Gaspar Noé s'adresse à vous !
Toutlecinema : Votre projet est né dans votre esprit il y a longtemps. Pourquoi a-t-il fallu autant de temps pour le mettre en place ?
Gaspar Noé : Le film est entré en production au bon moment parce que quelques années avant, je n’aurais pas été prêt techniquement. Les progrès réalisés en matière de trucages ont permis aujourd’hui à "Enter the void" de claquer sur l’écran. Cinq ans plus tôt, mon film aurait été beaucoup plus bancal avec une 3D approximative. D’autre part, après avoir mis en scène "Irréversible", j’étais plus crédible commercialement donc j’avais plus de liberté d’action. Tout s’est fait au bon moment, avec les bonnes personnes. Parfois, attendre paye. C’est bien pour cette raison que je n’ai fait aucun film après "Irréversible", pour me concentrer entièrement sur ce projet cinématographique.
A-t-il subi beaucoup de modifications depuis sa présentation à Cannes ?
Il est un petit peu plus court, oui. Au festival, les effets visuels n’étaient pas finalisés. Il y avait plusieurs plans rendus sombres en attendant les effets 3D. Les traitements d’images, les effets de stroboscopie, n’étaient pas au point, l’étalonnage absolument pas fait. Nous avons bricolé une bande son en quatrième vitesse pour montrer quelque chose de présentable. Ceux qui ont découvert le film à Cannes faisaient face à un travail inachevé.
Pourquoi le sexe et la mort sont si présents dans vos œuvres ? Pensez-vous qu’ils soient intrinsèquement liés ?
Je ne suis pas très porté sur cette théorie selon laquelle la mort et le sexe sont entrelacés. Mais en période de guerre par exemple, les gens ont tendance à donner la vie. La mort dramatise la vie et pousse parfois les humains à essayer de faire des enfants ou à simuler des actes sexuels qui semblent semi-procréatifs.
C’est dur de filmer le sexe au Japon ?
Il y a quelque chose de totalement ridicule là-bas. Les sex-shops sont nombreux et le pays "sursexuel". Les gens entretiennent quelque chose de ludique dans une sexualité sans tabou et pourtant, on ne peut toujours pas y filmer un pénis, même au repos. Pourquoi l’état désire-t-il montrer qu’il peut châtrer, ici ou ailleurs ? Plus généralement, je ne comprends pas pourquoi toute civilisation a besoin de contrôler la représentation de l’acte sexuel.
Le film est-il sorti au Japon ?
Pas encore... Des coupures vont être opérées. Je n’ai pas vu la version japonaise. Du coup, je ne sais pas ce que ça va donner.
"Enter the void" aurait-il été envisageable ailleurs qu’au Japon ?
Oui. D’ailleurs, la première version du scénario ne s’y passait pas. C’était une volonté cinématographique de transposer cette histoire au Japon. Mon envie d’y travailler était forte. J’adore ce pays et son cinéma. J’ai rarement eu un tel coup de cœur pour un pays.
Avez-vous lu Le livre des morts tibétain ? Si oui, jugez-vous que votre approche cinématographique est une adaptation de cet ouvrage ?
C’est une inspiration, j’en ai un peu récupéré la structure. A partir du moment où le protagoniste est en train de mourir et de faire un trip ultime, ce livre qu’il a lu devient une mise en pratique de l’enseignement qui y est prodigué. Personnellement, je ne crois ni à la réincarnation ni à la vie après la mort. En revanche, je crois aux hallucinations et aux rêves super lucides.
Comment les acteurs locaux ont-ils vécu les scènes de sexe ?
La plupart des personnes qui ont travaillé sur ce film était non professionnelle. Il y avait en tant qu’acteurs des assistants de production, des directeurs de production, des journalistes... D’ailleurs, celui qui joue le rôle de Mario n’est autre que l’ancien assistant réalisateur de Takeshi Miike. Les séquences de sexe avec les personnages principaux sont simulées tandis que les parties plus explicites ont nécessité la présence d’acteurs porno. J’ajoute un petit détail relatif aux drogues. Toutes celles utilisées pour le film sont fausses. Personne dans l’équipe ne s’est défoncé. Cela figurait dans notre contrat moral dès le début de l’aventure. On voulait que tout soit clean. Ceux qui ont réalisé les effets visuels du film chez BUF n’ont jamais touché à la drogue, ce qui rend leur travail d’autant plus hallucinant.
