Je comprends pourquoi récemment ce premier roman d’une inconnue a eu un tel succès en Allemagne, dès sa parution, il est tout simplement magnifique ! Non seulement l’histoire est belle, dense, à la fois drôle et légère, tragique et émouvante, mais surtout j’ai admiré la composition par petites touches circulaires autour des personnages, puis des événements qui se resserrent à la fin sur ce qui s’avère la crise majeure de cette famille où se côtoient plusieurs générations de l’Allemagne du nord. Rien n’a perturbé mon plaisir de lire !
Iris, la narratrice, bibliothécaire à l’université de Fribourg, revient dans le village où Bertha, sa grand-mère qui a depuis longtemps perdu la mémoire, vient de lui léguer sa maison. Elle y retrouve sa famille pour l’enterrement : sa mère Christa, si timide et ses deux tantes, Inga, l’électrique née un jour d’orage et Harriet, devenue mystique à la mort de sa fille, toutes les trois avec leurs reproches mutuels et leurs silences très lourds. Elle renoue aussi avec d’anciennes connaissances qui font resurgir le passé de la famille, comme M. Lexov, le vieil instituteur amoureux de sa grand-mère. Surtout, elle se réapproprie la maison, le jardin et ses propres souvenirs d’enfance. Tout revient plus fort encore avec le goût des pépins de pomme, intimement lié à l’histoire familiale. Elle se remémore les blessures qui vont avec la maison. Restera-t-elle là ? Acceptera –t-elle cette transmission ? Le récit s’accélère avec les rencontres des amis d’autrefois comme celle de Max, chargé de régler la succession, si seul lui aussi et si partie prenante dans la tragédie de la mort de Rosemarie, la cousine d’Iris, à 16 ans, l’amie de cœur de Mira, la sœur de Max.
Ce récit est comme une pyramide, large à la base, très resserrée à la fin sur ce drame qui a fait éclater tous les liens, chacun s’éloignant des autres, dans un immense chagrin silencieux. Tout ce livre cependant respire l’aspiration à un bonheur simple et paisible. Je l’ai beaucoup aimé ! Aifelle qui en a fait un livre-voyageur en parle d’ailleurs très bien
« La mémoire ne nous servirait à rien si elle fût rigoureusement fidèle »
Paul Valéry (en exergue)
« Depuis toujours, dans notre famille comme ailleurs, le destin se manifeste en premier lieu sous la forme d’une chute. Et d’une pomme. »
« La vérité est proche parente de l’oubli, je savais cela de source sûre par les dictionnaires. Dans le mot grec qui signifie vérité, coulait en secret le Léthé, fleuve des Enfers. Quiconque buvait de l’eau de ce fleuve renonçait à ses souvenirs en même temps qu’à son enveloppe charnelle et se préparait à vivre au royaume des ombres. »
Katarina Hagen est née en 1967. Spécialiste de l’œuvre de Joyce, elle enseigne la littérature anglaise et allemande à l’université de Hambourg.
Le goût des pépins de pomme, Katharina Hagena
(Editions Anne Carrière, 2008-2010, 268 pages)
Traduit de l’allemand par Bernard Kreiss