Mardi 4 mai, Nicolas Sarkozy est allé parader devant un gros navire tout neuf de la Marine nationale. Une frégate dénommée l'Aquitaine, devant laquelle il a rappelé la « vocation industrielle de la France ». Sarkozy se chiraquise à une vitesse grand V.
Peur de Karachi
Le Karachigate fait peur à Sarkozy. Philippe Broussard résumait dans l’Express le propos d'un récent ouvrage, « Le Contrat », écrit par Fabrice Lhomme et Fabrice Arfi, deux journalistes de Mediapart. Il rappelle le fameux contrat AGOSTA, la vente pour 829 millions d’euros de 3 sous-marins français au Pakistan, conclu à l’automne 1994. Le journaliste précise : « Pour en mesurer les enjeux, il suffit d'ouvrir ce livre. Les auteurs y détaillent la mise en place, en marge d'Agosta, d'un système de "rétrocommissions" visant à financer la campagne présidentielle d'Edouard Balladur en 1995. Des "intermédiaires", rémunérés en toute légalité pour faciliter l'obtention du marché, rétrocédaient - en toute illégalité, cette fois - une partie de ces sommes à des "politiques" français. » Les deux enquêteurs rappellent balancent effectivement beaucoup sur le financement du camp Balladur en 1995, rappelant notamment qu'Edouard Balladur aurait imposé deux intermédiaires à la DCN en toute fin d'opération.
A la même époque, Nicolas Sarkozy, alors ministre du budget, a validé la création d’une société off-shore dénommée HEINE, dont le but était de « faciliter les paiements d'intermédiaires liés au contrat Agosta. » Plus tard, cette société entra en conflit avec l’Etat français. Une transaction fut trouvée, « en toute discrétion, avec l'aval de Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'Intérieur, comme le laisse soupçonner un document signé "NS". C'était le 20 novembre 2006, quelques mois avant l'élection présidentielle de 2007. »
Chez Mediapart, les deux journalistes rapportent aussi avoir rencontré l'un des deux intermédiaires imposés par le camp Balladur en janvier 1995 bénéficiant de commissions sur cette vente. Ziad Takieddine nie toute implication, mais reconnaît sa proximité avec Nicolas Sarkozy. Autre révélation, M. Takieddine «révèle également avoir été l'intermédiaire de la France dans l'affaire de la libération des infirmières bulgares, événement majeur du début de la présidence Sarkozy, au mois d'août 2007»
L'affaire des rétro-commissions politiques ne fait que commencer.
On comprend que le Monarque s’inquiète.
Peur du Grenelle
A peine arrivé à l’Assemblée Nationale, le « monument législatif » comme aime à le répéter Jean-Louis Borloo, qu’est la loi « Grenelle 2 » est critiquée pour ses insuffisances. Nous avons déjà relevé la principale lacune de ce texte pourtant volumineux : il ne contraint à pas grand-chose. Mais on pouvait aussi rappeler les autres reculs sarkozyens: la taxe carbone est repoussée aux calendes européennes. L’installation d’éoliennes était freinée par la loi Grenelle 2 (dès mardi, l’UMP a annoncé qu’elle reculait sur le sujet); l'étiquetage vert des produits de consommation (ie leur impact carbone) ne sera plus obligatoire (la loi ne prévoit qu'une expérimentation à compter du premier juillet 2011); le retrait d'un pesticide du marché devra attendre l'examen de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments; la taxe poids-lourds a été reportée à 2012; et nombre de projets très peu ecolo-compatibles ont été validés par l'Etat (terminal charbonnier à Cherbourg, autoroute de contournement de Strasbourg, autorisation des camions 44 tonnes pour l'agriculture, etc)... Qui dit mieux ?
Peur des retraites
Est-ce l’Elysée qui a fait opportunément fuiter, dans les colonnes du Monde, les pistes de réformes des retraite élaborées par Sarkozy ? Nul ne sait. Sans doute un conseiller trop bavard, comme à l’accoutumée. Il a dû se faire tirer les bretelles. A moins qu’il ne s’agisse de Raymond Soubie, qui agit sur ordre sur tout ce qui touche au social. Eric Woerth n’a semble-t-il pas apprécié qu’on lui savonne la planche. Pourtant, la nouvelle n’est pas franchement neuve : Sarkozy pencherait pour un allongement de l’âge minimal légal de départ à la retraite. Depuis des mois, voire des années, cette mesure est visée et défendue par l’UMP. Dimanche dernier sur CANAL+, le ministre du Travail répétait encore qu’on ne pourrait pas y couper puisqu’il s’agit de « sauver le système par répartition ».
