Posté par Rémi Begouen le 5 mai 2010
La salle était pleine, j’ai même eu l’heureuse surprise de voir arriver quelques jeunes maghrébins – genre vendeurs de H – qui ont essayé d’écouter la conférencière. Puis l’un d’eux a fini par pianoter sur son portable, et j’ai compris. La madame de l’estrade se croyait en cours scolaire. Ton monocorde, texte lu, a + b + c… Et elle est où la Palestine en vie ? Soit, il y avait là exposé de considérations politiques très justes et très défavorables à Israël. Mais nulle chaleur humaine envers le peuple palestinien, l’oublié de l’histoire, de l’Histoire. Je me suis éclipsé. J’ai prétexté être malade, auprès de mon ami responsable du ‘Comité Solidarité Palestine’ invitant (comité que j’ai contribué à fonder il y a une dizaine d’années avant d’en être viré, c’est une autre histoire… comme il y a d’autres histoires dans l’Histoire du peuple palestinien…). Et si j’étais malade, oui, c’était du ‘politiquement correct’ de la professeure (il paraît qu’elle est journaliste de l’Humanité, ah bon ? : elle est où la verve de Jean Jaurès ?)
Je connais physiquement la Palestine depuis 64 ans (j’avais 8 ans lorsqu’en 1945-46 j’y suis venu d’Egypte pour cure de santé, réussie !) et, si je n’y pas retourné depuis, c’est parce que je ne veux pas aller en Israël, mais en Palestine… odieusement spoliée, occupée, niée par le conquérant sioniste. Je crois connaître l’énorme dossier (quel mot !) palestinien bien mieux que ‘la dame’ tant je l’ai étudié depuis 50 ans. Mais j’ai surtout ce qui lui manque : une familiarité avec les gens. Par de multiples contacts avec des Palestiniens et des visiteurs de la Palestine. Par exemple, j’ai eu confidence récente d’une amie française à son retour d’un séjour à Naplouse. Après m’avoir racontée l’accueil chaleureux qu’on lui fait dans la ‘bonne société palestinienne’ locale, il lui prend l’idée d’aller se perdre dans la ‘zone’, immense, de la ville harcelée par l’armée israélienne. Elle en revient indemne, bouleversée. Mais ses hôtes bourgeois lui avouent qu’ils ne connaissent pas ‘ces gens’… qui, sont 80 ou 90% de la population locale !! : Si les Israéliens ne connaissent pas les Palestiniens (sauf dans l’armée…), les notables palestiniens ne connaissent pas non plus le peuple miséreux (sauf révoltes sporadiques). Où est donc la Palestine ?
Elle est, à cause de toutes ces errances politiciennes et ces terrorismes dissymétriques (l’énorme terrorisme de l’Etat d’Israël et les actes terroristes hasardés de patriotes palestiniens), éclatée : Il n’y a pas, il n’y a n’y a plus UNE Palestine, mais des Palestines. Le très talentueux Elias Sanbar (il y a beaucoup de Palestiniens talentueux) dit : ‘Si les israéliens occupent les terres des palestiniens, les palestiniens occupent, eux, les têtes des israéliens’ : oui, La Palestine est un casse-tête pour Israël ! L’attitude classique du colonisateur est ‘d’ignorer’ l’autre, le colonisé. Dans la bonne société de Tel-Aviv, on a toujours essayé de ‘rester entre nous, occidentaux’. Tout juste doit-on faire un long service militaire, pour réprimer les palestiniens, les faire taire… afin de revenir ‘ronronner entre nous’. Mais ‘Les Palestines’ brisent l’égoïsme du fort :
- La Palestine de la Diaspora (énorme et généreuse comme celle d’Haïti).
– La Palestine des camps de l’intérieur et des pays voisins (4 générations)
– La Palestine ‘maintenue’ sur place, avec ses classes sociales ancestrales
– La Palestine dans Israël, potentiel danger démographique et politique… Qu’ils soient exilés, réfugiés, maintenus dans les villes et les champs des ‘bantoustans’ de Cisjordanie ou de ‘la plus grande prison du monde’ de Gaza, ou bien encore devenus ‘citoyens israéliens’ (de seconde zone), tous les palestiniens font un fier peuple arabe, le plus actif des peuples arabes. Si toutes les opinions publiques arabes sont avec eux, tous les régimes politiques arabes manoeuvrent entre cette évidente solidarité populaire (à afficher) et leur ‘lâchage’ (secret mais de fait) de la cause palestinienne : du fait des intérêts de ‘la mondialisation’, tarte à la crème, dictatoriale et antisociale, comme partout … Depuis 70 ans, le sionisme a évolué, passant du stade primitif de ‘l’idéal du pionnier progressiste’ (kibboutz, démocratie…) à celui d’étiquette d’une guerre sans fin pour établir la colonisation, la conquête. Rien n’y fait. Martyrisées, apeurées, secrètes, entreprenantes, révoltées, ‘Les Palestines’ vivent, se rêvant Palestine. Toutes les variantes y sont passés : résistances passives et actives, contre-violence et non-violence, ‘terrorisme international’ et ‘pourparlers de paix’, collaborations même… et retours aux fondamentaux : la jeunesse du peuple, son ardeur, sa fidélité au symbole de ‘la clef’ (celle de la maison perdue par l’aïeul).
