A l'occasion du reportage vers lequel je vais mettre un lien la semaine prochaine et qui traite de ce sujet, je voulais détailler quel rôle internet a joué dans mon cancer. A l'origine, la journaliste n'étais pas venue m'interviewer pour ce sujet mais sur la réappropriation de mon corps et puis elle a changé de sujet en repartant. En fait j'ai largement débordé et j'ai parlé pendant plusieurs heures de mon cancer, de moi dans cette tourmente. Je suis d'ailleurs impressionnée qu'elle ait réussi à faire un montage audio aussi réussi à partir de bandes son dépassant largement la demi-heure pour chaque interviewé, quel boulot de fourmi !
Je suis informaticienne, mon ordinateur est le prolongement naturel de mes mains, je suis un peu perdue sans lui. J'utilise internet et la messagerie électronique depuis 1996. J'ai eu un ordinateur à la maison au milieu de mes études, depuis que l'informatique me passionne, depuis 1991 et déjà je m'en servais tous les jours même s'il n'avait pas de câble réseau.
Nous avons eu dès 1996 un modem pour connecter notre pc à la toile et dès que free a lancé son offre ADSL, en 1999, nous étions parmi les premiers abonnés. Par mon travail qui consistait justement à l'époque à relier les établissements scolaires de l'académie à internet et à les passer à la messagerie électronique pour palier la suppression du courrier gratuit, j'avais internet au boulot.
Tout ça pour vous dire que j'ai eu le syndrome surfeuse très très tôt mais quel bonheur de voir arriver les blogs, les réseaux sociaux et de retrouver peu à peu un grand nombre de mes connaissances, de mes amis et de ma famille sur le net.
Quand mon père a eu son cancer du cerveau, un glioblastome, en 2000, j'avais déjà surfé partout à la recherche de statistiques. Elles n'avaient que confirmer les dires de son oncologue. A l'époque, 2 ans après le diagnostic, il n'en restait plus un seul de vivant. J'avais même échangé par mail avec son oncologue, à la fin, pour le remercier. J'avais été impressionnée par son humanité et son professionnalisme. Il savait parfaitement que son travail était inutile pour ce cancer mais pourtant il continuait à être toujours aussi déterminé en espérant avoir un jour une véritable arme thérapeutique. Il était toujours animé par la même foi de tenter de sauver des malades des griffes du cancer. Je le croise parfois au CLB, j'ai un immense respect pour lui.
Quand ce fut mon tour, en 2006, internet et mon pc ont été mes béquilles.
Tout d'abord, c'est internet qui m'a appris que j'avais un cancer. Dans la même journée, j'avais vu un radiologue et mon médecin généraliste et aucun n'avait été capable de prononcer le mot C.A.N.C.E.R.
Le radiologue m'avait fait passer une mammographie, avait demandé des clichés supplémentaires puis une échographie. A partir de là, je n'avais plus un médecin en face de moi mais un homme complètement paniqué. Il était limite incohérent et me renvoyait son angoisse. Il a commencé par me dire "vous avez des micro-calcifications", ça avait l'air très important pour lui, il insistait sur ce terme que j'entendais pour la première fois et qui n'avait aucun sens pour moi. Plus il baladait son appareil sur mon sein, plus je sentais la pression monter chez lui. Ensuite il m'a demandé mon âge et il a dit "Vous êtes si jeune, vous n'avez que 34 ans" et pour finir cet examen, il a conclu par "vous devez arrêter d'allaiter". Pour s'apitoyer sur mon âge et me demander d'arrêter d'allaiter ma petite puce de 15 mois, il savait parfaitement ce qui m'attendait mais il n'a même pas suggéré que mes cellules semblaient inquiétantes, absolument rien. Seul son comportement était inquiétant.
Il est sorti comme une furie de son bureau, a sauté sur ses 3 secrétaires, leur a demandé d'arrêter tout ce qu'elles étaient en train de faire, d'appeler ma gynéco et mon généraliste, de les prévenir et de leur faxer toute affaire cessante le compte-rendu. Je le regardais interloquée, sentant l'inquiétude m'envahir devant tant d'agitation suspecte.
Tout content, ayant eu tout ce beau monde au téléphone, il est revenu vers moi, souriant, m'annonçant tout heureux "votre médecin généraliste allait partir, il reste et vous attend dans son cabinet". Il avait refilé la bombe à retardement à son collègue. Il avait les mains libres et n'avait pas à gérer l'annonce d'un cancer ou même une simple supposition de mauvaise nouvelle à une jeune mère de 34 ans.
