Quelques années après le prestige cinéphile élyséen, les salles de l’avenue se sont transformées en archétypes des salles pop-corn. Le public y est bruyant, souvent des bandes d’ados de sortie sans les parents, des touristes bavards, bref, le genre de public avec lequel il n’est pas recommandé d’être assis deux heures durant. Dommage tout de même car les Champs abritent l’une des plus belles salles parisienne, la grande salle de l’UGC Normandie, vestige de la gloire cinéphile du quartier, avec ses 900 fauteuils et son grand rideau bleu. Bien sûr je n’inclue pas dans ces salles le Balzac et le Lincoln, les deux salles art & essai du quartier, sur des rues perpendiculaires.
Non, décidément, il ne reste plus qu’un cinéma fréquentable avenue des Champs-Élysées. Le Publicis. Surtout depuis qu’il a été complètement restauré il y a quelques années. Le Publicis, c’est le trésor le mieux gardé des Champs-Élysées, un de mes cinémas préférés de Paris. Deux belles salles à la programmation originale, au confort optimum, au personnel sympa. La qualité première du Publicis, c’est la programmation. Comme je l’ai sûrement dit plusieurs fois, on y trouve généralement des films ne passant presque pas ailleurs, au mieux dans une autre salle de la capitale, rarement plus. Le cinéma s’est fait une spécialité de programmer les sorties techniques, ces films sur lesquels les distributeurs préfèrent ne pas dépenser trop d’argent, en les sortant dans une poignée de salles, sans promotion pour signaler leur arrivée dans les salles.
De tels films, il y en a tous les mois, et croyez-moi, ce sont rarement les plus mauvais. Bien sûr il n’y a pas que des sorties techniques au Publicis, il y a aussi des films qui sortent seulement dans peu de salles, des films de genre le plus souvent, polars australiens, science-fiction hollywoodienne, et bien sûr comédie étrangère. L’un de mes films préférés de 2009 était d’ailleurs un tel film, une petite comédie américaine sortie en catimini au Publicis, un bijou que nous n’avions été que peu à découvrir, La ville fantôme. A l’affiche, Ricky Gervais, comique britannique irrésistible à la réputation en béton chez les anglo-saxons mais dont la plupart des français n’ont jamais entendu parler. La série « The Office » (la version britannique originale), c’est lui. La série « Extras » sur la dure condition de figurant, c’est lui aussi.
Alors que je faisais la queue pour prendre mon billet, une femme, la cinquantaine, accompagnée de celui qui devait être son compagnon, a brusquement crié au scandale sous mes yeux. Elle se rendait à la projection 3D du Choc des titans, et avait pour l’occasion amené avec elle une paire de lunettes 3D. Le personnel du cinéma lui explique alors qu’il existe différents types de projections 3D, et que ses lunettes sont incompatibles avec la projection numérique 3D que le Publicis utilise, et qu’elle doit donc prendre celles fournies par la salle pour 1€. Mais la femme ne veut rien entendre. « Vous vous foutez de ma gueule ?! C’est quoi cette arnaque ? ». Le personnel lui explique calmement qu’elle peut essayer avec ses lunettes si elle veut, mais qu’elle ne verra pas l’effet 3D, c’est un système différent. « C’est n’importe quoi votre truc, vous vous foutez de la gueule du monde, c’est une arnaque, vous n’avez pas honte, j’ai jamais vu ça de ma vie !!! ».
Il fallait la voir, crachant presque ses paroles en achetant son billet, insultant sans détour le garçon essayant de garder son sang froid malgré le ton insultant de la spectatrice. Il essaie bien de lui dire que cela ne sert à rien de lui dire tout cela, que ce n’est pas sa faute à lui s’il existe plusieurs types de projection 3D, il faut qu’elle se plaigne aux responsables du marché de la projection 3D, mais la femme ne veut rien entendre. Elle paye tout de même son billet, insultant encore allègrement le caissier. Qui craque et ne supporte plus de se laisser insulter, retirant finalement les tickets des mains du couple, leur disant « Ca suffit je ne peux pas vous laisser rentrer. On va vous remboursez et vous allez partir, vous n’avez pas à m’insulter comme ça madame ». Qui lui crache une salve d’insultes de plus avant de récupérer son argent et de se barrer.
La scène était proprement hallucinante, et fut une belle entrée en matière pour se glisser dans la folie douce de The invention of lying. La comédie réalisée par Ricky Gervais et Matthew Robinson prend pour cadre une société ressemblant en tous points à la nôtre à une énorme différence près : le mensonge, la duplicité, la malhonnêteté n’existent pas. C’est un monde où chacun dit ce qu’il pense, ne cachant rien à ses semblables. Dans ce monde, pas de tromperie, pas de fiction. La vérité et les faits, c’est tout.
Viré de son boulot et de son logement, balayé par la femme qu’il convoite, Mark est au bord du gouffre. C’est dans ce moment de dénuement le plus total, acculé, que Mark va faire une chose qu’aucun être humain avant lui, dans cette société, n’avait eu l’idée de faire. Ce n’est même pas une idée, mais un réflexe de survie. Mark va mentir. Un petit mensonge pas bien méchant, juste de quoi récupérer son appartement. Mais Mark va vite se rendre compte du pouvoir que cette chose, le mensonge, à laquelle il ne peut même pas donner de nom tant le concept est inédit dans ce monde, va lui offrir. En affabulant comme il l’entend, Mark va vite abandonner sa condition de petit homme médiocre. Mais tout cela n’est pas sans conséquence…
L’idée est remarquable, mais l’on n’en attendait pas moins de Gervais, l’homme le plus drôle outre-manche qui conserve son humour tranchant britannique et le transpose dans un cadre clairement américain. Si le film souffre de coups de mou constant qui font regretter que scénario et mise en scène ne parviennent pas à un mitraillage comique nous laissant sans répit, The invention of lying brille par son esprit, ses dialogues loufoques et sa capacité à ne pas se donner de limites. Le monde qu’ont créé Gervais et Robinson est la star du film, cette société où règne l’honnêteté la plus totale, donnant lieu à des situations d’une cocasserie savoureuse. Le voisin discutant de ses plans suicidaires, le rendez-vous galant prévenant d’entrée que vu votre physique, ça ne se finira pas au lit… Et au milieu, Mark Bellison, ce petit gros au nez court qui va révolutionner le monde avec ses mensonges éhontés.
The invention of lying n’est pas la comédie de l’année, mais c’est une belle bouffée d’originalité, et la confirmation quelle que soit le projet auquel s’attèle Ricky Gervais, il vaut d’être vu. Amusez-vous à repérer les nombreuses têtes connues qui n’ont pas résisté au plaisir d’apparaître dans le premier long-métrage du comique. Cela en dit long sur la réputation du bonhomme méconnu chez nous.