associations européennes doivent retourner vers les classes populaires pour partager leurs connaissances.
Jean-Baptiste Mathieu estime qu'il faut prendre garde à ne pas trop embellir le traité : dans quelques mois, le service des affaires extérieures peut tourner en eau de boudin. Il indique que la question du déficit démocratique est générale, comme le montre l'abstention aux élections cantonales alors que l'échelon du département est très important. Expliquer l'Europe risque de ne pas suffire, il est nécessaire d'incarner une politique. En ce sens, la société civile devrait soutenir le travail de Joe Leinen sur les élections européennes.
Marta Semplici rappelle qu'au départ, le Parlement n'était même pas élu. Le but, aujourd'hui, est d'européaniser la vie politique. Le problème du populisme vient de la difficulté qu'éprouvent les forces politiques à traiter de problèmes qui sont mondiaux, et pour lesquels même l'Europe est parfois trop petite.
André Landesman note que les symboles n'ont pas complètement disparu : par la déclaration numéro 52, 16 Etats membres indiquent que, pour ce qui les concerne, les symboles continuent de représenter l'Europe (la France ne fait pas partie des signataires).
Depuis la salle, Robert Toulemon s’interroge sur la possibilité, par décision unanime des Etats membres, de faire organiser les modalités des élections européennes par l'Union elle-même.
Renaud Dehousse estime que la difficulté principale de l'Europe n'est pas l'opposition des citoyens mais leur indifférence, due à l'ignorance. L'euroscepticisme s'exprime faiblement aux élections, mais l'abstention est forte. Il craint que se reposer sur les partis ne suffise pas à relancer l'Europe auprès des citoyens, compte tenu de l'image des partis politiques auprès du public.
Un intervenant depuis la salle déclare que le fiasco de Copenhague est une illustration de ce que l'Union européenne ne fonctionne finalement pas. Le monde a changé, Obama est le nouveau président des Etats-Unis, des Etats continents sont en train d'émerger dans la mondialisation. Pour Jacques Attali, l'Europe est en train de sortir de l'histoire.
Renaud Dehousse modère ce propos en rappelant que l'Europe a toujours avancé par les crises, mais que l'on n'a jamais l'assurance que cela finisse bien
Compte tenu de la place prise par l'organisation des élections européenne dans le débat, il est convenu de prolonger l'atelier par une réflexion de la société civile sur ce thème. Pour la restitution des ateliers Gaëtane Ricard-Nihoul retient donc la proposition suivante :
Prolonger les EGE par la création d’un groupe de réflexion comprenant des acteurs de la société civile, des partis politiques et des médias en appui des travaux du Parlement européen, afin de réfléchir dès maintenant à la manière d’intéresser le public aux élections européennes.