Je souhaitais vous livrer la décision du Conseil d'État motivant la suspension du retrait du marché selon la procédure d'urgence par l'Afssaps du Ketum ®. Prescrire m'a quelque peu aider!
La voici dans son intégralité, et je compte sur l'intelligence de tout à chacun pour se forger une opinion sur les motivations de la suspension:
Vu la requête, enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat le 29 décembre 2009, présentée pour la société anonyme MENARINI FRANCE, dont le siège est situé, 1-7 rue du Jura à Wissous (91320), représentée par son directeur général délégué ; la société demande au juge des référés du Conseil d’Etat :
1°) d’ordonner, sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l’exécution de la décision du 17 décembre 2009 par laquelle le directeur général de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) a suspendu l’autorisation de mise sur le marché de la spécialité pharmaceutique Ketum 2,5 pour cent, gel, avec effet au 12 janvier 2010 ;
2°) d’enjoindre à l’AFSSAPS de retirer, s’il y a lieu, le lendemain de la décision à intervenir, toute mention de la décision de suspension attaquée sur son site internet et ses publications, et d’insérer en première page de ce site, dans les deux jours à compter de la notification de l’ordonnance à intervenir, un encart faisant état de la suspension de l’exécution de la décision attaquée par le Conseil d’Etat, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat le versement de 6 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
elle soutient que l’urgence est caractérisée, dès lors que la date d’effet de la décision contestée est le 12 janvier 2010 et que son exécution entraînerait une préjudice économique, financier et d’image ; qu’elle risque d’occasionner notamment une perte considérable d’activité, dans la mesure où le Ketum représente le deuxième chiffre d’affaires de la société et où l’arrêt de sa commercialisation compromet la possibilité de retrouver un résultat positif ; qu’en outre, plusieurs moyens sont susceptibles de créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée ; qu’en effet, l’AFSSAPS a manqué aux obligations de publicité et de communication qui lui incombaient ; que la procédure de consultation de la commission d’autorisation de mise sur le marché était irrégulière ; que la commission nationale de pharmacovigilance n’a pas été consultée ; que le fabricant du médicament n’a pas été auditionné, alors même qu’il s’agit d’une société distincte ; que la procédure contradictoire n’a pas été respectée ; que la décision contestée est insuffisamment motivée ; que l’agence ne pouvait se fonder sur l’urgence, au regard de la procédure d’arbitrage communautaire, pour suspendre l’autorisation de mise sur le marché, alors que les conditions n’en étaient pas réunies ; que la décision contestée est entachée d’une erreur manifeste d’appréciation, en ce qu’elle se fonde sur un rapport bénéfice/risque défavorable pour suspendre l’autorisation de mise sur le marché ; qu’elle méconnaît les stipulations de l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, garantissant le droit au respect des biens ; qu’enfin la décision contestée est entachée d’un détournement de pouvoir ;
Vu la décision dont la suspension est demandée ;
Vu la copie de la requête en annulation présentée pour la société anonyme MENARINI FRANCE ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 15 janvier 2010, présenté par l’AFSSAPS, qui conclut au rejet de la requête ; elle soutient que la condition d’urgence n’est pas remplie, en ce que la requérante n’apporte pas la preuve que la décision contestée menacerait sa survie ; que la décision de suspension de l’autorisation de mise sur le marché répond à un impératif de santé publique ; qu’il n’existe pas de moyen susceptible de créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée ; qu’en effet, la validité de la décision contestée n’implique pas nécessairement les modalités de publicité sollicitées par la requérante ; que l’obligation de communication a été respectée ; que la procédure de consultation de la commission d’autorisation de mise sur le marché était régulière ; que la commission nationale de pharmacovigilance a été régulièrement associée à la procédure, alors même que sa consultation n’est pas obligatoire ; que, dans le cadre d’une procédure visant à la suspension d’une autorisation de mise sur le marché d’un médicament, le fabricant n’a pas à être entendu ; que la procédure contradictoire a été respectée ; que la décision est suffisamment motivée ; que le principe de précaution impose de suspendre l’autorisation de mise sur le marché, dès lors que les éléments nouveaux révèlent une appréciation du rapport bénéfice/risque défavorable ; qu’ainsi il n’y a pas d’erreur manifeste d’appréciation ; que la décision de suspension est proportionnée en ce qu’aucune autre mesure, moins attentatoire aux intérêts de la société requérante, n’aurait revêtu la même efficacité ; que, par suite, la décision ne méconnaît pas les stipulations de l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; qu’enfin, la décision définitive ne relevant pas de l’agence, aucun détournement de pouvoir ne saurait lui être imputé ;
Vu le mémoire en réplique, enregistré le 21 janvier 2010, présenté pour la société anonyme MENARINI FRANCE, qui reprend les conclusions et les moyens de son précédent mémoire et produit de nouvelles pièces ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 novembre 2001 ;
Vu le code de santé publique ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d’une part la société anonyme MENARINI FRANCE et, d’autre part, l’AFSSAPS ;
Vu le procès-verbal de l’audience du 22 janvier 2010 à 11 heures au cours de laquelle ont été entendus :
- Me Lyon-Caen, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, avocat de la société anonyme MENARINI FRANCE ;
- les représentants de la société anonyme MENARINI FRANCE ;
- les représentants de l’AFSSAPS ;
Considérant, d’une part, qu’aux termes du premier alinéa de l’article L. 521-1 du code de justice administrative : Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ;
Considérant, d’autre part, qu’en vertu de l’article R. 5121-47 du code de santé publique, le directeur général de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS ) peut suspendre, pour une période ne pouvant excéder un an, une autorisation de mise sur le marché, en particulier lorsqu’il apparaît, notamment à la suite de l’évaluation des données mentionnées à l’article R. 5121-151, que le rapport entre le bénéfice et les risques liés au médicament tel que défini au premier alinéa de l’article L. 5121-9 n’est pas favorable dans les conditions normales d’emploi ; que l’article 107 de la directive du 6 novembre 2001 instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain prévoit une procédure d’information lorsqu’un Etat membre estime, à la suite de l’évaluation des données de pharmacovigilance, qu’il faut suspendre une autorisation de mise sur le marché d’un médicament ; que le paragraphe 2 de cet article permet à l’Etat membre de prononcer la suspension en cas d’urgence, sans attendre l’issue de la procédure organisée au niveau communautaire, à condition que l’Agence européenne du médicament, la Commission et les autres États membres en soient informés au plus tard le premier jour ouvrable suivant ; que ces dispositions ont été transposées en droit interne à l’article R. 5121-158 du code de santé publique ;
Considérant qu’à la suite d’une procédure de réévaluation du bénéfice/risque des médicaments contenant du kétoprofène - anti-inflammatoire non stéroïdien commercialisé sous forme de gel - le directeur général de l’AFSSAPS a décidé de faire usage du pouvoir de suspension qu’il tient de l’article R. 5121-47 du code de santé publique et, estimant qu’il y avait urgence, au sens du paragraphe 2 de l’article 107 de la directive du 6 novembre 2001, il a, par la décision du 17 décembre 2009, suspendu l’autorisation de mise sur le marché de la spécialité pharmaceutique Ketum 2,5 pour cent, gel, ainsi qu’il l’a fait par ailleurs pour l’ensemble des autres médicaments contenant du kétoprofène et destinés à être appliqués sur la peau ; qu’il est spécifié dans la lettre notifiant cette mesure à la société MENARINI qu’elle est prise à titre conservatoire dans le contexte procédural de l’article 107 paragraphe 2 de la directive (...) dans l’attente de l’issue de l’arbitrage communautaire ;
Considérant, en premier lieu, qu’il ressort des pièces du dossier et des indications fournies lors de l’audience de référé que cette mesure est fondée sur une étude mettant en évidence des cas de photoallergie chez des patients traités par ce médicament, se présentant le plus souvent sous la forme d’eczéma et de bulles pouvant s’étendre au-delà de la zone d’application, et pouvant conduire à des hospitalisations et à des arrêts de travail ; que, si cet effet indésirable avait, dans un premier temps, conduit l’agence à modifier l’information dont la vente de ce médicament est assortie et à ajouter sur les conditionnements un pictogramme incitant les patients à ne pas s’exposer au soleil même voilé, l’étude sur laquelle l’agence s’est fondée pour prendre la mesure litigieuse montre néanmoins une persistance des réactions de photoallergie ;