Le Monde, donc, ne faisait que confirmer un secret de Polichinelle : « Sans changer la réforme Fillon, qui prévoit d'allonger la durée de cotisation-retraites d'un trimestre par an, il faut reporter l'âge légal de la retraite à 61 ans en 2015, 62 ans en 2020 et 63 ans en 2030. Une telle réforme permettrait d'équilibrer le régime des retraites et c'est, selon des sources concordantes, l'hypothèse de base sur laquelle travaille M. Sarkozy. » Dans cette révélation, la vraie information est ailleurs : pour l’Elysée, ce simple recul sera la panacée, et permettrait d’équilibrer nos régimes de retraites dont le Conseil d’Orientation des Retraites, le 14 avril dernier, prédisait un déficit de plus de 70 milliards d’euros en 2050 (dans l’hypothèse la plus favorable !). Or, dans ce cas de figure, qui supporterait l’essentiel de ce rééquilibrage ? Celles et ceux qui pourraient prétendre à une retraite pleine dès 60 ans. C’est-à-dire celles et ceux qui ont démarré leur carrière professionnelle très tôt. En bref, parmi les plus modestes. Comme le rappelait Le Monde, « L'âge moyen de liquidation des droits à la retraite est aujourd'hui de 61,5 ans ». Et le COR avançait déjà qu’il faudrait aussi une hausse de 6 points des cotisations ou une baisse de 13 points du ratio pension moyenne salaire moyen. Autre piste fumeuse de l’Elysée, « l'idée serait de vider la barrière des 60 ans de sa substance ». Merci qui ?
Peur de son bilan
L’Elysée a publié un court document pour « défendre » le bilan du Monarque, 3 ans après son élection. Le livret est destiné aux «relais d'opinion» et aux élus. A lire ces nouveaux éléments de langage, on est frappé par une chose : Sarkozy a la trouille. Il cherche l'excuse. Le caïd élyséen tente d'excuser ses échecs, voltes-faces et reniements : c'est la faute à la crise mondiale ! Le Monarque se justifie: «au second semestre 2008, face à la récession la plus grave que le monde et la France aient connue, l'ordre des priorités à dû être modifié». Sarkozy ne parle qu'à son coeur de cible. Les Français, surtout modestes, doivent être contents qu'il ait renoncé à supprimer la dispense de recherche d'emploi pour les seniors de 58 ans au chômage, que le dispositif d'offre raisonnable d'emploi ait été mis en sommeil, ou que le gouvernement ait été contraint à réintroduire un certain traitement social du chômage pour cause de crise. Sarkozy proclame tout de même que «l'heure n'est pas au bilan. Face à la crise, dont les effets perdurent, le temps demeure résolument à l'action». Bien sûr. Il est aussi tout aussi hypocrite en expliquant qu'il réduira les déficits publics en ramenant en 2012 le nombre de fonctionnaires de l'Etat à ce qu'il était au début des années 1990. Le non-remplacement d'un fonctionnaire partant la retraite sur deux génère 500 millions d'euros d'économies annuelles. C'est moins que le coût du bouclier fiscal. Et le déficit budgétaire frôle les 140 milliards d'euros.
Il ment, mais cela ne compte pas en Sarkofrance.
Peur de la Grèce.
Dans l’affaire grecque, on n’a trop insisté sur une erreur magistrale des institutions et gouvernements européens : tous savaient depuis des lustres que la situation grecque était bien pire que les statistiques officielles mais erronées du pays ne le laissaient entendre. Tous savaient, depuis 2004 au moins, que les statistiques grecques étaient fausses. Un rapport d'Ecofin de janvier dernier («Rapport sur les statistiques du déficit et de la dette publique de la Grèce») faisait référence à de précédents rapports en 2004 sur la mauvaise fiabilité des statistiques grecques... déjà à l'époque: «la révision des données notifiées pour l'année 2003 intervenue entre les notifications de mars 2004 et de septembre 2004 était de près de trois points de pourcentage du PIB en ce qui concerne le déficit et de plus de sept points de pourcentage du PIB en ce qui concerne la dette.» (cf. chapitre 3.1.1 Révisions exceptionnelles des notifications PDE de septembre 2004, page 12 du rapport). Le 22 novembre 2004, Eurostat a publié un nouveau rapport complet sur la révision des chiffres du déficit et de la dette publics de la Grèce: «Il ressort dudit rapport que, durant les années qui ont précédé 2004, les autorités grecques ont commis des erreurs en notifiant les chiffres du déficit à la Commission sans se conformer aux règles du SEC 95. Pas moins de onze problèmes différents d’erreurs dans les données communiquées ont été relevés.»
En d'autres termes, les gouvernements européens savaient parfaitement que la Grèce manipulait ses statistiques. Pour l'opinion publique française, le gouvernement Sarkozy a servi une autre histoire, celle où tout le monde découvrait l'ampleur des déficits. Rappelez-vous les déclarations de Christine Lagarde en février dernier. Elle s'interrogeait sur le rôle de la banque Goldman Sachs dans la falsification des comptes publics grecs en 2009: «il faut savoir si cela a été du maquillage de comptes et si cela a été légal ou pas à l'époque où cela a été fait, et si c'était légal il faut s'interroger pour savoir si c'était propice pour la stabilité - probablement non - et dans ce cas là comment on peut éviter que ça se reproduise.» Le problème date de bien longtemps.
A l'automne 2004, Nicolas Sarkozy était ministre des finances...
Crédit illustration FlickR CC Jbeuh 2007