Arafat s’intéressait beaucoup aux héroïques luttes des ‘Indiens d’Amérique’ d’autrefois, massacrés par les Yankees. Il savait que les sionistes rêvent de refaire sur le ‘Grand Israël’ le même ‘exploit’. Mais voilà : le peuple palestinien est beaucoup plus puissant que les tribus ‘indiennes’ et les temps ne sont plus les mêmes. Ils sont à la fois meilleurs et pires : les moyens techniques et intellectuels de la Résistance sont très puissants, les combines politicardes aussi… Les trahisons des Etats Arabes voisins, apeurés de la popularité de ‘la cause palestinienne sacrée’ sont nombreuses et ont entraînés de graves dérives dans la classe dirigeante palestinienne. Graves corruptions – comme partout !- mais aussi ‘fuites en avant’ dans l’aventurisme : après les influences nationalistes puis marxistes, voici celle de l’Islam politique. Le Hamas est très certainement la principale composante, désormais, de la Résistance Palestinienne. Comme toujours, le meilleur de cette force (‘la flamme’, l’audace) l’emportera sur le pire (la régression des moeurs dû au ‘rigorisme’ mental) : Comme toujours en Palestine, car d’aventure en aventure (et il y en eut tant !), le peuple palestinien a su ‘corriger le tir’, d’une génération à l’autre : il n’y a probablement pas au monde de peuple aussi ‘trempé’, intelligent, capable de réinventer son avenir concret. Et c’est celui de La Palestine à partir ‘des Palestines’ actuelles. Par exemple, l’une d’entre elles est engagée dans l’aventure du ‘plan néolibéral’ du Premier ministre palestinien, Salam Fayyad… qui frise l’intégration économique au fait colonial israélien (voir le dossier de Politis n°1099 de fin avril). Cela est un danger mortel pour l’avenir de la Palestine, opposé au danger mortel d’un Hamas devenant délirant. Mais en fait, il n’y aura pas de délires, ni de ce plan néolibéral ‘technocratique’ ni de l’extrémisme islamique : nous ne sommes pas entre le dictateur capitaliste Shah d’Iran et le dictateur chiite Khomeiny. Nous sommes en future Palestine, pour le moment en Palestines. Et Israël n’a pas fini d’en voir avec la jeunesse palestinienne à venir… qui ‘occupe la tête’ de ses dirigeants !
Je suis trop optimiste ? Il se peut : Je n’ignore pas que l’extrème-droite est arrivée au pouvoir d’Israël, avec ses chimères de terrorisme d’Etat, comme contre Gaza l’an dernier. Et, contrepartie à ces folies meurtrières, il y a désormais un puissant courant de sympathie mondial envers La Palestine : Même les Etats-Unis –malgré l’importance des lobbies américains pro-sionistes- infléchit sa ‘protection inconditionnelle’ d’Israël, qui se trouve très isolé, mondialement. Bien sûr, l’Europe, la Russie et la Ligue Arabe devraient aussi se montrer plus radicales, courageuses : cela fait partie de notre action de ‘citoyen du monde’. Au fait, je ne vous l’ai pas encore dit : Il s’agit en Palestine d’une Révolution, et pas la moindre, commencée en 1936 au moins. Dont le ferment a agi, agit et agira sur tous les citoyens, arabes et du monde. Une Révolution des mentalités… rien que cela. Et c’est pourquoi je suis résolument optimiste. Georges Habache disait : ‘Les révolutionnaires ne meurent jamais' - Si vous deviez vous contenter d’une seule lecture sur le sujet, je vous conseille vivement le petit livre richement illustré d’Elias Sanbar : ‘Les Palestiniens dans le siècle’, paru en 2007 dans la collection ‘découvertes’ de Gallimard.