Considérant, toutefois, d’une part, que l’efficacité des propriétés antalgiques de ce gel, utilisé depuis 1993 sur prescription médicale en rhumatologie et en traumatologie bénigne, n’est pas remise en cause par l’étude mentionnée plus haut, ainsi que les représentants de l’AFSSAPS l’ont confirmé à l’audience ; que, d’autre part, il apparaît que l’effet indésirable sur lequel repose la mesure litigieuse ne concerne qu’une trentaine de cas, sur plusieurs millions de gels de kétoprofène vendus chaque année ; que cet effet, connu depuis l’origine, semble pour une large part imputable au non-respect des précautions d’emploi ; qu’au demeurant, il ressort des indications fournies au juge des référés sur l’état actuel de la procédure d’arbitrage communautaire que le co-rapporteur désigné par les autorités communautaires pour instruire la demande présentée par la France estime le bénéfice/risque du gel de kétoprofène inchangé, et qu’aucun des vingt Etats consultés n’envisage le retrait de ce médicament ; que, dans ces conditions, les moyens tendant à contester l’existence de la condition d’urgence prévue au paragraphe 2 de l’article 107 de la directive du 6 novembre 2001 et à soutenir que la mesure litigieuse présente un caractère disproportionné doivent, en l’état de l’instruction, être regardés comme propres à créer un doute sérieux quant à sa légalité ;
Considérant, en second lieu, qu’il ressort également des pièces du dossier et des précisions apportées lors de l’audience que le Ketum représente le deuxième chiffre d’affaires de la société MENARINI et, eu égard à l’ancienneté de sa mise sur le marché, lui procure une marge supérieure à celle de ses autres spécialités qu’elle commercialise, de sorte que l’arrêt de sa commercialisation risquerait de compromettre la possibilité, pour cette société, de retrouver en 2010 un résultat positif ; qu’ainsi, les éléments produits par la requérante quant à l’incidence de cette mesure sur son activité font ressortir une atteinte suffisamment grave et immédiate à sa situation pour caractériser une situation d’urgence ; que, si l’AFSSAPS soutient qu’il y a au contraire urgence à en permettre l’exécution au regard de l’intérêt de la santé publique, il résulte de ce qui a été dit ci-dessus qu’en l’état de l’instruction, cette circonstance n’apparaît pas comme suffisante pour faire obstacle à ce que la condition d’urgence requise par l’article L. 521-1 du code de justice administrative soit regardée comme remplie ;
Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède qu’il y a lieu de suspendre l’exécution de la décision du directeur général de l’AFSSAPS du 17 décembre 2009 ; que, dans les circonstances de l’affaire, il y a lieu d’enjoindre à cette dernière de faire mention sur son site internet, de manière apparente et dans les deux jours suivant la notification de la présente ordonnance, de la suspension de l’exécution de la décision du 17 décembre 2009 ; qu’il n’y a en revanche pas lieu d’assortir cette injonction d’une astreinte ;
Considérant, enfin, qu’il y a lieu de mettre à la charge de l’Etat le versement à la société anonyme MENARINI FRANCE de la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
O R D O N N E :
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Article 1er : Jusqu’à ce qu’il ait été statué sur la requête en annulation présentée par la société anonyme MENARINI FRANCE, l’exécution de la décision du 17 décembre 2009 par laquelle le directeur général de l’AFSSAPS a suspendu l’autorisation de mise sur le marché de la spécialité pharmaceutique Ketum 2,5 pour cent, gel, est suspendue.
Article 2 : Il est enjoint à l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé de faire mention sur son site internet, dans les deux jours suivant la notification de la présente ordonnance, de la suspension de l’exécution de cette décision.
Article 3 : L’Etat versera à la société anonyme MENARINI FRANCE la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la société anonyme MENARINI FRANCE est rejeté.
Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à la société anonyme MENARINI FRANCE et à l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé.
Copie en sera adressée à la ministre de la santé.