Enfonceur de portes ouvertes à Amou, impossible ! Enfonceur de portes fermées, idem : mission impossible, certaines font un quart de mètre d'épaisseur. Portes cirées, portes cintrées, portes vitrées, portes fleuries, portes baptisées d'un joli prénom, portes vernies, portes cloutées, portes délavées, si délavées que les nuages s'y reflètent presque dessus...
Pas que des vieux et des chats derrière les portes, ainsi que je l'écrivais l'autre jour. Des ados, des enfants, des bébés et leurs poussettes aussi, tous, en attente, derrrière les portes de mon village. Amou vit de ses fleurs et de ses portes. La population entière est derrière ses portes, à la queue leu leu. Mille cinq cents habitants et un peu plus, presque autant de chats et de portes. Porte, porte, porte que me portes-tu ? Je t'apporte ma vie, mon passé, mon présent, mon demain, mon espoir, mon souci de me voir debout, mon bonheur de voir une main amie, une main connue, venir huiler mes gonds. Je t'apporte ma peau d'éléphant, ma patine, ma pâleur, ma froideur, ma couleur, mon odeur, c'est à dire ma trace connue par celui, celle, qui me reconnaît, je t'apporte ma main de cuivre, mon clou forgé de main de maître par un artisan mort il y a cent et cent et cent et parfois encore cent ans.
Porte ouverte et chevillette cherra quand la main du retournant prendra sa clé dans une poche profonde, retour du vendredi soir ou celui des vacances prochaines quand on revient au pays. Portes ouvertes en permanence : "C'est ouvert, crie une voix de l'intérieur, tu peux entrer, pose le paquet sur la table, je suis encore dans ma chambre..." Portes auréolées de lierre, de feuilles de chêne glorieuses, porte natale du Colonel Dubicq, héros de la Résistance, celle de Bertrand Ducournau, secrétaire particulier de Monsieur Vincent, notre Saint landais, Paul Henri Paillou écrivain, universitaire. Portes de cent métiers, de cent commerces disparus : sellier, chapelier, plombier, boulanger, bourrelier, biscuitier, sabotier, tonnelier, glacier, boucher, menuisier, bistrotier, charron, maréchal-ferrant, figaro, marchand de journaux, marchand de graines, marchand de tissu, marchand des quatre fois quatre saisons, marchand à trois ou quatre sous et tourne, tourne, tourne le manège de la vie de mon village jusqu'à la fin des temps...