« De bric et de broc » : cette locution signifie « Avec des éléments de toutes provenances » ; autrement dit, un peu de tout, du bon et du moins bon. La mondialisation actuelle est ainsi faite de bric et de broc. Le BRIC, ce sont les principaux pays émergents (Brésil, Russie, Inde et Chine), qui viennent de se réunir à Brasilia ; ils représentent un monde qui change et qui sort de la misère. Le reste, le broc, c'est nous, l'ensemble des pays riches, qui perdons du terrain, faute de nous adapter au nouvel environnement économique, même si pour l'instant les Américains s'en sortent mieux que la vieille Europe qui semble bien à la traîne.
BRIC : ils font la course en tête
Cette réunion, devenue traditionnelle, des quatre pays formant le BRIC, très représentatifs des pays émergents, a révélé une fois de plus l'écart qu'ils creusent avec le reste du monde. Sans doute toutes les conclusions n'en ont pas été tirées, parce que le président chinois a dû précipitamment quitter la réunion, pour s'occuper des dégâts commis par le récent tremblement de terre dans son pays. Mais les observateurs en ont appris assez pour mesurer l'avancée des pays émergents et la rapidité avec laquelle ils ont surmonté la crise mondiale dont les pays « riches » ne sont pas tous sortis.
Il suffit de rappeler que, pour 2010, on prévoit 10,1% de croissance en Chine (et peut-être plus : la croissance y a été de 11,9% au premier trimestre), de 8,0% en Inde, de 5,3% en Russie (qui est pourtant loin d'être un modèle) et de 4,9% au Brésil. Même en 2009, année « de crise », la croissance chinoise a été au total à peine inférieure à 9%. Pendant ce temps, dans les pays développés, la croissance a été partout négative, et ce que nous appelons « reprise » en 2010 se traduira, selon les prévisions de l'OCDE, par 2,4% de croissance aux Etats-Unis, 1,3% au Japon, et à peine 1% en Europe (0,9% en France par exemple). Le fossé se creuse entre la vieille Europe et le Nouveau monde, et entre tous les pays de l'OCDE et les autres.
L'atelier du monde et le bureau du monde
Cette croissance des pays émergents s'explique en grande partie par la mondialisation, car ils ont joué à fond le jeu des échanges extérieurs. Ce sont les exportations de produits manufacturés qui ont permis l'émergence chinoise (« l'atelier du monde ») et les exportations de services qui ont été le moteur de la croissance indienne (« le bureau du monde »). Le Brésil l'a compris à son tour et si les négociations du cycle de Doha, dans le cadre de l'OMC, ont pour l'instant échoué, c'est parce que des pays comme le Brésil ont dénoncé le protectionnisme, notamment agricole, des pays développés. Inutile de préciser que les pays émergents plus petits (de la Corée du Sud à l'île Maurice, en passant par les dragons d'Asie du Sud-Est) se sont eux aussi développés grâce au commerce mondial.
L'élément le plus spectaculaire de l'année 2009 a été dans ce domaine le fait que la Chine soit devenue le premier exportateur mondial, avec 1202 milliards de dollars d'exportations, devançant désormais l'Allemagne (1121 milliards). Mais les Etats-Unis (même si on se plaît à souligner l'importance de leur déficit commercial, mais c'est un problème secondaire) ne s'en sortent pas si mal, au 3ème rang, avec 1057 milliards (sans oublier qu'ils ont aussi l'avantage d'un vaste marché intérieur, avec une population nombreuse à fort pouvoir d'achat). Même un journal comme Le Monde, peu suspect de pro-américanisme primaire, titrait « Commerce : les Etats-Unis reviennent dans le jeu », faisant allusion aussi au fait que les USA essaient de reprendre la main pour obtenir un accord à l'OMC avec les pays émergents, tandis que l'Europe semble largement absente du débat, écartelée entre les tentations protectionnistes des uns (voir la France et sa défense de la politique agricole commune) et l'ouverture sur le monde des autres (le vrai moteur économique de l'Allemagne reste les exportations).
La France, notons-le en passant, vient même de se faire dépasser pour le montant des exportations en 2009 par les Pays-Bas. Certes, en 2009, le commerce mondial a reculé avec la crise, mais on a moins souligné que la reprise de ce commerce mondial était exceptionnelle en 2010 : on annonce une croissance des échanges internationaux de 9,5%. C'est du même ordre que la croissance du PIB chinois ou indien, alors que les pays développés ont des croissances infiniment plus faibles que celle des échanges mondiaux. C'est donc qu'à quelques exceptions près les pays naguère riches ne savent pas s'adapter à la nouvelle donne ni profiter d'un marché international redevenu très dynamique. Ils ne peuvent s'en sortir avec des taxes aux frontières et des mesures protectionnistes. Ils n'ont d'autre choix que la compétitivité et l'adaptation de leur production à la demande mondiale.
