Son écriture était belle, précise, extraordinairement argumentée. Elle avait le sceau d’un talent journalistique patent. Mais, aujourd’hui, je suis orphelin de tout cela. Car mon ami, Mohamed Yakhya Kane (photo), membre de l’Atelier des médias, n’est plus de ce monde. Il est mort la semaine dernière à Dakar. Tour à tour présentateur des journaux télévisés de son pays, le Sénégal, et ancien directeur de publication du journal SOPI, il fut une des grandes figures du journalisme sénégalais. Il y a quelques mois, sur mon blog (http://www.africanus.over-blog.com ), il m’avait accordé un entretien portant entre autres sur les éléments handicapant les alternances démocratiques en terre africaine. Je vous en donne, ci-dessous, un extrait.
Adieu Mohamed ! Sois dans la paix avec les anges !
Guillaume Camara
« La quasi-totalité des pays d’Afrique, fêteront leur cinquantième anniversaire en 2010. Que représente un demi-siècle dans la vie d’une république bananière ? Le passage de la colonisation à la souveraineté nationale, de la souveraineté nationale à la démocratie, cela nécessite un formatage des mentalités qui prend du temps à s’opérer. Nos dictateurs, nos monarques, nos roitelets, de plus en plus assoiffés de pouvoir, comprennent difficilement qu’il existe une autre vie, hors les lambris des palais. Jusqu’à une date récente, le régime du parti unique était partout en vigueur. Il a fallu le discours menaçant du Président Mitterrand en 92 à la Baule, pour enregistrer la naissance timide du multipartisme dans la plupart des Etats du Continent. Un multipartisme contraint et forcé. En Afrique, quand d’aventure, on obtient le pouvoir, on le garde indéfiniment. Au Niger, le Président Tandja proroge son mandat de trois ans. En dépit des dispositions constitutionnelles ; au Cameroun, le camp du Président Paul Bya s’active pour l’amener à briguer un nouveau mandat, alors que la constitution ne le lui permet pas. En Guinée, la junte militaire qui avait déclaré qu’elle ne prendrait pas part à l’élection présidentielle, se dédit. Ailleurs, sous d’autres cieux, toujours en Afrique, des velléités naissent dans l’optique de la confiscation ou de la conservation du pouvoir. Le pouvoir, hélas, grise la classe politique africaine, s’il ne la corrompt pas. Autre facteur négatif, l’absence d’une opinion publique bien informée, bien structurée et au fait de ses droits. Une culture citoyenne qui incombe en partie aux formations politiques et aux médias. Plus particulièrement à un journalisme panafricain qui doit être indépendant, professionnel, en équidistance des chapelles politiques, religieuses ou ethniques. C’est l’occasion pour moi de saluer le courage et l’indépendance du journaliste camerounais, Pius Njawé, qui depuis trente ans se bat pour une information plurielle, vraie et juste. Son combat lui a valu de séjourner plus de cent fois en prison. Puisse-t-il créer des émules partout en Afrique. Je salue également la sagacité de certains médias indépendants d’Afrique qui sont prompts à analyser, commenter et critiquer certains actes politiques majeurs posés à tort ou à raison par nos hommes politiques. C’est là un pas important dans la mise en place d’un journalisme panafricain qui aiderait beaucoup dans la prise de conscience de nos populations. Pour la création d’une opinion publique capable de se faire entendre et respecter. »