Côté casting : pourquoi avoir évité les têtes d’affiche ?
C’était un choix de ma part. Il fallait toutefois que les producteurs l’acceptent, essentiellement Wild Bunch et Fidélité. J’ai été soulagé puisqu’ils m’ont signalé qu’"Enter the Void" allait surtout se vendre sur le sujet et non sur les têtes d’affiche. Cela m’a fait plaisir quelque part.
Un frère et une sœur... Quels sont les avantages en termes de narration d’un tel duo par rapport à un couple classique ?
Pour un couple normal, il aurait été difficile de trouver un acte traumatique pour les souder. Ici, l’histoire de ces deux enfants ayant perdu leurs parents dans un accident de voiture et unis par un pacte de sang, de survie, rend le film plus sentimental et touchant. C’est un ressort mélodramatique qui se rapproche par exemple de "Bambi". Avec un couple classique, les enjeux seraient plus artificiels et moins viscéraux.
Comment expliquez-vous leur relation quasi incestueuse ? Est-ce un dommage collatéral lié au traumatisme de leur accident ?
Non, je crois simplement qu’elle est très jolie. Ils sont un peu inconséquents, célibataires et veulent d’une certaine façon reproduire le cadre familial. Peut-être se projettent-ils en tant que père et mère de leurs propres enfants. Il n’y a pas de passage à l’acte mais il réside entre eux quelque chose de fusionnel. Au-delà du film, je pense que dans de nombreuses familles demeurent des latences incestueuses sans passage à l’acte. Par exemple, qui n’a pas eu des pensées particulières pour une belle cousine ?
Parlons maintenant forme... Le générique est génial. J’ai l’impression que vous les travaillez beaucoup et qu’ils sont importants pour vous... Je me trompe ?
C’est arrivé à la fin. Je n’avais aucune idée pour le générique. Nous avions tellement d’autres problèmes à résoudre pour achever le film que c’était la dernière de nos priorités. J’ai trouvé cette musique in extremis qui donne une aura particulière à ce générique. J’en suis très content. Quand j’étais à l’école Louis Lumière, un de mes profs de mise en scène m’a parlé de la loi des trois plans. En résumé, elle stipule qu’au bout de trois plans il est possible de savoir si un film sera bon ou mauvais. Le mien commence par un long plan séquence de sept minutes et il me fallait donc trouver quelque chose qui claque. D’où le générique !
Comment vous y êtes-vous pris pour filmer Tokyo de cette manière ?
Les intérieurs d’appartement sont filmés en studio avec des grues. Certains plans larges ont nécessité des prises de vue à l’aide d’un hélicoptère. On les a retravaillés de façon à ce qu’ils ressemblent à une maquette ou une image mentale. Bien sûr, les coupes ne sont pas visibles car tout a été méticuleusement reficelé. Quand on passe d’un endroit à l’autre, les effets sont basés sur des images de synthèse basées elles-mêmes sur des photos réelles. Les petites voitures et certains piétons ont été ajoutés en 3D.
Pensez-vous que vos films nécessitent une longue phase de digestion avant d’être jugé ? Je pense notamment à un film comme "Fight Club" qui avait été massacré par plusieurs critiques à sa sortie avant de devenir, deux ans plus tard, un chef-d’œuvre...
Quand des films sont surchargés visuellement, notamment certains Fellini comme "Satyricon", il y a un moment où l’atmosphère devient si pesante que l’on éprouve le besoin d’en sortir. On n’a pas envie que le monde soit comme il y est peint. Ils sont nombreux à m’avoir dit, qu’au bout de 2H30, on ressort lessivé de mon film, avec en prime un rejet physiologique de cet univers psychédélique. Les gens prennent parfois une demi-heure avant de me faire le moindre commentaire, histoire de digérer.
Est-ce pénible d’être constamment écartelé entre ceux qui vous adulent et ceux qui au contraire, vous vilipendent ?
Je ne crois ni les une ni les autres. Je suis mon chemin.