Je suis ressortie de là avec mon compte-rendu et les clichés, j'ai pris la direction du cabinet de mon médecin. J'ai dû patienter quelques minutes dans la salle d'attente. J'en ai profité pour sortir ce fameux compte-rendu, histoire de comprendre un peu ce qui m'arrivait. J'ai lu ACR5. C'était la première fois de ma vie que je voyais ce classement, je n'avais pas la moindre idée de ce que ça signifiait.
Mon médecin m'a fait entrer, il n'avait pas l'air rassuré du tout, il ne me regardait pas franchement dans les yeux, regard fuyant annonciateur de mauvaises nouvelles et venant d'un médecin signe que quelque chose ne va pas et que ce n'est pas bon du tout.
Il ne dégageait pas de panique, il était plus calme mais il n'avait pas l'air à son aise. Il n'a pas été capable non plus de m'annoncer que ça pouvait être synonyme de cancer ou même de cellules suspectes, rien de cela. Il a fait comme son collègue précédent, il m'a dit que j'étais jeune et que j'allais devoir arrêter d'allaiter.
Vous croyez que c'est le plus important lorsqu'on vient de vous classifier vos cellules du sein ACR5 de vous avertir qu'il faut arrêter d'allaiter et de vous dire qu'à 34 ans, vous êtes bien jeune ? Ça n'aurait pas été mieux de me dire qu'il existe une échelle de classification des cellules du sein allant de 0 à 5. 0 pour parfaitement saines et 5 pour cancéreuses à 99,99% et que les miennes venaient d'avoir la note maxi et que ça s'annonçait très mal pour moi, qu'il allait me falloir du courage.... et que la fin de leur phrase "vous êtes bien jeune POUR AVOIR UN CANCER DU SEIN" était certainement la partie la plus importante et non pas le début qui était le seul morceau qu'ils osaient prononcer et qui ne m'apportait rien.
Il m'a dit que la seule chose à faire était une biopsie et que c'était à ma gynéco de m'orienter pour ce prélèvement. Lui aussi avait laissé un message sur son répondeur et je devais le lendemain matin, à la première heure, prendre contact avec elle.
Je suis rentrée chez moi, abasourdie. Je pressentais que c'était mauvais et qu'on ne m'avait pas tout dit. J'ai foncé sur mon ordinateur, sur google et j'ai tapé ACR5. J'ai vu toutes les pages ramenant CANCER DU SEIN. Je me suis mise à pleurer, je venais d'apprendre ce que j'avais. Internet m'a annoncé ma maladie mais sans mots de réconfort, sans panique, version brute, rentre dedans. Je suis allée sur plusieurs pages pour essayer d'en trouver une annonciatrice de meilleures nouvelles, ne répétant pas la même chose que toutes les autres ramenées par ma recherche et rien à faire, aucune page ne me laissait d'espoir.
Si je n'avais pas eu internet, j'aurais dû attendre le lendemain pour connaître la signification d'ACR5. J'ai enfin eu affaire à une cancérologue digne de ce nom, m'annonçant que j'avais très certainement un cancer et surtout proposant aussitôt des traitements pour me tirer d'affaire pour me permettre de continuer de croire en la vie.
Encore aujourd'hui, les malades atteints de cancer déplorent l'annonce de leur cancer. La plupart du temps, elle a été très mal gérée. Je pense que ce n'est pas parce que ça va forcément provoquer un électrochoc au malade qu'on doit l'éviter, c'est son avenir. Il faut juste le faire sereinement en proposant des solutions, du positif. Si un médecin s'agite trop, panique, il ne transmettra que du négatif avec le verdict. Il suffit juste que lui aussi arrive à dissocier cancer de mort et qu'il soit capable de transmettre de l'espoir avec l'annonce du cancer, du positif. Hélas, tous les médecins n'ont pas réfléchi à cette approche avant et ce sont les malades comme moi qui en font les frais. Nous ne sommes pas des condamnés à mort, pas plus que les autres êtres humains habitant sur cette planète. Nous avons une maladie très grave mais nous avons la chance de vivre en France, un pays très à la pointe en matière de traitements du cancer et nous pouvons bénéficier de l'expertise de nos cancérologues, nous pouvons encore faire des projets, ça serait bien que personne ne l'oublie.
Je vous mets un lien vers un article traitant de l'annonce du cancer "Mieux annoncer le cancer", si tout le personnel médical pouvait se comporter comme eux...
http://www.la-croix.com/article/index.jsp?docId=2285755&rubId=5547
Vous pouvez lire ici la suite :
la seconde partie : l'encyclopédie médicale
la troisième partie, l'espoir.
la quatrième partie, le collaborateur