Depuis toujours je me méfie des incessantes palabres qui font pousser du poil sur les oeufs, des discussions où s'empoignent les convictions molles, des débats en cravate autour d'un micro de guingois.
C'est que je m'ennuie. C'est qu'il n'y aucune parole dans ces discussions, palabres et débats. Il y a du bruit et je n'aime pas le bruit.
Gilles Deleuze, évoquant la philosophie, a écrit ceci auquel je souscris à dix mille pour cent :
" Tout philosophe s'enfuit quand il entend la phrase : on va discuter un peu. Les discussions sont bonnes pour les tables rondes... La communication vient toujours trop tôt ou trop tard, et la conversation toujours en trop, par rapport à créer. On se fait parfois de la philosophie l'idée d'une perpétuelle discussion comme "rationalité communicationnelle" ou comme "conversation démocratique universelle"...
Ceux qui critiquent sans créer, ceux qui se contentent de défendre l'évanoui sans savoir lui redonner les forces de revenir à la vie, ceux-là sont la plaie de la philosophie. Ils sont animés par le ressentiment, tous ces discuteurs, ces communicateurs. Ils ne parlent que d'eux-mêmes en faisant s'affronter des généralités creuses. La philosophie a horreur des discussions. Le débat lui est insupportable, non pas parce qu'elle est trop sûre d'elle : au contraire, ce sont ses incertitudes qui l'entraînent dans d'autres voix plus solitaires."
La philosophie, la littérature, la poésie se nourrissent du silence où peuvent advenir la pensée et les mots. Un silence dans le foyer de la solitude. Cela n'empêche nullement la confrontation des idées et des phrases dans le cercle des amis, avec le tabac et le vin qui les fera tituber avant que de trouver un chemin.
C'est pourquoi je fais du portier un personnage conceptuel, enroulé entre ouverture et fermeture dans le passage comme immanence.
C'est pourquoi je ne vais pas tarder à m'enfouir dans mon terrier. Je ne veux plus rien voir, plus rien entendre du vacarme labial. Seulement comprendre comment va le grand vide auquel j'aspire.