Paul Krugman se félicite de ce que l'Espagne ne soit pas aussi mal en point que la Grèce. Ce prix Nobel d'économie – qui suppliait en 2002 Greenspan de baisser les taux d'intérêt et de créer une bulle immobilière afin d'amortir l'éclatement de la bulle dotcom – vient de laisser une note sur son blog où il assure que l'Espagne maintien sa « crédibilité fiscale », comme le prouverait le fait que durant toute la, crise grecque, la dette publique a seulement augmenté de 25 points de base.
Il serait intéressant de savoir si ce commentaire de Krugman relève plus de l'avis mercenaire ou si on le doit seulement à l' habituel gloubi-boulga intellectuel que nous sert l'Américain qui squatte depuis trop longtemps les colonnes du New York Times. Car, tout de même, c'est lui, Krugman, qui assurait en février que le grand problème de la zone euro, ce n'était pas la Grèce mais l'Espagne, qui voit son déficit exploser à cause de son effondrement économique.
Mais, sans trop nous appesantir sur la faible valeur des opinions de Krugman, on se demande quand même où il arrive à trouver une « crédibilité fiscale » en Espagne. Certes, le rapport entre dette publique et PIB tourne toujours autour de 55%, inférieure à la moyenne de l'Union européenne. Mais ce chiffre isolé ne veut rien dire. On se souviendra ainsi que Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff – deux économistes qui, dans leur livre This Time Is Different : Eight Centuries of Financial Folly, ont réalisé une des plus importantes études sur les non paiements des dettes publiques – montrent que seulement 16% des États qui firent faillite entre 1970 et 2008 avait une dette publique supérieure à 100% du PIB, que plus de la moitié de ces faillites concernaient des États qui avaient un niveau d'endettement inférieur à 60% du PIB et même 20% des suspensions de paiement concernaient des États ayant un endettement inférieur à 40%.
Alors on pourrait se rassurer en disant que l'Espagne a encore du chemin à faire avant d'atteindre l'endettement du Japon, qui culmine à près de 200% du PIB. Mais cela relèverait surtout de la politique de l'autruche – pour les Espagnols et pour les Européens. Car aucun responsable d'entreprise ne sourit quand son chef comptable vient lui dire que la maison perd irrémédiablement de l'argent mais que, au moins, il reste encore une marge d'endettement pour pouvoir continuer à payer le salaire des employés.
Car telle est la situation de l'Espagne : une entreprise qui perd année après année 120 milliards (déficit budgétaire), qui a une dette de 550 milliards (dette publique), avec un cinquième du personnel payé à ne rien faire (chômage de 20%), avec des engagements insoutenables quant aux paiement de la pension de ses employés (sécurité sociale en faillite) et qui n'a d'autres recours que de s'endetter pour faire face à ses dépenses courantes et obligations passées (refinancement de la dette). Avec l'aggravant que les pertes annuelles de l'entreprise, loin de se réduire, ont augmenté jusqu'à presque 20% en mars dernier. Par ailleurs, les consommateurs qui devraient acquérir les produits de cette entreprise (les contribuables qui paient les impôts) ont des dettes qui doublent leurs revenus annuels (dette privée de 190%). Et les banques qui prêtent à l'entreprise sont elles-mêmes sur le point de faire faillite (système financier espagnol). « Crédibilité fiscale » ? Autant que Krugman possède une « crédibilité économique ».
Et voyant comment cette situation espagnole se répète à travers la moitié de la zone euro, il est stupéfiant de voir comment nos politiciens s'acharnent à jouer de la lyre devant Rome en flammes. Bien que l'on comprend que beaucoup d'entre eux arriveront à tirer leurs marrons des foyers calcinés. La Grèce vient de faire faillite et, si elle ne veut pas courir à la catastrophe, devra se soumettre à la stricte discipline d'un plan de rigueur draconien. Que les habitants de la zone euro en prennent bien connaissance, car cela pourrait les concerner prochainement : diminution du salaire des fonctionnaires, arrêt des embauches publiques durant trois ans, diminution des pensions de 15%, augmentation de la TVA jusqu'à 23%, création de nouveaux impôts, gel des salaires du privé, etc. Et tout cela ne sera certainement pas suffisant. Le futur des Grecs sera de travailler plus pour gagner moins. Beau résultat offert par les politiciens et les syndicalistes qui dilapidèrent la richesse future des Hellènes durant plus d'une décennie. Comme en Espagne. Comme au Portugal. Comme en France. Comme dans tous ces pays qui, s'ils étaient une entreprise, auraient tous fait faillite depuis longtemps. Et que personne ne se voile la face derrière la fiction de l'État qui, même en tenant compte de sa puissante capacité pour spolier, n'est pas éternel. Même si Krugman croit encore le contraire.