Les pays émergents ont conquis 52% de la production industrielle
Certes les pays émergents sont encore loin d'avoir atteint le niveau de produit et de richesse des Américains, Européens ou Japonais. Les quatre pays du BRIC, avec 40% de la population mondiale, ne présentent encore que 16,04% du PIB mondial. Cela s'explique notamment parce que l'activité économique majeure, qui est celle des services (75% du produit mondial) demeure l'apanage des pays anciennement développés. Seule l'Inde fait exception. Mais, du coté de l'industrie, le basculement s'est déjà fait : l'ensemble des pays émergents représente désormais 52% de la production industrielle mondiale. A titre de comparaison, la zone euro n'en est plus qu'à 15%.
Pleurer sur la désindustrialisation et les délocalisations dans notre pays ne sert à rien. Bientôt, on pourrait voir les activités de service se délocaliser aussi. Quand le niveau d'éducation et de qualification des pays émergents se sera élevé, ils deviendront des concurrents sérieux.
Les gouvernements des pays développés entretiennent leurs peuples dans l'idée que la création artificielle de pouvoir d'achat serait de nature à stimuler l'économie. La crise a remis à la mode les politiques de la demande, et les déficits budgétaires et l'endettement ont explosé. Cet aveuglement empêche de mener la seule politique possible, qui est celle de l'offre, c'est-à-dire de la libération des entreprises, de la réussite par l'innovation et la productivité. Les hommes politiques ne cessent de dénoncer le dumping social, fiscal, environnemental, voire éthique, des pays émergents, alors que le vrai dumping tient principalement au fait que ces peuples sont animés d'un volonté de travailler, de progresser, d'apprendre et d'épargner. Cette volonté est très émoussée dans des pays comme la France où l'on pense que la solution est la distribution de prébendes et subventions par l'Etat.
Les boulets des économies européennes
C'est bien l'Etat qui plombe la plupart des économies européennes, notamment celles qui appartiennent à l'Eurolande. Comparativement, le boulet traîné par l'économie américaine semble moins lourd.
En premier lieu, on mesure l'énormité des prélèvements obligatoires, impôts et charges sociales. Les systèmes européens de protection sociale sont ruineux, ils contribuent à la mauvaise santé de nos entreprises, et donnent des prestations et des garanties de plus en plus légères face aux coûts des cotisations. L'Europe ne reviendra pas dans la course mondiale sans une remise en cause de l'Etat providence, sans la privatisation et la concurrence. De ce point de vue, en dépit de la réforme catastrophique du système de santé par Obama, les Etats-Unis bénéficient encore de charges sociales plus légères. C'est l'une des raisons pour lesquelles les Américains semblent redémarrer plus vite.
Mais il faut aussi tenir compte du fait que l'Etat Providence a sclérosé, statufié, l'économie. La croissance est le conflit du vieux et du neuf. Pour avoir une forte croissance, il faut admettre qu'il y a des produits, des entreprises, des secteurs qui sont à terme condamnés et d'autres qui apparaissent. Cela implique une mobilité des facteurs de production, à commencer par le facteur travail. C'est ici que l'Europe est le plus handicapée par des rigidités réglementaires et administratives, des avantages acquis, un refus de la concurrence, avec les professions fermées ou de services publics quasi-monopolistiques. De ce point de vue, l'Amérique est un pays plus mobile, plus flexible, plus adaptatif que l'Europe.
Si les pays de la vieille Europe veulent relever le défi de la mondialisation, ils ne peuvent se contenter de vivre sur leurs acquis. Il est aberrant de continuer à penser aux 35 heures, à la retraite à 60 ans, aux grèves et aux défilés de tracteurs. Il faut accepter et accompagner le changement, au lieu de faire un peu n'importe quoi pour renouer avec un glorieux passé. Les politiques de bric et de broc, improvisées et à la petite semaine, conduisent inéluctablement à l'échec.
Article repris depuis la Nouvelle Lettre avec l'aimable autorisation de Jacques Garello. Image : vue panoramique de Hong Kong depuis un sentier de Victoria Peak. Auteur Diliff, licence CC.